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Bolivie et Equateur : deux mouvements, une seule perspective

vendredi 14 octobre 2005

Bolivie (mai-juin 2005) et Equateur (avril et août 2005), ont été le théâtre de luttes dans lesquelles les travailleurs, les chômeurs, les étudiants, les Indiens et les paysans se sont opposés aux gouvernants et à la bourgeoisie. Ces mobilisations massives ont bloqué totalement les capitales, La Paz (Bolivie) et Quito (Equateur), l’activité économique, administrative et politique, les communications et l’approvisionnement ainsi qu’une grande partie de la production et de la distribution d’hydrocarbures des deux pays, contraignant leurs présidents à la démission. Depuis plus de cinq ans, ce ne sont ni les élections ni les coups d’état qui défont les gouvernements équatoriens et boliviens : c’est la rue. En Bolivie comme en Equateur, ce sont les organisations ouvrières, plutôt que les organisations paysannes ou indiennes, qui ont marqué la lutte, notamment par la grève générale. Les puits ont été bloqués par des salariés du pétrole et du gaz eux-mêmes, travaillant à la production, au raffinage et à la distribution, et non plus par des manifestants extérieurs. Des milliers d’autres salariés de multiples secteurs (santé, mines, transport, éducation...) se sont également mobilisés.


Bolivie


La révolution ouvrière de 1952 et ses conséquences

Si la Bolivie est souvent connue à l’extérieur parce que Che Guevara y a mené sa dernière guérilla dans les campagnes, son histoire est essentiellement marquée durant plusieurs décennies par des luttes ouvrières très dures, sanglantes le plus souvent, mais aussi parfois victorieuses. Et ce pays a connu la seule véritable révolution prolétarienne de toute l’Amérique Latine, celle de 1952. Celle-ci, dirigée par les organisations ouvrières (organisations syndicales comme la puissante fédération des mineurs de Juan Lechin et organisations politiques révolutionnaires comme le POR trotskyste de Guillermo Lora), a éclaté en avril 1952, avec pour principale force les mineurs armés. Ce sont eux qui ont pris les bases militaires aériennes, gagné la bataille de La Paz et pris le pouvoir le 11 avril 1952. Mais ces organisations, toutes sans exception, ont remis ce pouvoir au MNR de Paz Estenssoro. Ce parti réformiste au passé national-socialiste, prétendait réaliser un vaste programme d’indépendance nationale et de développement économique. Il avait un large soutien dans la population, notamment dans la petite bourgeoisie, mais ne disposait d’aucune force capable de faire tomber le régime.

Le MNR faisait illusion, en se disant favorable à la nationalisation des mines. En 1952, si l’Etat bourgeois a pu nationaliser les richesses du sous-sol, sous la pression révolutionnaire des travailleurs, ce ne fut certainement pas pour les mettre au service des exploités. Paz Estenssoro ne s’est attaqué qu’aux mines d’étain et encore, seulement celles des trois plus grandes compagnies. Contrairement aux promesses faites, il les a indemnisées et c’est la population qui en a payé le prix. Loin d’aider au développement du pays, la nationalisation avec indemnisation a amené l’économie bolivienne au bord du gouffre, paupérisé les travailleurs et les paysans et rendu le pays encore plus dépendant. Le nationalisme prétendument anti-impérialiste de la petite bourgeoisie et d’une partie de la bourgeoisie et des chefs militaires a montré ses limites.

La haute bourgeoisie, momentanément déstabilisée, a très vite repris le contrôle du gouvernement. Le pouvoir a cependant été contraint d’associer les directions syndicales au régime durant les années qui ont suivi, et surtout, la classe ouvrière s’est sentie assez forte pour mener des combats importants et faire reculer patrons et gouvernants. La centrale ouvrière COB, construite le 16 avril 1952, dans la foulée de la révolution, est restée une épine dans le pied du pouvoir (même si son leader Juan Lechin est devenu par la suite ministre des mines !)

Les organisations syndicales ouvrières se sont opposées directement à Paz Estenssoro dès 1956, alors qu’il lançait un plan économique de sacrifices imposé par les USA. En 1963 et 1964, le leader nationaliste restructurait les mines d’Etat et brisait toute protestation en faisant tirer à balles sur les mineurs. Finalement les militaires prenaient le pouvoir et, pour de nombreuses années, la Bolivie entrait dans l’ère des coups d’état. Les chefs militaires, notamment le général Barrientos, tenaient un discours nationaliste, populiste démagogique. Ils gagnaient une certaine popularité dans les campagnes mais amplifiaient encore les attaques contre les ouvriers qui ripostaient, notamment de mai à septembre 1965.

