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De la crise sanitaire au blocage de l’économie : la logique du profit à l’œuvre

mercredi 22 avril 2020

(Photo : SEBASTIEN BOZON/AFP, CC BY-NC-ND)

« Je ne promets rien d’autre que du travail et des efforts à la sortie de la crise », affirme Bruno Le Maire. Pour une fois, un politicien tentera sans doute de tenir sa promesse ! La crise sanitaire provoquée par la pandémie du Covid-19 a incontestablement bouleversé l’économie mondiale. Et le patronat, soutenu par ses gouvernements, veut en faire payer les frais aux classes populaires. Les prévisions économiques sont toutes alarmistes. Selon la Banque asiatique de développement, le manque à gagner de l’économie mondiale s’élèverait entre 2 000 et 4 100 milliards de dollars, soit de 2,3 % à 4,8 % du PIB mondial. Le FMI prédit une récession entre 3 % et 6 % au niveau mondial, et au minimum de 6,1 % pour les économies avancées. En France, l’Insee estime la chute d’activité à 36 % pendant les deux mois de confinement, ce qui coûterait 6 points de PIB. Mais l’institut se garde bien d’une prévision pour l’année tant les incertitudes sont nombreuses sur les conditions de redémarrage.

Ce qui est sûr, c’est que le choc économique de la pandémie est rapide et mondial. La crise dépasse déjà celle de 2008 et pourrait rivaliser avec celle de 1929. Les bourses ont été les premières à plonger, entrainant une réaction massive des dirigeants de la planète. Des milliards ont immédiatement été débloqués pour voler au secours des capitalistes et de leurs profits. Il s’agirait d’éviter les faillites en chaîne. Pourtant, ce ne sont pas les faillites qui se multiplient aujourd’hui, mais le chômage, qui se répand à une allure inégalée.

Une crise économique inédite qui place gouvernements et patronat face à leurs contradictions

Avant la pandémie, certains éléments pouvaient apparaître comme les prémisses d’une nouvelle crise : ralentissement de la demande chinoise, surproduction automobile, chute de la production industrielle (notamment en Allemagne), fort endettement des entreprises, baisse de leur rentabilité économique, etc.

En août 2019, trois économistes sur quatre prédisaient une récession aux États-Unis d’ici 2021 [1]. Un pari cependant peu risqué dans ce système capitaliste où la prochaine crise est toujours en préparation. Avec un gap de 11 ans depuis la récession de 2009, le temps était d’ailleurs long, au rythme habituel des crises. La question n’était pas tant de savoir si une crise allait bientôt arriver, mais comment elle allait éclater et quelle en serait la profondeur.

C’est à ce moment-là que le Covid-19 a fait son irruption sur le devant de la scène. L’arrêt brutal et forcé d’une grande partie de la production et de la circulation des marchandises à l’échelle mondiale est venu bouleverser la dynamique interne du capitalisme. Ce choc est d’une nature bien différente de celui de la faillite de Lehman Brother, qui avait précipité la récession en 2008. Cette dernière était un symptôme de la crise économique elle-même, ce que n’est pas le Covid-19.

La crise économique actuelle est d’abord le résultat de décisions politiques d’arrêter une partie de l’économie. Décisions qui ont fait boule de neige bien au-delà de la volonté des gouvernements et du patronat. Les formes concrètes que prend la crise économique sous le confinement diffèrent de bien des manières d’une crise classique. Cela ressemble plus, par certains côtés, à une situation de grève générale, si ce n’est que le rapport de forces entre classes n’en est pas modifié (la grève de mai-juin 1968 avait elle aussi provoqué une récession sur un trimestre). La crise sanitaire vient de l’extérieur du système capitaliste et lui impose ses propres conditions. Elle place les gouvernements et le patronat devant leurs choix : fermer l’économie pour traiter la crise sanitaire au risque de perdre des profits ou maintenir l’activité et provoquer plusieurs centaines de milliers de morts ?

Schéma traduit depuis Baldwin R., Weder di Mauro B. (dir.), Mitigating the COVID Economic Crisis : Act Fast and Do Whatever It Takes, CEPR Press, mars 2020.

