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États-Unis : Les syndicats veulent changer pour gagner ? Oui, mais quoi ?

vendredi 13 janvier 2006

Le 27 septembre, 7 syndicats [1] dont les 3 plus importants du pays - le Syndicat international des employés des services (SEIU), les Teamsters (syndicat des camionneurs) et l’Union des travailleurs du commerce et de l’agroalimentaire (UFCW) - ont scissionné de la centrale AFL-CIO pour en construire une nouvelle : « Change To Win » (CTW). Le CTW regrouperait 5,8 millions d’adhérents, alors que l’AFL-CIO en compterait désormais un peu moins de 9 millions.

Cette scission est intervenue après 18 mois de débats sur les raisons de la perte d’influence des syndicats depuis 30 ans. En effet, en 1955, quand l’AFL a fusionné avec le CIO, 35 % des travailleurs du privé étaient syndiqués. Aujourd’hui ils sont à peine 8 %. Ce déclin du syndicalisme, implanté essentiellement alors dans l’industrie, a été le résultat de l’incapacité de l’AFL-CIO à s’opposer à la fermeture des usines, aux réductions de personnel et aux baisses de salaire. Parallèlement, pourtant, l’emploi se développait dans les transports, le bâtiment, la vente, les services aux entreprises, l’agroalimentaire et les services médicaux.

Recentrage

Le CTW s’est construit dans ces secteurs. S’appuyant sur le développement du syndicat des services (SEIU), son secrétaire Andy Stern, a proposé d’y recentrer l’activité de l’AFL-CIO. La préoccupation première des syndicats qui ont mis en place le CTW, était de prendre plus de poids au sein de la centrale. Ce n’est que lorsque les négociations entre rivaux pour aboutir à un rééquilibrage des rapports de force internes au sein de la direction ont échoué que les leaders du CTW ont décidé de créer une nouvelle centrale.

Le débat, qui a surtout agité les milieux dirigeants, n’a porté à aucun moment sur le rôle et les tâches d’un syndicat dans la défense des travailleurs. Andy Stern a déclaré à des journalistes lors du congrès fondateur du CTW « qu’il est nécessaire d’établir un partenariat avec les patrons et le gouvernement », d’autant que l’époque « est à tester le leadership économique des États-Unis dans le monde ». Il n’y a donc pas de rupture de la part du CTW avec la longue tradition de collaboration de classe de l’AFL-CIO.

Que se propose le CTW ?

Lors du congrès de fondation, les principaux leaders ont annoncé leur intention de faire une campagne de syndicalisation - pour laquelle ils seraient prêts à dépenser 750 millions de dollars par an -, ciblant les grandes entreprises dans le secteur des services. Wal-Mart est l’objectif principal. Cette entreprise est la plus importante chaîne de magasins et le plus gros employeur privé du pays avec 925 000 salariés (souvent payés moins de 10 $ de l’heure et sans couverture maladie). Son expansion s’est d’ailleurs faite aux dépens d’autres chaînes dont les employés bénéficiaient de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail que ceux de Wal-Mart... malgré les concessions déjà consenties par leur syndicat, l’UFCW maintenant adhérent du CTW (ce qui augure mal quand même de la future politique de celui-ci...).

Mais d’autres indices amènent à s’interroger sur la politique réelle que se propose de mener le CTW. Ainsi les dirigeants des Teamsters se vantent-ils d’utiliser leur base comme levier pour cette campagne mais, jusque-là, ils ont laissé Wal-Mart utiliser des sociétés de camionneurs qui n’acceptent pas de syndicats, sans gros effort pour remédier à cela.

D’autre part, si le CTW s’efforce certes d’organiser des « associations de salariés de Wal-Mart », son orientation principale consiste à construire des coalitions municipales qui dénoncent les bas salaires et l’absence de couverture maladie dans cette entreprise... parce que cela amènerait ces mêmes travailleurs à vivre sur les secours des municipalités et donc assèche le budget de celles-ci ! Une façon de traiter les travailleurs en pauvres victimes qui doivent mettre leurs espoirs dans les politiciens locaux plutôt que de les appeler à s’organiser et jouer le premier rôle pour changer leur sort.

