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Arrêtons le gâchis

mercredi 12 juin 2002

Le revers est net et sans bavure. Pour la gauche, mais aussi pour l’extrême gauche.

Pour la première cette claque infligée par les électeurs confirme la gifle déjà reçue le 21 avril lors du premier tour des présidentielles. Elle récompense évidemment la veulerie de cette gauche qui en se réfugiant derrière Chirac sous le prétexte de faire barrage à Le Pen a ouvert un boulevard pour la réélection triomphale du premier et du coup le retour d’une majorité de droite. Quitte à faire confiance à la droite pour se protéger d’un danger même imaginaire autant voter pour la vraie droite que la fausse gauche.

Surtout ce camouflet sanctionne cinq ans de gouvernement de gauche plurielle. Les abstentionnistes du 21 avril n’étaient ni les inciviques ni les insouciants que médias ou politiciens ont voulu nous présenter. Pas plus les votants « protestataires ». Les uns comme les autres, essentiellement dans les couches populaires, les pauvres et les travailleurs, avaient dit avec leurs pieds ou éventuellement les bulletins de vote de l’extrême gauche ou de l’extrême droite leur hostilité à ce gouvernement qui, sous le prétexte de réduire la semaine de travail, a réduit en fait les salaires ou les acquis ou qui, en prétendant lutter contre le chômage, a laissé les licenciements économiques s’entasser les uns après les autres. On en passe, et des plus mauvaises, tant cette gauche plurielle au gouvernement aura fait ou laissé faire pour aggraver les conditions de vie. Les abstentionnistes du 9 juin viennent de redire la même chose, plus nombreux encore, c’est-à-dire plus dégoûtés, plus écœurés ou plus désespérés.

Les vieilles ornières du mouvement trotskiste

Le revers n’est pas moins sévère pour l’extrême gauche, davantage pour notre organisation Lutte ouvrière mais en fait pour tout le monde, y compris la Ligue communiste révolutionnaire (qui n’a guère de raison de faire du triomphalisme pour avoir des résultats simplement moins mauvais). Le 21 avril plus de 10 % des votants avaient choisi d’exprimer leurs sentiments sur les noms d’Arlette Laguiller et Olivier Besancenot ou encore Daniel Gluckstein. Un quart à peine a cru bon de refaire ce geste le 9 juin, alors que ces sentiments n’ont pas changé.

Certes les excuses ne manquent pas : le vote utile (mais il a moins touché d’autres formations minoritaires qui en ont aussi été victimes comme le Front national, les Verts ou même le PCF), le nombre des candidats (mais on nous a servi la même chose lors des présidentielles), le fait que les législatives sont forcément plus défavorables pour une formation comme LO que les présidentielles (mais lors de précédentes législatives, dans un contexte moins favorable encore, les résultats furent meilleurs), ou encore que les médias soit ont été méchants avec nous soit ont refusé de nous ouvrir colonnes ou micros... Toutes choses sans doute bien réelles et qui ont joué, mais qui reviennent à dire que nous avons des adversaires et que nos ennemis ne nous font pas de cadeaux. Ce à quoi des révolutionnaires peuvent s’attendre.

Le fait est que l’extrême gauche avait su capter l’attention de 3 millions d’électeurs, leur faire même espérer quelque chose de son côté, en tout cas les amener à juger « utile » justement de marquer le coup en mettant dans l’urne un bulletin de vote au nom d’un de ses candidats. Et en sept semaines, pas plus, elle n’a pas su retenir l’intérêt du plus grand nombre d’entre eux, pas su leur donner des raisons de continuer à croire en elle, ne serait-ce qu’un petit peu, ne serait-ce que pour aller jusqu’à refaire le geste de voter pour elle au premier tour.

On ne doit pas avoir vu souvent un tel gâchis, en si peu de temps. Il est vrai que le mouvement trotskiste nous a habitués depuis longtemps à se diviser et s’opposer sur des politiques aussi radicalement fausses des deux côtés. Deux organisations, deux politiques, deux erreurs. L’adage reste vrai, malheureusement. On aura rarement eu un aussi un bel exemple que celui donné par la LCR et LO ces dernières semaines.

Comment LO en se repliant sur elle-même, en disant non aux propositions d’alliance de la LCR mais sans faire elle-même la moindre contre-proposition (et quand on ne fait pas que feindre d’explorer les possibilités d’alliance mais que les propositions de l’autre sont inacceptables, on fait celles qui semblent acceptables), en bref se refusant toujours à avoir une politique vis-à-vis de l’extrême gauche, aurait-elle pu ouvrir à celle-ci la perspective que beaucoup de ceux qui ont voté pour elle attendent plus ou moins confusément ? Et comment la LCR l’aurait-elle fait davantage, en appelant à voter Chirac au deuxième tour et montrant par là qu’elle ne croyait ni en elle ni dans le courant révolutionnaire en général pour donner une perspective politique indépendante et s’opposer à l’extrême droite comme à la droite ou à la gauche ?

Redresser la barre

Les résultats électoraux sont la sanction de ces dérives opposées. En affaiblissant la crédibilité de l’extrême gauche toute entière ils pèseront forcément un peu sur ses capacités dans la période qui vient. Ils ne sont cependant que le baromètre de la situation dans laquelle l’extrême gauche s’est fourvoyée. Nous espérons donc qu’ils serviront à redresser la barre.

Car ses capacités, l’extrême gauche va avoir dans la période qui vient l’occasion, et sans doute plutôt dix fois qu’une, de les démontrer et en même temps de regagner l’attention et l’intérêt de bon nombre de travailleurs, y compris de ceux qu’elle a déçus dans ces législatives.

La droite, les Chirac, Raffarin et consorts, ne cachent pas leur volonté de continuer l’œuvre du gouvernement précédent et de porter des coups redoublés au monde du travail. Retraites, salaires, conditions de travail dans les entreprises, conditions de vie dans les quartiers ouvriers, tout est dans son collimateur. Requinquée par son succès et la perspective d’avoir une majorité écrasante dans la nouvelle assemblée nationale, son arrogance croît encore.

Oui, les occasions pour l’extrême gauche de prendre des initiatives sur les terrains de la lutte de classe ne vont pas manquer, dès les prochaines semaines, puisque l’offensive patronale et gouvernementale nous est annoncée pour l’immédiat. Et en fait c’est là-dessus qu’elle sera jugée, à juste titre.

Espérons qu’elle sera à la hauteur. LO en sortant de son repli sur elle-même pour proposer au reste de l’extrême gauche, et d’abord à la LCR, cette politique et ces initiatives nécessaires. La LCR en sachant se désengluer de l’attraction d’une gauche qui rejetée dans l’opposition peut se montrer un peu plus radicale en parole puisqu’elle évitera d’être jugée dans les faits.

Jacques MORAND