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Le confinement s’arrête, les licenciements se multiplient… et la lutte des classes rebondit !

lundi 22 juin 2020

Dans son discours du 14 juin, Emmanuel Macron a promis « des faillites et des plans sociaux multiples ». Avec la crise sanitaire, deux mois de production se sont en grande partie envolés et l’activité est loin d’être repartie. En juin, elle serait, en France, encore 12 % en dessous du niveau d’avant Covid. Pour les capitalistes, c’est donc la crise. Les profits ne rentrent plus comme il faudrait. Le petit Covid a bouleversé l’économie mondiale, provoquant la faillite des uns, à cours de liquidités et lâchés par les banques, et la course aux futurs profits pour les autres. D’un court ralentissement de l’activité, on passe aux grands chambardements, aux restructurations à grande vitesse et leurs lots de licenciements, dans une concurrence plus exacerbée encore. Une économie rationnelle et planifiée aurait pu repartir normalement après une courte interruption et continuer de répondre aux besoins de la population ; l’anarchie du système capitaliste ne génère en revanche que chaos et incertitudes pour les travailleurs. Et ceux-ci devraient se soumettre aux chantages patronaux ? Se serrer la ceinture le temps que la bourgeoisie restaure ses profits ? Voire, comme le propose la CGT, élaborer eux-mêmes des « plans industriels » pour l’exploitation dans le « monde d’après » ?

Avant l’épidémie, la croissance commençait à ralentir. La demande chinoise, qui tirait l’économie mondiale depuis 2008, faiblissait, dans un contexte de guerre commerciale avec les États-Unis, entrainant des pertes de débouchés pour l’industrie occidentale. L’Allemagne a été particulièrement touchée, avec une production industrielle en chute de 5 % en 2019. Le secteur automobile était en difficulté ou mutation, entre l’abandon du diesel, la transition nécessaire vers la voiture électrique et la baisse de commandes chinoises. Des réorganisations, suppressions d’emplois et délocalisations étaient déjà en préparation.

C’est dans ce contexte qu’est apparu le Covid, interrompant la circulation mondiale des marchandises, forçant la fermeture des magasins et des usines, clouant les avions au sol, envoyant les cadres et employés de bureau en télétravail, forçant les parents et personnes à risque à rester à la maison. Ce virus ex machina a engendré une crise économique toute particulière, par son origine extérieure à la logique économique capitaliste. Les gouvernants de la planète ont été contraints de confiner le monde, en contradiction avec les intérêts immédiats de la bourgeoisie… parfois poussés par les travailleurs eux-mêmes, quand ils se sont mis en droit de retrait [1]. Cette crise a touché simultanément tous les secteurs et tous les pays, bien qu’à des niveaux différents. À l’exception de quelques géants du numérique et du commerce en ligne, qui ont profité de la fermeture des magasins pour leur ravir des parts de marché et de l’assignation à résidence pour jeter les bases d’un monde plus « à distance » et télétravaillé dans lequel ils pourraient prélever leur quote-part.

Les États et l’Union européenne à la rescousse du grand capital

Ni une, ni deux, les États ont volé au secours du patronat. Dès le 25 mars, le gouvernement américain annonçait un plan de sauvetage de 2 000 milliards de dollars. En France, le gouvernement qui ne pouvait trouver 20 milliards d’euros pour les retraites dans dix ans en a trouvé 436 milliards en quelques semaines pour la bourgeoisie : 136 milliards d’aides directes et 300 milliards en prêts bancaires garantis par l’État. L’Union européenne a largement encouragé l’intervention des États, la BCE s’engageant à racheter pour 1 350 milliards de dettes publiques. Les dirigeants européens ont même fini par accoucher, après moult tergiversations, d’un plan de relance commun de 750 milliards d’euros.

L’Europe « néolibérale », comme certains l’appellent, bascule finalement dans l’étatisme, tant les « doctrines économiques » se renversent et s’adaptent aux nécessités du moment pour les patrons. La Commission européenne discute désormais « souveraineté », « autonomie stratégique » et protection des entreprises européennes face aux concurrents chinois et américains, tentée qu’elle est de préserver ses capitalistes en leur réservant ses marchés publics et en instaurant des barrières douanières repeintes en vert sous le nom de « mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ». Non pas que les commissaires européens soient soudainement devenus mélenchonistes ou altermondialistes, encore moins écologistes. Mais dans la période de recomposition du capitalisme mondial qui s’annonce, ils entendent réserver à leur bourgeoisie une bonne place dans l’arène mondiale.