Méfiance vis-à-vis de la base

L’intervention du SEIU dans le secteur de la santé montre ce que le CTW entend par organiser les travailleurs.

La chaîne hospitalière Tenent  qui connaît en ce moment des problèmes juridiques en raison d’irrégularités financières  a promis de ne pas faire opposition à la reconnaissance du SEIU dans 42 de ses centres hospitaliers si celui-ci y obtient la signature de la majorité des salariés (ce qui n’est que l’application de la loi). L’accord en vue comprend également une clause sur les augmentations de salaires pour les quatre ans à venir, augmentations qui auraient eu lieu de toute façon étant donné le manque de main d’œuvre qualifiée. Mais, de l’autre côté, cet accord restreint le droit des travailleurs et du syndicat à soulever certains problèmes sur les conditions de travail. Et si, au bout de ce premier accord, Tenent et le syndicat n’arrivent pas à s’entendre à nouveau, une commission sera chargée de rédiger un nouvel accord, valable trois ans. Le hic ! Les travailleurs eux-mêmes n’auraient pas le droit de se prononcer sur l’accord, ni de se mettre en grève si ce dernier ne leur convenait pas. En gros, le CTW s’engage pour que, pendant 7 ans, les travailleurs n’aient pas leur mot à dire sur le type de contrat auquel ils seraient soumis !

Les leaders présentent ce centralisme renforcé comme une amélioration de la force de frappe des syndicats. Et Stern lui-même a déclaré que des élections pour la direction du syndicat « politisent les troupes du syndicat, elles coûtent cher, elles nous déconcentrent par rapport à nos priorités...Il est difficile d’affirmer que les syndicats avec élections directes représentent mieux leurs membres... ». Aucun bureaucrate ne peut être plus clair.

Quel espoir ?

Malgré cela, une partie de la gauche américaine semble mettre ses espoirs dans le CTW. Elle espère que sa campagne redonnera des forces au syndicalisme. Parfois, elle fait référence à la naissance du CIO dans les années 1930, bien que Stern, toujours lui, ait pris le soin de dissiper toute équivoque : à l’époque, dit-il, « il s’agissait de syndicats de lutte de classe, mais, aujourd’hui, les travailleurs ne veulent pas de syndicats pour causer des problèmes, mais pour les résoudre ». Dans les années 1930, en effet, de nouveaux syndicats furent construits par des militants socialistes, communistes, trotskistes, staliniens ou syndicalistes prenant la tête d’une vague de luttes de secteurs entiers du monde du travail. Et pourtant, même à l’époque, les chefs du CIO, comme John L. Lewis du syndicat des mineurs, ne sont entrés dans la lutte que par peur de rester à la traîne. Ils participèrent au mouvement avec la volonté de canaliser la colère ouvrière dans le cadre d’un partenariat avec « les patrons et le gouvernement », du même acabit que celui que Stern a en tête.

Au total, la formation du CTW promet au mieux quelques gains limités, mais apparemment pas de riposte à la hauteur des multiples attaques du patronat. À moins qu’un nombre croissant de travailleurs mécontents et frustrés commencent à construire des organisations de lutte de classe, sous un sigle ou sous un autre. Et à condition que l’extrême gauche américaine, aujourd’hui faible, marginalisée et isolée, trouve les moyens d’être à nouveau présente dans la classe ouvrière.

Décembre 2005

Victor LEWIS


[1Les syndicats américains sont en général organisés à l’échelle nationale d’une branche (voire de plusieurs). Ils correspondent donc à ce qu’on appelle ici des fédérations. À l’échelle des entreprises, même très importantes, il n’y a juridiquement que des sections (locals)... avec évidemment des droits restreints d’une section par rapport à ceux du centre. Du coup ce qui est ici confédération est appelé là-bas fédération (AFL-CIO ou CTW).

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