La bourgeoisie a vite compris la contradiction qui se présentait à elle. Ce que des économistes bien en vue dans les hautes sphères du pouvoir ont traduit dans un schéma montrant l’effet miroir des mesures d’endiguement de l’épidémie sur la récession [2]. « Ce compromis inévitable est certainement à l’origine des retards pris par certains dirigeants dans les mesures de confinement », indiquent-ils en commentaire. Ils auraient pu rajouter : et leur précipitation à vouloir les lever ! Car il est sûr que cette contradiction pèse sur les décisions des politiciens, dont la balance penche évidemment du côté du portefeuille des patrons. Elle seule peut expliquer la promesse de Macron, applaudie dès le lendemain par le journal économique Les Echos, de renvoyer tout le monde au boulot, trois jours à peine après que, grâce au confinement, la courbe de progression de l’épidémie, ou tout au moins celle des malades recensés (une minorité faute de tests), a commencé à s’aplatir un peu. Il y a un mois, on cherchait désespérément le « cas zéro » qui aurait déclenché l’épidémie en France. Le 11 mai, on enverrait, sans dépistage généralisé, des milliers de nouveaux « cas zéro » potentiels dans les écoles et les usines. Gare au rebond d’ampleur imprévisible de la courbe des contaminations !

Premier blocage : des difficultés d’approvisionnement

Le premier impact économique du Covid-19 sur l’économie mondiale est venu de l’interruption de l’activité en Chine, première à se confiner le 23 janvier. Celui-ci a été d’autant plus important que la ville de Wuhan, d’où est partie l’épidémie, est un nœud industriel et commercial important, au croisement d’une dizaine de lignes de chemin de fer et d’autoroutes, et au bord du principal fleuve, le Yangtsé, qui débouche sur Shanghai. PSA, Renault, Valéo, Saint-Gobain et une centaine d’autres groupes français y sont implantés.

La mise l’arrêt chinoise ne pouvait pas être sans conséquence pour le reste du monde. La Chine n’est plus l’atelier du monde qu’elle était il y a encore dix à quinze ans, assemblant des appareils électroniques dont elle ne maitrisait pas les technologies et arrosant le monde de textiles à bas coût. En dix ans, la Chine est devenue une superpuissance industrielle, elle est montée en gamme et génère désormais plus du quart de la valeur ajoutée mondiale de l’industrie manufacturière.

Le pays compte surtout pour un cinquième de la production mondiale de produits intermédiaires, nécessaires à la fabrication d’autres biens [3]. L’industrie automobile, la fabrication de machines, d’équipements de communication, d’instruments de précision ou encore la chimie sont autant de secteurs qui, dans l’Union européenne, aux États-Unis, au Japon, en Corée du Sud, à Taïwan ou au Vietnam, dépendent au plus haut point des composants produits en Chine. Un exemple : la Chine domine totalement l’industrie des batteries lithium-ion, pièce indispensable des véhicules électriques, dont elle dispose de 60 % des capacités de production mondiales.

L’arrêt temporaire de la production chinoise pèse d’autant plus que l’industrie, pour réduire ses coûts, applique avec rigueur une politique « zéro stock », quitte à provoquer une crise au moindre soubresaut dans un secteur. Les ruptures d’approvisionnement n’ont fait que s’aggraver quand l’épidémie s’est propagée et que les frontières se sont fermées. C’est ce qui a valu à nos politiciens bourgeois, de Le Pen à Mélenchon, de pleurer sur la perte de notre souveraineté économique : « Notre priorité est de produire davantage en France et en Europe », nous a asséné Macron dans ses discours. En revanche, lorsque l’épidémie a commencé en Chine, pas un n’a déclaré qu’il fallait mettre en œuvre tous les moyens pour aider la Chine à l’enrayer... avant qu’elle ne se répande dans le monde entier. C’est pourtant là que la « mondialisation », si elle était mise au service de l’humanité, aurait pu montrer au contraire toute son efficacité.

