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Réouverture des écoles : des garderies pour le Medef ?

lundi 11 mai 2020

Ci-dessous, la transcription écrite de l’intervention d’une professeur de collège lors du meeting zoom de l’Etincelle-NPA de samedi 9 mai.

La réouverture des écoles, annoncée par le gouvernement il y a quelques semaines, commencera le 11 mai. Personne n’a été dupe : il s’agissait en fait de rouvrir la grande garderie du Medef, à la demande du patronat, pour que les parents retournent bosser.

Des difficultés réelles

Le Premier ministre et celui de l’Éducation n’ont pas manqué d’évoquer les difficultés de l’école à distance. Elles sont indéniables. La fameuse « continuité pédagogique » n’a fait qu’aggraver les inégalités qui existaient déjà, notamment en creusant le fossé entre les élèves qui ne disposent pas du matériel informatique adéquat et les autres. Pour un adolescent, faire ses devoirs avec un téléphone portable et/ou une mauvaise connexion, cela peut rendre fou ! Nombreux sont les élèves qui se sont découragés : le chiffre officiel de 5 à 8 % de décrocheurs est probablement largement sous-estimé.

La fermeture des écoles a causé d’autres problèmes : entre autres, elle a privé certains enfants du seul repas chaud et équilibré de leur journée à un prix largement subventionné, en les privant de cantine.

La reprise des écoles, condition de la reprise du travail

Ces problèmes sont réels. Mais ce n’est pas cela qui a poussé le gouvernement à rouvrir les écoles. D’abord, les classes qui sont appelées à rouvrir en priorité ne sont pas celles où il y a le plus d’enjeux pour les élèves (comme les classes à examen ou à orientation, type 3e, 2de ou terminale), ni celles où les élèves sont les plus à même de respecter les gestes barrières (en fin de collège et au lycée). Blanquer et Macron le savent bien, eux qui sont allés visiter une classe de primaire où la plupart des gestes barrières ont été violés durant leurs quelques minutes de présence !

Non, ceux qui vont reprendre, ce sont les élèves les plus jeunes, qui ne peuvent pas se garder tout seuls : les enfants des grandes sections maternelles, du primaire et, au collège, les 6e et 5e. Les universités ne rouvriront pas avant septembre. Les lycées probablement pas non plus, et rien n’est dit pour l’instant des 4e-3e.

Ensuite, si l’enjeu de cette reprise de l’école était vraiment de raccrocher les décrocheurs, pourquoi annoncer que la reprise serait au volontariat ? On a du mal à se convaincre que ces élèves seraient les premiers à se pointer à la porte de leur établissement.

Vers une reprise partielle

Il s’agit bien de garantir aux parents que leurs enfants seront gardés pour qu’ils puissent retourner travailler. Seulement, cet objectif se heurte au principe de réalité : le virus est encore très actif. Or les écoles sont de hauts lieux de brassage des savoirs, mais aussi de brassage des corps et des postillons ! Bref, la garderie du Medef ne pourra proposer qu’un accueil très partiel des élèves.

Partiel, d’abord, d’un point de vue géographique : la fameuse carte qui classe les départements en rouge et vert a été dévoilée le 7 mai. Dans le quart nord-est et toute la région parisienne, les collèges ne rouvriront pas.

Partiel ensuite dans les modalités d’accueil des élèves : le gouvernement a demandé aux « acteurs de terrain » d’organiser les modalités de la réouverture. Or personne ne tient à rouvrir des lieux potentiels de contamination : ni les parents d’élèves, ni les enseignants, ni les directions d’établissement, ni les mairies dont la responsabilité pénale pourrait être engagée en cas de contamination, pas même certains syndicats d’inspecteurs d’académie. Chaque corps se met à l’abri, se mobilise à sa façon.

Ainsi dans un collège du Nord-Isère, le personnel (surveillants, enseignants, AVS [1]) s’est concerté à distance. La moitié d’entre eux a participé à la rédaction d’une liste de questions et revendications relatives au port du masque, à la désinfection des locaux et du matériel, au respect des gestes barrière en classe, dans les couloirs, en récréation, à la cantine, aux entrées et sorties… Cette liste a été soumise à la direction qui l’a prise en compte dans son schéma de rentrée.