Ce n’est pas le Covid, mais la rapacité capitaliste qui grippe l’économie

Alors que les difficultés d’approvisionnement et de gestion des questions sanitaires s’atténuent, les pertes de débouchés sont devenues, fin mai, la principale cause de la diminution de l’activité [2]. Le taux d’utilisation des capacités industrielles, tombé à 47 % en avril, était encore de 61 % seulement en mai, selon la Banque de France, malgré la réouverture des usines. Entre la chute des carnets de commandes, les pertes de revenus liées au confinement et au développement du chômage, et le report des investissements en raison des incertitudes sur l’avenir [3], les marchés se contractent. L’arrêt temporaire de la production pour raison sanitaire se transforme en crise de surproduction, dans la logique absurde de cette économie capitaliste. Et Macron de réclamer aux travailleurs de « produire davantage » ! L’urgence serait plutôt à partager le travail entre tous, sans perte de salaires, et de produire pour les besoins réels de la population, pas pour le seul marché solvable, unique étalon des débouchés pour les capitalistes en quête de profits.

Pour relancer leur économie, les capitalistes doivent à la fois trouver de nouveaux marchés et restaurer leurs taux de profits. Il faut donc s’attendre à une nouvelle offensive contre le monde du travail pour baisser les salaires, accroître le temps de travail et la flexibilité, augmenter les cadences, etc. C’est le sens du discours de Macron du 14 juin. Pendant que la gauche critique le manque de mesures concrètes, avec un Mélenchon chouinant contre la récupération de sa démagogie souverainiste, le message a le mérite d’être clair : travaillez plus pour produire plus, cédez au chantage à l’emploi, aux travailleurs de payer les 500 milliards et plus d’aides aux entreprises !

Les grandes entreprises restructurent… aux frais de l’État

Pendant ce temps, les grands secteurs industriels se préparent à rétablir leur profitabilité en bazardant leur vieil outil de production dévalorisé par la crise pour accélérer l’automatisation des unités de production et la mise sur le marché de nouvelles technologies jusque-là en attente. C’est le moment opportun pour les capitalistes de purger les « trop plein », de concentrer le capital et de se tailler une nouvelle place sur le marché mondial. Ils peuvent compter pour cela sur l’argent public, car les plans de soutien ne sont pas seulement destinés à compenser les pertes dues au confinement. Il suffit de faire le calcul : la Commission européenne prévoit une récession de 8,2 % pour la France, soit un manque à gagner de 193 milliards d’euros pour l’économie. Le plan de soutien du gouvernement couvre plus de deux fois cette somme ! Et cette reconversion, ils voudront la faire payer cher aux travailleurs, dont ils voudraient non seulement qu’ils payent les subventions, mais en plus qu’ils acceptent les réductions de salaires, l’augmentation du temps de travail et les licenciements.

Les 5 milliards de prêts à Renault vont ainsi servir à fermer des usines et licencier, tout en déployant de nouvelles chaînes de production pour la voiture électrique. Le tout accompagné d’aides à l’achat en direction des ménages et des entreprises pour les inciter à renouveler leur parc automobile. Dans l’aéronautique, qui se portait bien avant la crise sanitaire, Airbus a annoncé une baisse d’un tiers de la production d’avions commerciaux et les sous-traitants ont commencé réduire les salaires et licencier (45 000 emplois du secteur ont déjà été supprimés dans le monde). Là encore, le salut du secteur est cherché du côté d’un avion « plus vert », dont la recherche serait financée par l’argent public, mais plus immédiatement par l’accélération des commandes militaires.

Faillites et concentration du capital en perspective

Le transport aérien, qui a particulièrement souffert du confinement et ne semble pas près d’un retour à la normale, est déjà en phase de concentration et de réorganisation. Plusieurs compagnies ont déposé le bilan, dont deux des plus grandes compagnies aériennes d’Amérique latine, LATAM et Avianca, mais aussi Virgin Australia, South African Airways ou encore Thai Airways. C’est une opportunité pour les compagnies survivantes de récupérer des parts de marché. Tout en réorganisant ses plans de vol et en préparant 8 000 suppressions d’emplois, Air France, comme d’autres compagnies dont Lufthansa, en profite pour liquider avec deux ans d’avance ses A380, dont la rentabilité est jugée insuffisante, au bénéfice d’appareils plus récents et moins consommateurs.