Deuxième blocage : des arrêts de production contraints

Lorsque le Covid-19 a gagné l’Europe, les gouvernements ont dû se résoudre à fermer par décret un certain nombre d’activités, à commencer par les établissements scolaires, les commerces non alimentaires et lieux accueillant du public (restaurants, hôtels, musées, salles de spectacles, etc.). Certains États, les plus touchés, ont fini par définir quelles étaient les activités essentielles seules à pouvoir se maintenir. En France, aucune contrainte sur le patronat, tout juste une communication à avoir sur les « gestes barrières ».

Pourtant, les arrêts se sont répandus bien au-delà de ce qu’avait prévu Macron. Fin mars, l’arrêt complet de l’activité concernait un salarié sur cinq et, pour 30 %, l’activité était réduite de plus de moitié [4]. Les arrêts ont été bien plus nombreux parmi les petites entreprises (39 % de 10 à 19 salariés contre 11 % pour 500 salariés ou plus).

C’est que, en plus de la pression des salariés pour assurer des conditions sanitaires décentes ou cesser le travail, l’interdépendance entre les entreprises a pesé. Les premières interruptions se sont cumulées aux ruptures d’approvisionnement internationales et en ont entrainé d’autres. Ce n’est qu’à ce moment-là que les grands groupes comme PSA, Renault ou Airbus se sont résolus à fermer eux aussi leurs usines, moins pour préserver la santé des travailleurs que par manque de pièces [5]. Selon la Dares, les difficultés d’approvisionnement liées à la crise du Covid-19 se sont posées dans des entreprises représentant 28 % des salariés.

Quelques patrons, notamment de PME, ont pris au sérieux l’injonction de rester à la maison, d’autant qu’ils se retrouvaient face à des salariés inquiets à juste titre pour leur santé. Mais surtout parce qu’ils pouvaient s’appuyer sur la mesure de chômage partiel payée par l’État pour interrompre la production sans avoir à payer les salaires ou pour réduire le nombre de salariés présents dans les ateliers ou sur les chantiers. Dans le bâtiment, on a même vu les patrons mener une fronde contre la ministre de Travail qui accusait de « défaitisme » économique ceux qui arrêtaient leurs chantiers. Il faut dire que, outre l’impossibilité de garantir une quelconque protection sanitaire sur les chantiers, les patrons du BTP étaient déjà coincés par le manque de matériaux et inquiets pour leurs contrats en cours qu’ils demandaient à l’État de garantir.

Mais, bien souvent, ce sont les salariés eux-mêmes qui ont imposé la fermeture ou exigé des mesures de protection dignes de ce nom par des droits de retrait. Des mobilisations qui se sont amplifiées lorsque les premiers cas arrivaient sur les lieux de travail.

Au final, selon la Dares, 16 % des salariés ont vu leur entreprise avoir recourt au chômage partiel par impossibilité de maintenir l’activité en assurant la sécurité des salariés.

Troisième blocage : un manque de débouchés

En miroir des problèmes d’approvisionnement se pose celui des débouchés. Avec la mise à l’arrêt des usines d’assemblage, les fournisseurs et sous-traitants ont bien été obligés de suivre. Même problème pour l’agroalimentaire avec la fermeture des cantines et restaurants. Quant à la fermeture des magasins et la restriction des déplacements, elles ont provoqué une chute historique de la consommation des ménages, de 35 % en France selon l’Insee [6]. Cette baisse porte autant les produits manufacturés (carburant, véhicules automobiles, vêtements, etc.), que sur les services, à commencer par l’hébergement, la restauration et les loisirs. Elle dépasse le seul effet des fermetures des magasins et il est difficile de savoir comment elle se prolongera à leur réouverture. Car nombre de travailleurs ont perdu tout ou partie de leur revenu. Sans compter que, avec les alertes médiatiques sur la récession à venir, beaucoup préfèrent mettre de côté au cas où.

Selon la Dares, le manque de débouchés s’est posé à des entreprises représentant 24 % des salariés, auquel peuvent s’ajouter d’autres difficultés liées à l’aval de la production, tel que le transport des marchandises, qui jouent dans 15 % des situations.