En 1969, le pouvoir devait à nouveau composer avec le mouvement ouvrier, réintégrant même des mineurs licenciés en 1965. Les travailleurs, et tout particulièrement les mineurs, restèrent une force invaincue.

1971-1985 : nouvelle offensive contre les travailleurs

En 1971, le coup d’état militaire du général Hugo Banzer est dirigé directement contre la classe ouvrière. Les syndicats ouvriers sont déclarés illégaux en 1974, de même que les grèves ouvrières. C’est encore à la résistance des travailleurs des mines et du textile que se heurte en 1975 la dictature. Les droits politiques sont suspendus. Les mines, occupées militairement, mais les grèves continuent tout au long des années 1975 à 1977. En 1979, la classe ouvrière répond par la grève générale au coup d’état du colonel Busch. En juillet 1980, le président Garcia Meza, à l’école des militaires tortionnaires argentins, fait assassiner de nombreux leaders ouvriers et bombarde les mines. De 1982 à 1985, sous la présidence de Siles Suazo, une vague de grèves ouvrières est organisée par la centrale syndicale COB. En mars 1985, celle-ci amène 10.000 mineurs armés de dynamite à La Paz pour une « marche contre la faim » qui se transforme en vingt jours de siège de la capitale.

Il faudra le retour au pouvoir de Paz Estenssoro en 1985, l’ancien vainqueur de la révolution de 1952, pour véritablement briser la force politique et sociale de la classe ouvrière bolivienne. C’est après une entente avec l’ex-dictateur Banzer qu’Estenssoro devient président et il annonce immédiatement une remise au pas des mineurs. Les mines d’Etat sont déclarées non rentables et réorganisées en vue d’être privatisées. Onze mines ferment et 23.000 mineurs sont licenciés. En septembre 1985, la COB déclenche la grève générale illimitée. Le gouvernement réplique par la loi martiale, arrête des centaines de leaders syndicalistes. En 1986, 30.000 mineurs, 18.000 ouvriers, 20.000 employés de banque et des milliers d’employés d’Etat sont licenciés. Une nouvelle confrontation a lieu en août 1986, au cours de laquelle 10.000 mineurs envahissent la capitale. Elle se solde par un nouvel échec : à nouveau la loi martiale et l’arrestation des leaders. Juan Lechin, ayant échoué dans une nouvelle tentative de conciliation, démissionne de la direction de la COB qui va désormais dériver de plus en plus à droite, devenant même l’auxiliaire de la dictature. Pour les mineurs, c’est la répression, les licenciements, la misère et la démoralisation.

1993-2001 : Indiens et paysans en tête

Des milliers de salariés licenciés, en particulier les mineurs, sont contraints, pour survivre, de devenir planteurs de coca. Ils apportent au mouvement paysan une expérience de lutte.

Les syndicats ouvriers mis au pas, c’est la paysannerie et les Indiens qui tiennent dorénavant le devant de la scène dans la protestation collective. La répression lancée dès 1988 contre les paysans de la coca par le gouvernement bolivien, à la demande des USA, provoque de nombreuses réactions et contribue à leur organisation autour des syndicats paysans et des partis indiens.

En 1993, le gouvernement procède à des privatisations massives (chemin de fer, pétrole, électricité, fonderies, télécommunications, compagnies aériennes). Les services publics se dégradent. La misère augmente, tout particulièrement dans les campagnes. Les cocaleros (des paysans cultivant la feuille de coca et non des trafiquants de la cocaïne), organisés notamment par Evo Morales, mènent la lutte depuis 1997. La révolte contre la mainmise sur le service public de l’eau par le trust américain Bechtel débute en avril 2000 dans la vallée de Cochabamba. La population descend dans la rue, construit des centaines de barricades, occupe pendant plusieurs jours la place principale et fait reculer Hugo Banzer. En avril 2000, le service de l’eau est retiré à Bechtel. La Coordination de l’eau regroupe désormais producteurs de coca, cultivateurs, ouvriers et étudiants. La lutte se poursuit en 2001 (d’avril à septembre) avec la révolte des paysans de la coca dirigée par Evo Morales et Felipe Quispe, les deux principaux leaders indiens paysans. En juin 2002, cette radicalisation paysanne se traduit sur le plan politique par le score électoral important (21% des voix malgré un truquage manifeste) pour Evo Morales qui a fondé le MAS, Mouvement pour le Socialisme, un parti de type social-démocrate. Le MAS choisit de reconnaître les résultats truqués et se donne désormais pour objectif la conquête du gouvernement par les élections. Cela n’empêche pas le gouvernement de continuer la répression des paysans de la coca (20 morts).

