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Maurice Rajsfus, un militant infatigable

mardi 16 juin 2020

(Photo : Maurice Rajsfus photographié par Christiane Passevant en 2014. Source : maitron.fr)

Maurice Rajsfus nous a quittés le 13 juin dernier à l’âge de 92 ans. Après guerre, il fut d’abord militant des Jeunesses communistes, dont il fut exclu à l’âge de 18 ans pour « hitléro-trotskysme ». Il rejoignit ensuite le Parti communiste internationaliste (PCI), organisation trotskyste qui était alors la section française de la IVe Internationale. Il quitta le PCI pour rejoindre le groupe « Socialisme ou barbarie » de Cornélius Castoriadis et Claude Lefort, avant d’adhérer au Parti socialiste unifié (PSU) dans les années 1960. Pendant tout ce temps il fut un militant actif dans son syndicat et au sein du mouvement des auberges de jeunesse.

Au-delà de ses choix organisationnels, Rajsfus fut de tous les combats de son temps, d’abord contre le nazisme, puis contre la guerre d’Algérie dès 1955 et l’arrivée de De Gaulle au pouvoir en 1958. Il participa activement et avec enthousiasme à Mai 68, aux mouvements de solidarité avec les immigrés, avec les ouvriers de Lip, avec les militants révolutionnaires arrêtés, maoïstes de la Gauche prolétarienne et trotskystes de la Ligue communiste et de Voix ouvrière, après la dissolution de ces organisations le 12 juin 1968.

« Self-made man » Maurice Rajsfus s’était formé sur le tas, tour à tour apprenti joaillier, correcteur d’imprimerie, docker, OS, manutentionnaire, employé de bureau, courtier en assurances, pour finalement finir journaliste… et écrivain auquel on doit une soixantaine d’ouvrages historiques.

« L’Observatoire des libertés publiques », « Que fait la police ? », « Ras l’Front »…

Aujourd’hui, il est surtout connu pour avoir lancé, en mai 1994, l’Observatoire des libertés publiques, après l’assassinat de Makomé M’Bowolé, un jeune de 17 ans originaire du Nigéria, tué l’année précédente d’une balle dans la tête tirée à bout portant par un policier du 18e arrondissement de Paris. Ayant réuni, après Mai 68, des milliers de fiches sur la répression policière, il assura la publication de plus de 200 numéros du bulletin Que fait la police ? jusqu’en 1999. Il fut aussi en mai 1990 un des initiateurs, contre l’extrême droite, du réseau Ras l’front dont il sera un temps président.

Son livre de 1980 : Des Juifs dans la collaboration

Tout cela fait un peu oublier le coup de tonnerre que suscita, en 1980, son premier livre Des Juifs dans la collaboration, l’UGIF (1941-1944), préfacé par l’historien Pierre Vidal-Naquet [1]. Commencées quatre ans plus tôt, ses recherches portaient alors sur le rôle joué par certains notables juifs dans l’Union générale des israélites de France (UGIF), une organisation mise sur pied par Pétain à la demande du chef de la SS, Theodor Dannecker, Jüdenreferent (référent des Juifs) et collaborateur d’Adolf Eichmann, d’abord pour encadrer et ficher la communauté juive pour ensuite la déporter plus facilement.

Au nom « du moindre mal » les dirigeants de l’UGIF (dont certains furent plus tard eux-mêmes déportés vers les camps de la mort) rendaient régulièrement des comptes au Commissariat général aux questions juives de Vichy. Ils furent parmi les plus zélés à demander à la population juive de s’enregistrer dans les commissariats de police, de porter l’étoile en zone occupée, de faire tamponner la mention « Juif » sur leurs cartes d’identité en zone libre, voire d’inciter les autorités vichystes à épargner les Juifs français pour s’en prendre plutôt aux Juifs étrangers.