Mais, qu’à cela ne tienne, c’est aussi la guerre, pas celle du Covid-19, mais celle de la concurrence où c’est pour certains le bon moment de faire son trou. Les grandes enseignes du commerce en ligne, Amazon en tête, ont largement profité du report d’une partie de la consommation. Les caddies des facteurs débordent de colis et de publicités avec offres promotionnelles et livraison gratuite. La Poste elle-même en profite pour gagner des parts de marché pendant que les chaînes de livraison en point relais sont pénalisées par la fermeture des magasins. Pourtant, ce boom du commerce en ligne n’a semble-t-il pas profité à tous. Alors que 94 % des commerces en ligne restent ouverts, trois quarts d’entre eux ont vu leurs ventes chuter, dont la moitié de plus de 50 %, d’après une étude de la Fédération du e-commerce et de la vente à distance [7].

Quatrième blocage : une indisponibilité de la main-d’œuvre

La dernière difficulté qui se pose au patronat est celle de la disponibilité de la main-d’œuvre. Car inévitablement des salariés ont été atteints par le virus, augmentant l’inquiétude sur les lieux de travail et obligeant une partie des salariés à se mettre en quatorzaine. D’autres se sont mis en arrêt maladie préventivement de crainte d’être contaminés, notamment les personnes vulnérables et leurs proches. Enfin, les parents se sont retrouvés avec les enfants sur les bras, faute d’écoles ouvertes (d’où l’urgence du gouvernement à les rouvrir au plus vite). Selon la Dares, un quart des entreprises se sont retrouvées face à un manque de personnel, plus particulièrement dans les grandes entreprises.

Quant au télétravail, il a connu un grand boom pour les cadres et employés qui travaillent habituellement sur écran, tant dans le privé que les administrations. Mais ce télétravail a été en grande partie improvisé, le nombre de télétravailleurs ayant triplé en quelques jours par rapport au dernier décompte de la Dares [8]. Tous les salariés susceptibles d’un tel travail, au nombre de 8,4 millions selon une estimation de l’OFCE [9], ne sont pas équipés à la maison pour travailler dans de bonnes conditions. Et quand le télétravail se cumule avec la garde d’enfants : bonjour la productivité !

Au final, la situation des salariés la semaine du 23 mars (deuxième du confinement) se répartit en quatre quarts :

Le chômage partiel est plus important dans les petites entreprises et le télétravail dans les grandes.

Les problèmes de main-d’œuvre se sont aussi posés aux entreprises agricoles qui exploitent habituellement une main-d’œuvre étrangère. Selon la FNSEA, 210 000 saisonniers manquaient à l’appel pour la récolte des fraises, asperges et autres fruits et légumes de printemps. Qu’à cela ne tienne ! Le gouvernement a organisé un recrutement dans les centres d’hébergement de réfugiés et auprès des chômeurs partiels. Pour quel salaire et dans quelles conditions ? Quand on voit le sort réservé habituellement aux travailleurs saisonniers étrangers, on peut imaginer !

Bilan : une baisse d’un tiers de l’activité économique

L’impact sur la production a été massif : selon l’Insee [10], elle a chuté de 36 % avec le confinement. Un chiffre proche de celui que l’on retrouve dans la plupart des pays.

Dans l’industrie, entre le cinquième et la moitié de la production est assurée selon les secteurs. Le raffinage est en première ligne : entre les avions cloués au sol et les voitures qui restent au garage, la consommation de carburant est au plus bas. L’industrie agroalimentaire subit peu la crise : il faut bien continuer à manger ! Mais il a fallu réorienter la production avec la fermeture des restaurations collectives et le secteur souffre aussi de l’indisponibilité d’une partie de la main-d’œuvre (il manquerait environ 10 % des effectifs) [11].

Les services marchands sont presque aussi fortement pénalisés que l’industrie, alors que, dans la récession de 2008-2009, ils y avaient perdu six fois moins. C’est d’ailleurs l’une des spécificités de cette crise que de toucher presque tous les secteurs au même moment et de la même manière. L’hébergement et la restauration sont quasiment à l’arrêt complet et l’activité des transports est divisée par trois. Pour le commerce, l’activité est divisée par deux, mais les conséquences sont très variables selon qu’il s’agit de commerces alimentaires, non alimentaires ou en ligne. En particulier, la consommation s’est fortement accrue dans les supermarchés puisque les repas sont tous pris à la maison. Mais, cette fois, les plus gros ne sont pas toujours gagnants : les hypermarchés ont perdu leur clientèle au profit des drives (dont certains sont passés en 3×8 pour l’occasion), mais aussi des enseignes de proximité (qui dépendent souvent elles aussi de grands groupes) [12].