2003 : La lutte passe de la campagne aux villes, la classe ouvrière repart à l’offensive

Un mouvement de masse des chômeurs et des jeunes est déclenché contre les nouveaux impôts promulgués en février 2003. Des affrontements opposent la police mutinée et l’armée. En avril 2003, la centrale syndicale COB se radicalise lors de son congrès et élit une nouvelle direction. Un nouveau mouvement des paysans surgit en septembre 2003 contre le plan d’éradication de la coca. Il est suivi d’une lutte conjointe des paysans et des travailleurs contre l’exportation du gaz vers les USA, en septembre-octobre 2003. Trois forces en mouvement s’additionnent alors, se coordonnent et se renforcent mutuellement : les paysans, les Indiens et les travailleurs, sans que ces derniers aient un rôle dirigeant. Les Indiens sont révoltés par l’oppression spécifique qui les frappe. Il existe près de trente ethnies indiennes (aymaras, quechuas, guaranis...) en Bolivie, elles regroupent ensemble près de 80% de la population et c’est de loin la fraction la plus pauvre. La question de la vente du gaz bolivien devient vite le point commun des mouvements sociaux des campagnes et des villes. La revendication de « la renationalisation du gaz bolivien sans indemnisation  » alors mise en avant, est un objectif que la bourgeoisie bolivienne ne peut satisfaire sans renoncer à la plus grande part de ses revenus et à ses bonnes relations avec l’impérialisme américain.

Seul 18% des revenus du gaz échappent aux trusts étrangers, Petrobras (Brésil), Repsol (Espagne), ExxonMobil (États-Unis) et Total (France). Le trust français Total possède à lui seul 23% des réserves de gaz de la Bolivie. Malgré des réserves de gaz estimées à 100 milliards de dollars (deuxième pays producteur d’Amérique Latine après le Venezuela) et celles de pétrole estimées à 27 milliards de dollars, la Bolivie est le deuxième pays le plus pauvre de l’Amérique du sud, juste devant Haïti ! Cinq mille familles riches détiennent 1 700 millions de dollars en banque pendant que 600 000 familles pauvres doivent survivre avec moins de 41 euros par mois. 63% de la population vit en dessous du minimum vital. Le peuple bolivien, qui a déjà vu lui passer sous le nez l’or, l’argent, l’étain et le pétrole, refuse qu’on lui vole encore le gaz !