Cerise sur le gâteau, à la veille de la grande rafle du Vél d’Hiv à Paris, les 16 et 17 juillet 1942 – au cours de laquelle plus de 13 000 Juifs (hommes, femmes et enfants) furent arrêtés avant d’être déportés – des organisations juives proches du Parti communiste français, qui avaient eu vent de l’opération qui se préparait, diffusèrent des tracts en français et en yiddish mettant en garde la population. Lorsque certains, légitimement inquiets, contactèrent alors l’UGIF, cette dernière les rassura en affirmant qu’il s’agissait simplement de « propagande communiste ». Or les dirigeants de l’UGIF étaient parfaitement au courant de la rafle projetée. Mieux, c’est dans un de leurs locaux, situé au 29, rue de la Bienfaisance (Paris 8e), que furent confectionnées les étiquettes destinées aux enfants qui seraient séparés de leurs parents arrêtés et confiés à des orphelinats ou parqués dans des camps provisoires.

De plus la direction de l’UGIF fournissait – tant au gouvernement de Vichy qu’à l’Occupant – des listings détaillés de la population juive avec nom, adresse, profession, situation familiale, le tout décliné par commune et, à Paris, par arrondissement, en plus des listes des enfants hébergés dans ses centres qui devinrent ainsi de véritables souricières.

Et jusqu’au bout, par légalisme, naïveté ou peur des représailles, les dirigeants de l’UGIF refuseront de disperser ces enfants comme le lui demandaient des mouvements juifs de la Résistance qui se disaient d’ailleurs prêts à collaborer à cette tâche. C’est ainsi que fin 1944 fut arrêtée et périt une grande partie des 300 à 400 enfants regroupés dans les 11 centres de l’UGIF à Paris et en région parisienne. Bref, des dirigeants de l’UGIF prêtaient main forte aux bourreaux avant de devenir victimes à leur tour.

Maurice Rajsfus ou des résistants comme Adam Rayski, ancien responsable du journal communiste clandestin en yiddish Unser Wort (Notre parole), considéraient donc cette organisation comme un simple appendice de Vichy, impliquée de facto dans le processus de déportation dont elle fut complice.

Cette prise de position radicale ne fut pas du goût de tout le monde. Les dirigeants de la communauté juive, et notamment ceux du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) préféraient laver leur linge sale en famille et infligèrent un simple blâme pour conduite imprudente aux dirigeants de l’UGIF qui avaient survécu.

Pour eux il était important de montrer l’image d’une « communauté juive unie dans le malheur » en gommant les différences de classe qui se manifestaient, même dans ces circonstances dramatiques.

Rajsfus, qu’il était difficile d’attaquer comme « antisémite » dans la mesure où, issu d’une famille juive polonaise, il était lui-même, avec sa sœur, un rescapé de la rafle du Vél d’Hiv (au cours de laquelle ses parents avaient été déportés à Auschwitz), fut donc boycotté et mis sur la touche. Il était d’autant moins en odeur de sainteté dans ces milieux largement sionisants qu’il avait toujours affiché son entière solidarité avec le peuple arabe de Palestine.

Aujourd’hui tout cela est un peu oublié. Mais, dès ce premier livre, Maurice Rajsfus démontra qu’esprit libre et indépendant, il n’hésitait pas à s’attaquer aux tabous, même – et surtout – si cela dérangeait. Et c’est une attitude qui fut la sienne sa vie durant.

On l’aurait qualifié au xviie siècle « d’honnête homme ». Disons tout simplement qu’avant même d’être un militant ouvrier et socialiste, ce fut un être bon, ouvert aux autres, toujours prêt à rendre service et solidaire de tous les opprimés. Bref comme on dit en allemand et en yiddish, « ein Mensch ».

15 juin 2020, Jean Lievin


[1Les Juifs dans la collaboration, L’UGIF (1941-1944), préface de Pierre Vidal-Naquet, éd. Études et documentations internationales, 1980. L’ouvrage est depuis longtemps introuvable et n’a semble-t-il jamais été réédité. Par contre on peut le lire en réédition numérique « FeniXX, édition du Kindle », pour 13,99 euros.

Mots-clés Culture , Disparition
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