Même les services principalement non marchands (administrations, santé, social, enseignement) sont impactés, alors qu’ils sont en général protégés des récessions (mais pas des coupes budgétaires !), du fait qu’ils sont placés « en dehors des lois du marché », comme dirait Macron. Les seules activités épargnées sont la finance et les activités immobilières : l’encaissement des loyers se poursuit !

« La reprise, c’est maintenant » ?

Depuis que le confinement a été décrété, gouvernement et patronat se relayent dans les médias pour appeler à reprendre le travail. La santé de l’économie, c’est-à-dire des profits, est devenue le premier souci du pouvoir. Début avril, beaucoup d’usines et de chantiers ont commencé à réouvrir après une semaine ou deux d’arrêt, le temps de procéder à une désinfection et de réorganiser la production. Certains patrons ont aussi relancé l’activité après s’être vus refuser la mesure de chômage partiel [13]. La reprise a lieu en premier dans les petites entreprises, où les difficultés financières sont souvent réelles, contrairement aux grands groupes comme PSA, Toyota ou Airbus qui ont largement les moyens de continuer à verser les salaires sans demander aux travailleurs de risquer leur vie. Mais les blocages ne sont pas encore levés et les usines qui ont repris tournent au ralenti et à effectif réduit. À Airbus, la reprise a été surtout symbolique, tandis que PSA est toujours en peine pour faire redémarrer une production qui n’apparaît en rien essentielle. Les travailleurs sont encore loin de s’en laisser compter et les grèves pour imposer le minimum de protection ne sont pas rares.

Depuis la mi-avril, le mouvement de reprise s’accélère pourtant. Le patron des patrons, Roux de Bézieux, a lancé son mot d’ordre dans Le Figaro : « La reprise, c’est maintenant ! » [14]. Macron a fixé le début du déconfinement au 11 mai. Mais de plus en plus d’entreprises se remettent en marche dès à présent, comme en témoigne l’affluence dans les transports en commun. Les patrons s’appuient sur la lassitude du confinement et les pertes de salaire pour pousser à reprendre le travail. Le 11 mai, ce sera surtout la réouverture des écoles (à moins que les profs et les parents n’en décident autrement !) pour mettre fin aux contraintes de garde d’enfants, au mépris du risque de nouvelle vague épidémique.

Pour autant, ce redémarrage de l’économie ne marque pas la fin de la crise. Après l’interruption des chaînes de production, les entreprises doivent se recaler les unes sur les autres dans un contexte d’incertitudes sur les débouchés futurs. Et ce à l’échelle internationale. Inévitablement, la relance de l’activité connaîtra des hoquets, avec à chaque fois des risques de faillites. À en croire la presse, il y a déjà du rififi entre patrons pour la renégociation des contrats à l’aune des nouvelles perspectives économiques et sur le paiement des factures durant le confinement [15].

Faire la guerre au virus du profit

Sans compter que, avec les pertes de chiffre d’affaires durant le confinement, les patrons vont vouloir réduire leurs coûts et supprimer des emplois pour repartir sur de meilleures bases dans la course à l’exploitation et au profit. Les investissements ont aussi de fortes chances de devenir plus rares, d’autant qu’avec les risques élevés de faillites, les banques accorderont plus difficilement de nouveaux crédits lorsqu’ils ne seront plus garantis par l’État. Les petites entreprises seront les premières à trinquer, licenciant à tout-va faute de trésorerie, car, même avec les 300 milliards de prêts garantis par l’État, on prête surtout aux gros.