En septembre 2003, le gouvernement veut vendre le gaz à la multinationale Pacific LNG. Le 15 septembre 2003, les paysans de la région de Titicaca bloquent les autoroutes pour protester contre la vente du gaz aux USA. Le 17 septembre 2003, ils sont rejoints par les faubourgs de Cochamba et de la Paz. Le 19 septembre, 150.000 manifestants occupent les principales villes du pays exigeant la récupération du gaz par le peuple et le départ du président Lozada. Le 20 septembre, suite à un massacre de manifestants bloquant routes et chemin de fer à Warisata, c’est la mobilisation générale. Le 24 septembre, un blocage massif des routes est organisé. Le 29 septembre, la centrale syndicale COB appelle à la grève générale illimitée. A la surprise générale, y compris celle des dirigeants de la centrale, le mot d’ordre du syndicat est très suivi et la grève s’étend réellement. Les mineurs décident de marcher sur La Paz. A El Alto, (faubourg de 800.000 habitants dominant La Paz sur la hauteur de l’altiplano à 4000 m d’attitude, et banlieue-dortoir qui regroupe les indiens paupérisés et urbanisés dans des taudis en parpaings), les forces de l’ordre interviennent et tuent deux personnes, accélérant ainsi la mobilisation autour d’El Alto. Avec l’appui des indiens Aymaras, El Alto devient, à partir du 6 octobre, l’épicentre de la révolte. La mobilisation y est conduite par la Fédération des comités de quartiers, la FeJuve, dirigée par Abel Mamani et par la Centrale syndicale COR d’Edgar Patani, (syndicat régional d’El Alto, membre de la COB mais relativement indépendant). Le mouvement d’El Alto contamine d’autres villes (Oruro, Chuquisaca, Potosi, Cochamba). Au bout d’une semaine de lutte, le leader des cocaleros de la vallée de Cochamba, Evo Morales, rejoint la lutte. Du 9 au 11 octobre, une attaque militaire d’El Alto provoque un massacre (50 morts sur les 80 victimes que fait la répression en octobre). Le 10 octobre, la route d’El Alto à La Paz est envahie par l’armée (hélicoptères, chars, camions de troupes). La population d’El Alto massivement mobilisée met en déroute les forces de l’ordre et démet toutes les autorités locales pour s’autogérer. Du 12 au 16 octobre 2003, un véritable soulèvement part de la ville d’El Alto vers La Paz. Le 12 octobre, la COB appelle à la résistance civile et à la chute du gouvernement de Lozada. Le 13 octobre, après 48 heures de face à face dans El Alto entre les forces de l’ordre et les manifestants, ces derniers descendent sur La Paz qui est complètement occupée. Le 14 octobre, il y a un million et demi de manifestants aux funérailles des morts d’El Alto. Le 15 octobre, les mineurs de Huamani marchent eux aussi sur La Paz armés de bâtons de dynamite et font reculer l’armée. Le 17 octobre 2003, alors que 200.000 manifestants encerclent le congrès, le président Sanchez de Lozada démissionne. Son successeur Carlos Mesa, qui est son vice-président, fait trois promesses : organiser un référendum sur la question du gaz, voter une nouvelle loi sur les hydrocarbures afin d’augmenter les 18% de l’Etat bolivien dans l’exploitation du gaz et du pétrole, et la convocation d’une assemblée, jusque-là rejetée par Lozada. Mesa s’engage à établir les responsabilités des gouvernants, de l’armée et de la police dans les massacres de la guerre du gaz. Sur ces bases, Mesa obtient de nombreux soutiens dont celui de Evo Morales et aussi de certains partis indiens. Il réussit même à se faire acclamer à El Alto ! Evo Morales a appelé à soutenir le gouvernement pour « la défense de la démocratie » et la COB en a fait autant au nom du « repli stratégique ». Felipe Quispe, considéré comme un leader radical, déclare mettre « son opposition en veilleuse » face à Mesa. Un référendum est organisé le 18 juillet 2004 dans lequel 70% des votants se prononcent pour que l’Etat récupère les hydrocarbures. Mais les organisations contestataires, à l’exception du MAS de Evo Morales, appellent à l’abstention. Elle atteint 50%. Tout cela n’empêche pas Mesa de remettre en route un plan d’ajustement structurel prévoyant la mise aux enchères des richesses en gaz boliviennes, plan qui met à nouveau le feu aux poudres en mai 2005.

Une autre contestation venue du bord diamétralement opposé, va déstabiliser Mesa, celle de la haute bourgeoisie de la région de Santa Cruz, la plus riche et la plus réactionnaire de Bolivie. Cette bourgeoisie latifundiaire occupe les basses terres fertiles de l’Ouest et a développé une économie agro-exportatrice. Elle craint que le mouvement paysan ne domine l’Assemblée constituante et impose dans la région de Santa Cruz une réforme agraire, ce qu’elle a toujours réussi à éviter jusque-là. Elle conteste également que l’ensemble du pays puisse être consulté sur des richesses appartenant à sa région (pétrole de Santa Cruz et gaz naturel de Tarija). Elle tente de profiter des mouvements identitaires et régionaux pour jouer sa carte contre le pouvoir central de La Paz : l’autonomie de la province minière la plus riche du pays (20% de la population mais 40% du PIB et 60% des exportations). Le comité civique de Santa Cruz lance un référendum sur cette question. L’incapacité de Mesa à faire entendre raison à la haute bourgeoisie de Santa Cruz lui fait perdre le soutien d’Evo Morales. Il suffit cependant que Mesa menace de démissionner pour que Morales lui redonne son soutien au nom des risques pour la démocratie !