Concentration aussi dans le commerce : Camaïeu s’est mis en faillite, La Halle cherche un repreneur et Conforama, ne parvenant à obtenir des banques un prêt garanti par l’État, s’est résolu au rachat par son principal concurrent, But, dont la première action sera de financer le plan social acté il y a un an pour éjecter 1 500 des 8 000 salariés.

Beaucoup de petits commerces, café et restaurants, petites entreprises et indépendants du tourisme et de la culture, peu soutenus par les plans d’aide gouvernementaux, pourraient aussi disparaître. Nombre d’indépendants qui se croient leur propre « patron » ne doivent leurs moyens de travail qu’aux banques, auxquelles ils payent des traites toute leur vie. Ceux qui ne pourront honorer leurs dettes risquent d’être mis en faillite par les banques. Y compris ceux qui auront bénéficié de prêts garantis et devront verser une plus grande part de leurs bénéfices à ces banques. On pourrait bien voir survenir une paupérisation d’une partie de la petite-bourgeoisie. Les départements s’inquiètent déjà de la hausse des demandes de RSA, dont beaucoup d’auto-entrepreneurs coulés par la crise.

Aux travailleurs de payer leur crise ?

Les travailleurs ont été les premiers à payer la mise à l’arrêt de l’économie mondiale. En Chine, il y aurait 70 millions de chômeurs supplémentaires, principalement parmi les migrants issus des campagnes. Aux États-Unis, 44 millions de travailleurs ont fait une demande d’indemnisation chômage entre la mi-mars et début juin. Le taux de chômage grimpe à 20 % ou au-delà dans nombre de pays. En Europe, il est resté pour le moment plus limité du fait du chômage partiel, qui a concerné quelques 60 millions de salariés (dont 13 millions en France) et pourrait bien se prolonger encore plusieurs mois, mais avec une indemnisation réduite. Pour autant, 500 000 emplois, dont deux tiers d’intérimaires, avaient déjà disparu en France dans les deux dernières semaines de mars. Bruno Le Maire prévient que 800 000 emplois risquent de disparaître dans les prochains mois. L’ampleur exacte est impossible à prédire et ses annonces visent aussi à mettre la pression sur les travailleurs pour accepter les chantages. Si les patrons sont laissés seuls à la manœuvre sans mobilisation d’ampleur pour interdire les licenciements et imposer un partage du temps de travail, cela risque fort de se produire.

Durant le confinement, le gouvernement a commencé à préparer l’après, autorisant des semaines de 60 heures et le vol de congés dans certains secteurs. Le discours guerrier de Macron du 14 juin appelle à nouveau à « travailler davantage ». Alors que le gouvernement laisse circuler le bruit d’un retour aux 39 heures à l’hôpital, cela pourrait être un ballon d’essai pour imposer une augmentation généralisée du temps de travail, voire l’augmentation de la durée légale du travail (déjà bien assouplies au fil des ans), sans bien sûr revenir sur la flexibilité et les gels de salaires qui avaient accompagné les 35 heures. Macron s’est dit déterminé à faire payer la crise aux travailleurs. Il faudra être au moins aussi déterminés dans notre camp. Les manifestations réussies partout en France contre le racisme et les violences policières, pour la régularisation des sans-papiers, pour les salaires et les emplois dans la santé, tout comme les multiples grèves et débrayages dans l’automobile ont déjà montré que beaucoup ne sont pas prêts à se laisser faire.

19 juin 2020, Maurice Spirz


[1Sur la manière le confinement a impacté l’économie, lire notre article en ligne « De la crise sanitaire au blocage de l’économie : la logique du profit à l’œuvre ». https://www.convergencesrevolutionnaires.org/De-la-crise-sanitaire-au-blocage-de-l-economie-la-logique-du-profit-a-l-oeuvre

[2Dares, « Activité et conditions d’emploi de la main-d’œuvre pendant la crise sanitaire Covid-19 », 17 juin 2020. https://dares.travail-emploi.gouv.f....

[3Selon le cabinet d’études économiques du Medef, Rexecode, 46 % des projets d’investissement sont reportés et 22 % abandonnés, le plus souvent en raison des incertitudes, auxquelles peuvent s’ajouter des contraintes de trésorerie et un manque de débouchés.

Mots-clés Covid-19 , Économie