En réalité, ces revendications seront sans doute respectées ; car ce qui se dessine dans cet établissement comme, semble-t-il, dans bien d’autres, c’est la présence de très peu d’élèves en même temps. Alors que le collège compte trente classes en temps normal, seules trois classes par demi-groupe de douze élèves seront présentes en même temps. Les élèves seront répartis dans six salles l’après-midi pendant que les six autres salles occupées le matin par d’autres groupes seront désinfectées. Chaque élève de 6e et de 5e n’aura donc que deux demi-journées de cours par semaine. Soit un maximum de 70 élèves présents (le chef d’établissement table plutôt sur 30), dans un collège qui en comprend près de 580.

Matern’HELL

La rentrée en maternelle ressemble, quant à elle, à une parodie de Mission impossible. Les parents d’élèves ont reçu des protocoles d’accueil édifiants. Pour exemple, dans une école du même secteur :

– des enfants de 4 ans devront rester assis à la même table de 8h30 à 16h30 ;

– tables à un mètre les unes des autres, interdiction de se déplacer en classe ;

– interdiction de toucher le matériel collectif (car il devrait être désinfecté entre deux enfants) ;

– on ne se donne plus la main ;

– déplacement en file indienne à un mètre d’écart pour aller aux toilettes ;

– interdiction de toucher la maitresse ou l’Atsem [2] ;

– ni câlin, ni bisou ;

– pas de doudou : de toute façon il n’y aura pas de sieste ;

– le repas sera probablement pris par l’enfant seul à sa table ;

– interdiction de courir en récréation et d’aller sur les jeux.

Bref, un contexte où la bienveillance et les apprentissages seront dissouts dans la javel. Blanquer lui-même a dû reconnaître, au micro de Léa Salamé qui lui demandait comment faire pour consoler un enfant de petite section qui aurait un gros chagrin : « Ah écoutez, je crois que… Moi, si j’ai mon enfant de quatre ans à la maison qui pleure, je le prends dans les bras ». Oublié, le protocole !

Du coup, certains profs et directeurs conseillent aux parents de ne pas remettre leurs enfants à l’école. Certaines villes ont pris les devants : Lyon n’accueillera ni les petites sections ni les moyennes sections, les directeurs d’école refusant d’« appliquer un protocole inapplicable ». D’autres n’ouvriront pas les écoles avant juin voire septembre.

Le gouvernement entre deux feux…

Le gouvernement, tiraillé entre le Medef et sa responsabilité sanitaire, s’empêtre dans une apparente cacophonie. Quand Blanquer affirme que 80 % des écoles du premier degré vont rouvrir le 12 mai, c’est évidemment du bluff : il omet de préciser que c’est pour peu d’élèves et pour peu d’heures de cours.

…et les travailleurs !

Ce qui va changer, c’est que les parents vont probablement devoir financer eux-mêmes leurs jours de garde d’enfant en posant des RTT (pour ceux à qui il en reste) et des jours de congé payé, voire de congé sans solde.

Or l’indemnisation des journées de garde d’enfant a déjà diminué, et cela va continuer. Du 16 mars au 30 avril, la garde d’enfant était calée sur le régime de l’arrêt maladie, soit environ 90 % à 100 % du salaire de base selon l’entreprise et l’ancienneté. Du 1er mai au 1er juin, la garde d’enfant est passée sous le régime du chômage partiel, soit une indemnisation à 70 % du salaire brut (100 % pour un Smic). Et le gouvernement a déjà annoncé qu’à partir du 1er juin, la garde d’enfant ne constituera plus un motif de chômage partiel pour les salariés dont les enfants auraient repris l’école ; la participation de l’État à la prise en charge du chômage partiel va baisser, de façon à encourager les entreprises à redémarrer leur activité.

Le plus probable est que de nombreux élèves, surtout ceux des classes populaires, paient cette crise par des difficultés scolaires accrues ; tandis que les parents la paieront en prenant sur leur temps propre celui qu’ils passeront à garder ou à aider leurs enfants.

Nikki Promakh


[1Auxiliaires de vie scolaire, chargés de l’accompagnement des élèves en situation de handicap.

[2Agent territorial spécialisé des écoles maternelles : l’assistant ou assistante des profs des écoles.

Mots-clés Covid-19 , Enseignement , Politique
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