2005 : La guerre du gaz

Le 17 mai 2005, le vote imposé par le président Mesa de la loi sur les hydrocarbures met le feu aux poudres. Si elle porte la taxation du gaz à 50%, cette loi, loin de proposer la renationalisation des hydrocarbures, légalise au contraire les privatisations d’hydrocarbures précédentes. Une marche paysanne organisée par le MAS d’Evo Morales, partie le 16 mai de la ville de Caracollo, atteint La Paz le 27 mai avec 40.000 manifestants. Les syndicats de travailleurs, reprochant au MAS de ne pas mettre en avant la nationalisation des hydrocarbures, contestent la direction de la lutte à Evo Morales et appellent à des grèves générales illimitées dans les villes de La Paz, Oruro, Potosi, Cochabamba et Sucre. Les centrales syndicales régionales rejoignent ainsi la grève générale déclenchée dans la ville d’El Alto dès le 23 mai avec pour revendications la démission de Mesa et « la nationalisation sans indemnisation des hydrocarbures ». La ville d’El Alto est insurgée et occupée par les travailleurs, la capitale coupée de tout approvisionnement en nourriture et en combustible par des blocages de routes, et envahie par les manifestants. La grève générale s’étend aux autres villes. Les travailleurs de la capitale loin d’attendre passivement l’arrivée de cette marche monstre descendant des montagnes, se sont eux-mêmes mobilisés (travailleurs, habitants des bidonvilles et des quartiers ouvriers). Le 31 mai, une démonstration de force rassemblant les mouvements sociaux pour la renationalisation, mouvement ouvrier, paysan et indien, a lieu sur la place Murillo de la capitale, place qui regroupe toutes les institutions d’Etat boliviennes. L’ensemble du pays est paralysé par la grève générale et hérissé de très nombreuses barricades. Le 6 juin, il y a véritablement de la révolution dans l’air avec les centaines de milliers d’ouvriers et de paysans qui ont pris La Paz et l’ont transformée en un gigantesque meeting-débat d’ouvriers, de paysans et d’étudiants, à l’initiative de la COB et des organisations d’El Alto. Sous la pression du mouvement et devant le vide du pouvoir, les dirigeants annoncent la formation d’une Assemblée nationale ouvrière et paysanne avec comme programme la nationalisation des hydrocarbures au service du peuple. Le président Carlos Mesa doit démissionner le 6 juin 2005.

Loin d’entraîner un reflux du mouvement, la démission de Mesa l’enflamme, la population craignant le coup d’Etat militaire ou le « coup d’Etat constitutionnel ». En effet, constitutionnellement le candidat à la succession est le président du sénat qui n’est autre que le chef de la haute bourgeoisie de Santa Cruz, Vaca Diez, le plus détesté des représentants de la classe dominante bolivienne. Refusant cette perspective, 80.000 manifestants investissent immédiatement La Paz et plus de 120 blocages ont lieu dans tout le pays à l’initiative des syndicats COB et CSUTCB (syndicat des paysans travailleurs de Bolivie).

