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Une société à coucher dehors !

vendredi 13 janvier 2006

L’incendie meurtrier de l’immeuble du Boulevard Auriol, cet été à Paris, a mis en lumière les conditions de logement terribles de toute une partie de la population ouvrière. Les familles de sinistrés étaient celles de travailleurs de sociétés de nettoyage, ou d’éboueurs de la Ville de Paris, le plus souvent d’origine malienne ou ivoirienne. L’immeuble avait des planchers branlants et, par endroits, largement troués. Des fils électriques pendaient. En cas de pluie, l’eau traversait les plafonds. De telles conditions de logement sont loin d’être exceptionnelles. La précarité se généralise, les salaires stagnent, le chômage explose : résultat, le nombre de mal-logés atteint des sommets.

Il existe aujourd’hui en France 3 millions de mal-logés, dans des logements insalubres, squats, hôtels meublés, caravanes ou divers abris de fortune. Auxquels s’ajoutent un million de personnes hébergées par des proches et 150 000 squatters et sans domicile fixe. Un tout petit peu au-dessus, 5,7 millions de personnes se trouvent en situation de fragilité, occupant des bâtiments dépourvus de confort de base, sans douche ni WC. Soit un total de près de 10 millions de personnes, une personne sur six, vivant dans des logements indignes de notre époque.

Le parcours du combattant

Les loyers étant trop chers, des familles se font expulser. Si le phénomène n’est pas nouveau, il a doublé de 1998 à 2004. Quelle possibilité reste-t-il alors ? Trouver un nouvel appartement pas trop éloigné de son travail devient mission impossible. Reste le camping ou l’hôtel. Et des situations censément provisoires s’éternisent. Deux caravanes de camping se louent 600 € sans même compter la taxe d’habitation (de 25 € le mètre-carré !) dont les campeurs sont désormais redevables.

Lorsqu’on touche le Smic il est pratiquement impossible d’économiser les trois mois de caution nécessaires à la location d’un appartement... d’un prix équivalent aux roulottes de camping. Il en va de même à l’hôtel. Une petite chambre de 20 mètres-carrés se loue 550 € par mois dans le centre de Marseille par exemple. C’est très cher, en particulier lorsqu’on ne dispose que d’un maigre salaire pour trois. Mais l’hôtel comme le camping ne demandent pas de caution.

Une situation qui laisse le champs libre à toutes sortes d’aberrations : le prix d’une minuscule chambre d’hôtel, mal équipée, est l’équivalent du prix d’un quatre pièces en HLM. Mais, pour obtenir un F4, il faut être inscrit depuis des années sur les listes de la mairie, indépendamment d’urgences bien réelles. De même, les mairies refusent de loger une femme seule avec trois enfants dans un F3, au nom du principe, initialement juste, que chaque enfant doit disposer d’une chambre. Mais, s’il n’y a que des F3 disponibles et pas de F4, la famille est contrainte de s’orienter vers un camping précaire pour 600 € par mois, alors que des F3 à 500 € par mois sont laissés vacants ! La pénurie de logements peu chers fait les choux gras des hôteliers et gérants de campings qui savent que les logements qu’ils offrent, aussi chers et peu adaptés soient-ils, sont la dernière solution pour des familles démunies... avant la rue. Si de tels phénomènes sont monnaie courante c’est en premier lieu le fait des exigences des propriétaires.

Des exigences exorbitantes des propriétaires

Pour louer un appartement, il faut disposer de revenus au moins trois fois supérieurs au loyer. En théorie, un smicard ne peut donc se loger à plus de 350 € par mois. Mais dans les grandes villes, de tels loyers n’existent presque plus. À moins d’accepter une chambre de bonne, avec ou sans douche. Un 40 mètres-carrés à Paris se loue aujourd’hui autour de 750 €. Une taille d’appartement tout juste décente pour un couple. Or, si l’on suit les exigences des propriétaires, aucun couple disposant de revenus inférieurs à 2 300 € par mois ne doit pouvoir y accéder. Sans compter que les deux locataires doivent travailler sous CDI, car travailler en CDD constitue un handicap majeur pour un propriétaire. Même lorsque la somme est réunie, le cautionnement d’une tierce personne est nécessaire. Enfin, il faut souvent avancer trois mois de loyers, voire plus. Tel ce propriétaire demandant aux parents d’un locataire de bloquer sur leur compte un an d’avance des loyers !