La paralysie va aussi se poursuivre dans les mois qui viennent dans certains secteurs, celui de l’hôtellerie et du tourisme, par exemple. Les voyages seront sans commune mesure avec ceux qui se font d’ordinaire en cette saison, surtout après le hold-up sur les congés. Pour le transport aérien, l’État renflouera Air France, c’est déjà dans les tuyaux. Le PDG du groupe espère même une rallonge en vue de racheter quelques concurrents low cost en difficulté financière. Mais quid du personnel resté au chômage des compagnies et de leurs sous-traitants ? Comme dans d’autres secteurs, pendant que les uns chômeront (sans salaire ni indemnité chômage pour les plus précaires d’entre eux), les autres devront marner plutôt que partir en vacances, avec des semaines de travail pouvant aller jusqu’à 60 heures au nom de la relance économique.

Partager le travail entre tous, interdire les licenciements, garantir les salaires plutôt que les profits et les intérêts des banques, vous n’y pensez pas. Ce n’est pas dans les lois économiques de la société d’aujourd’hui. C’est bien là la dinguerie de cette société capitaliste : une crise sanitaire, propagée à partir d’un discret pangolin ou d’une petite chauve-souris dont on aurait perturbé les conditions de vie, risque de se transformer en crise économique mondiale jetant des millions de gens au chômage ou dans la misère. C’est le résultat de méfaits d’un tout autre virus, niché dans les ciboulots de quelques animaux bien plus sauvages et qu’il serait grand temps de mettre en quarantaine, le virus de la course au profit. La perte de deux mois de production pourrait bien se transformer en un blocage économique pour bien plus longtemps, se propageant de façon « exponentielle » et quelque peu imprévisible, comme une pandémie.

Avec la fin du confinement, ce n’est pas un scénario de sortie de crise qui se dessine, celle-ci menace de déboucher sur une nouvelle crise économique, de forme plus classique, dont l’ampleur et la durée restent incertaines. D’autant que les nouvelles difficultés se cumulent aux anciennes. La réponse du patronat sera là encore politique, il s’agira de faire payer aux travailleurs les profits perdus. La recette est connue : chômage pour les uns, surexploitation pour les autres.

Le gouvernement a déjà placé les armes sur la table par ordonnance. Aux travailleurs d’être aussi politiques et de défendre leurs propres intérêts de classe.

Maurice Spirz


[1National Association for Business Economics, “Most NABE Economists Expect Recession by the End of 2021 ; Express Overwhelming Support for Federal Reserve Independence”, Economic Policy Survey, août 2019.

[2Baldwin R., Weder di Mauro B. (dir.), Mitigating the COVID Economic Crisis : Act Fast and Do Whatever It Takes, CEPR Press, mars 2020.

[3Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), “Global trade impact of the coronavirus (Covid-19) epidemic”, Trade and development report update, 4 mars 2020.

[4La Dares (service statistique du ministère du Travail) a mené une enquête flash auprès des entreprises non agricoles de 10 salariés ou plus. Les résultats portent sur la situation la semaine du 23 mars. Ils ont été publiés en ligne : Dares, « Activité et conditions d’emploi de la main-d’œuvre pendant la crise sanitaire Covid-19 », Synthèse des résultats de l’enquête flash, 17 avril 2020.

[5Le magazine patronal L’Usine Nouvelle a dressé une liste des principales usines fermées : Chodorge S., « Quelles usines françaises ont fermé à cause du Covid-19 ? », L’Usine Nouvelle, 18 mars 2020, mise à jour 6 avril 2020.

[6Insee, « Note de conjoncture », 9 avril 2020.

[8Hallépée S., Mauroux A., « Quels sont les salariés concernés par le télétravail ? », Dares Analyse n° 051, novembre 2019.

[10Insee, « Note de conjoncture », 9 avril 2020.

[13Kindermans M., Garnier C., « Pourquoi après avoir fermé, certaines entreprises redémarrent », Les Échos, 9 avril 2020.

[14Landré M., « Roux de Bézieux : "La reprise, c’est maintenant !" », Le Figaro, 11 et 12 avril 2020.

[15Dupont-Calbo J., « Après un mois de crise, les tensions montent dans les entreprises », Les Échos, 14 avril 2020.

Mots-clés Article , Capitalisme , Covid-19 , Crise , Économie
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