Le 8 juin, les travailleurs du pétrole de Senkhata, principal centre d’approvisionnement et de stockage de la capitale, partent en grève et occupent les installations. Ils proposent d’organiser avec les syndicats ouvriers le contrôle de la distribution de combustible. La station de pompage de Sayari est également occupée ainsi que le pipeline de Sica, avec l’appui des salariés. Les travailleurs de la santé et les instituteurs sont particulièrement mobilisés. El Alto, banlieue de La Paz, est encore une fois le point le plus chaud et donne le ton de la mobilisation générale. Une assemblée populaire défiant le pouvoir d’Etat y est organisée par les syndicats ouvriers et les comités populaires. Vaca Diez tombe le 9 juin 2005, avant même d’être intronisé. Les masses révoltées (surtout des mineurs) ont investi la ville de Sucre (capitale constitutionnelle) où il comptait se faire nommer en douce. La mort d’un manifestant à Sucre, le mineur Juan Coro, tué par la police, a achevé de radicaliser les travailleurs. La mobilisation des mineurs des coopératives d’Oruro, la grève des travailleurs de l’aéroport et la paralysie de la ville de Sucre, occupée par les manifestants, ont contraint la bourgeoisie à reculer. Elle a renoncé à faire usage de la répression devant un début d’armement des travailleurs (une colonne armée de 3000 paysans d’Omasuyos notamment). Lui succèdent dix jours de vide du pouvoir comblés avec peine par les manœuvres dilatoires de l’Eglise. Finalement un nouveau président est nommé : le président de la Cour Suprême, Eduardo Rodriguez. Il débute son mandat sur une position beaucoup plus faible que Mesa. Sa nomination n’entraîne pas les illusions dont avait bénéficié son prédécesseur. Il affirme que son principal mandat est d’organiser de nouvelles élections générales (présidentielles et parlementaires) en espérant détourner les espoirs populaires vers les urnes. Appuyant cette manœuvre, l’idée selon laquelle « le mouvement est suspendu jusqu’aux élections  » est propagée par diverses organisations dont le MAS. Rodriguez déclare lors de son investiture : « Je demanderai une trêve, un espace de paix nous permettant de nous donner la main pour résoudre les problème des mères qui n’ont pas de lait pour leurs enfants, pas de gaz pour cuisiner et les meilleurs des citoyens qui sont à la rue. » En ce qui concerne les revendications populaires, les gouvernants opèrent de petits reculs prudents : une renégociation des contrats en Bolivie avec un nouveau partage plus favorable à l’Etat bolivien notamment. Rodriguez déclare que « Les hydrocarbures appartiennent à l’Etat et il faut trouver la meilleure manière de récupérer ce que la nature a donné à notre pays. »

Quelle est la politique des dirigeants du mouvement ?

Les leaders appellent à la « suspension du mouvement », le justifiant par la nécessité de « permettre aux familles de reprendre des forces et constituer des stocks de nourriture et d’essence dans l’éventualité d’une nouvelle mobilisation  ». Le dirigeant de la COB Jaime Solares ne jure plus que par une alliance avec les militaires, (« l’armée doit conduire le processus donnant ses droits au peuple » ou encore « on pourra vraiment parler d’un vrai gouvernement quand les militaires imposeront que le peuple ait le dernier mot »), avant d’accepter le compromis avec le nouveau président Rodriguez et le report de la lutte, qu’il appelle un « repli stratégique ». Evo Morales du MAS, (Mouvement pour le Socialisme) parle de « la nécessité de défendre la démocratie » et se déclare « une opposition légale et responsable ». Il affirme : « il faut soutenir la transition constitutionnelle » et soutient que l’on ne peut triompher que par les élections. Il avance la nécessité du « respect constitutionnel  » et de la « voie électorale ». Contrairement à la COB, Evo Morales n’est même pas clair sur le maintien de l’objectif du mouvement : la renationalisation des hydrocarbures sans indemnisation. Le seul engagement qu’il prend en tant que candidat aux élections présidentielles de décembre 2005 est la dépénalisation de la culture de la coca.

Le dirigeant, au départ apparemment le plus radical, celui des travailleurs d’El Alto, ville en insurrection, Felipe Quispe du Mouvement Indigène PachaKutik et dirigeant de la COR, (le syndicat régional d’El Alto), bien que dénonçant Evo Morales comme traître, donne sa caution à Rodriguez. Les positions des autres dirigeants ne valent pas mieux : ils prétendent qu’il faut voir ce qu’il va faire concernant les hydrocarbures.

Malgré les manœuvres politiciennes qui voudraient bien voir le mouvement se dissoudre dans les élections présidentielles de décembre 2005 (dont les sondages donnent Evo Morales vainqueur), la lutte est loin d’être terminée. Les communautés indiennes, les Huaorani de la réserve Yasuni bloquent la production de la firme brésilienne Pétrobras en juillet 2005. Déjà des assemblées de travailleurs ont appelé à la reprise de la lutte. C’est le cas notamment dans la ville d’El Alto. Le 20 août, 29 organisations ont constitué le « front ouvrier, paysan et indigène » pour préparer la suite et présenter une alternative électorale au MAS. L’opération politicienne d’Evo Morales n’est pas soutenue par les principales organisations radicales qui ont dirigé le dernier mouvement : FeJuve, COR, COB... La bourgeoisie ne s’y trompe pas : les financiers de City group Smith Barney affirment ainsi en septembre 2005 que « la situation en Bolivie reste inquiétante et menaçante pour des trusts pétroliers comme Repsol. » Des mouvements de contestation, comme la « Rencontre continentale pour la nationalisation des hydrocarbures » convoquée notamment par le syndicat COB du 12 au 14 août 2005 à La Paz en Bolivie, posent à l’échelle de toute l’Amérique latine la question de l’expropriation, sans indemnisation, des multinationales pétrolières. Le mouvement bolivien a fait tache d’huile en Amérique latine, influençant notamment la lutte en Equateur d’août 2005. Celle-ci a mis en avant la renégociation des contrats avec les multinationales, revendiquant notamment un rapport 50-50 de partage des revenus entre compagnies pétrolières et Etat.