Pour les travailleurs immigrés ou ceux dont le nom ou la couleur de peau ne sont pas du goût des propriétaires et des agences immobilières, le parcours du combattant vers un logement est encore aggravé. Un exemple récent : Mme d’Esquelle de la Palme, propriétaire désireuse de vendre sa maison, n’est « pas raciste », pour preuve elle a des «  voisins algériens et musulmans » qu’elle aime bien, enfin « surtout leur chien », mais elle préfère vendre « à un chrétien  ». Elle a été condamnée par le tribunal de Bobigny pour avoir refusé de céder son pavillon à une famille musulmane. Que dire encore de la gérante d’une agence immobilière toulousaine condamnée en août 2005, à huit mois de prison avec sursis pour ne pas avoir soumis des offres de logements à des candidats étrangers. 250 propriétaires avaient eu recours à la mention P.E., pour « pas d’étranger », un label qu’elle proposait à son aimable clientèle de propriétaires racistes.

Clara SOLDINI


Qui sont les SDF ?

Être sans domicile fixe serait-il synonyme de marginalité ou de chômage de très longue durée ? Pas du tout ! Une personne sur trois à la rue aurait même un emploi, selon une enquête de l’Insee de 2003 ! Et parmi ces travailleurs, un quart possèdent un contrat à durée indéterminée, mais touchent un salaire qui ne leur permet pas de se loger. Il faut dire qu’une part de plus en plus importante est consacrée au loyer : 40 % de ses ressources, contre 29 % il y a quinze ans.

Le premier mort du froid cet hiver était un intérimaire de 38 ans qui travaillait pour des entreprises de ramassage d’ordures ménagères. Expulsé de son logement fin octobre, juste avant la trêve hivernale, il vivait depuis dans sa voiture où il a trouvé la mort par - 5°C. Travailler, et même avoir un emploi stable, ne garantissent donc plus un toit. L’exemple de certains employés de la mairie de Paris est à ce titre probant : ils seraient 30 à 50 à ne pas avoir de domicile, comme par exemple cet employé d’une mairie d’arrondissement qui dort dans les couloirs de la Gare du Nord. Les loyers parisiens sont inaccessibles aux employés de la Ville.

Dormir à la rue c’est une question de pauvreté, pas de marginalité. Et des travailleurs pauvres, il y en a de plus en plus.

C.S.


Les cadres aussi : victimes des ventes à la découpe

Certains locataires parisiens sont victimes depuis quelque temps de ce qu’on appelle « la vente à la découpe ». De quoi s’agit-il ? Des investisseurs achètent des immeubles par bloc et les revendent ensuite appartement par appartement, en réalisant au passage de juteux bénéfices. Tel ce fonds de pension ayant investi 79 millions d’euros pour acheter un immeuble square du Roule, soit un prix moyen de 3 700 € par mètre-carré. À la revente, le prix est de 6 300 € par mètre-carré. L’investisseur réalise une plus value de 70 % !

Avec la hausse des prix de l’immobilier, ces ventes sont en constante augmentation : 43 000 en 2005, contre 37 000 en 1998.

Et qu’advient-il des locataires « découpés » ? S’ils n’ont pas les moyens de racheter leur logement, ils doivent le quitter. Pour trouver des appartements équivalents à ceux qu’ils occupaient, il leur faut déménager à la périphérie des villes. C’est ainsi que certaines franges des classes moyennes découvrent qu’elles peuvent être rejetées de la capitale, à cause de la flambée des prix, alors qu’elles se croyaient jusque-là protégées.

C.S.

Mots-clés Logement , Société
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