Equateur


1993-99 : La révolte des paysans indiens

Comme la Bolivie, ce pays andin de 12 millions d’habitants est riche en hydrocarbures et sa population est pauvre. Le gaz et le pétrole ne profitent qu’aux trusts américains et à la bourgeoisie comprador. L’Equateur est le 5e plus grand producteur de pétrole en Amérique latine, avec une production de 541 000 barils de brut par jour, dont 201 000 provenant de la société d’Etat PetroEcuador et le reste des sociétés étrangères. Le pétrole est le principal produit exporté de l’Equateur et a rapporté 3,9 milliards de dollars en 2004 mais la population n’en a pas vu l’ombre. Dans ce pays, en 1999 plus de 60% des 12 millions d’habitants vivaient en dessous du seuil de pauvreté et le chômage dépassait 50%. Selon la revue économique Econoticias du 26 mars 2003 : « Pour l’exportation du gaz vers les USA, pour chaque dollar qui revient à l’Etat et aux régions, les entreprises étrangères reçoivent 20 dollars. » La crise économique équatorienne des années 90 frappe particulièrement les masses paysannes et indiennes. Selon le Monde Diplomatique d’avril 2005 les Indiens sont « 5 millions sur une population totale de 13 millions. (..) Leur situation économique et sociale demeure catastrophique et (..) 80 à 90% dispose de moins de 2 euros par jour. »

La principale organisation indienne, La CONAIE, Confédération des nationalités indigènes d’Equateur, est une organisation rurale aux revendications essentiellement identitaires. Son bras politique est un parti prônant l’autonomie indienne appelé Pachakutif. Un très grand nombre d’autres formes d’organisation existent parmi les masses indiennes : coordination des mouvements sociaux, fédération évangélique indigène, confédération des associations de quartiers de l’Equateur... De marche en mobilisation, les organisations indiennes ont obtenu une reconnaissance légale, certains de leurs droits à la terre et un accès au pouvoir politique.

Suite à la grève générale du 7 février 1997, le président Bucaram est destitué. En 1998, Jamil Mahuad est élu président. Il est à la fois sous la pression du mouvement populaire face à qui il s’affirme contre la dollarisation de l’économie, et de la bourgeoisie bancaire et agro-industrielle qui lui impose de sauver les banques privées, quitte à couler les revenus de l’Etat. Il est particulièrement sous la pression de la haute bourgeoisie de Guayaquil, laquelle joue un rôle équivalent de celle de Santa Cruz en Bolivie, celle d’une aile de droite radicale exigeant de faire davantage payer la population, quitte à réprimer, menaçant sinon d’organiser son autonomie.

2000 : Les Indiens abattent le pouvoir puis le reconstituent

La crise économique ne cesse de s’aggraver, frappant particulièrement les plus pauvres : la population en dessous du seuil de pauvreté passe de 12% en 1995 à 21% en 1999 (et 77% dans la population rurale) alors que les prix augmentent de 52% par an (contre 22,9% en 95). Une vingtaine de banques font faillite entre 98 et 99. Le 9 juillet 1999 une grève des transports éclate contre la hausse des prix des carburants, mouvement qui paralyse le pays pendant quinze jours. Une occupation symbolique et pacifique de la capitale à l’appel de la CONAIE est violemment réprimée (17 blessés par balles, 561 arrestations). Devant la chute de la monnaie de 197% et sous la pression de la bourgeoisie, le président Mahuad se résout finalement le 9 janvier 2000 à annoncer la dollarisation, en même temps qu’un nouveau gel des avoirs bancaires des particuliers. Les masses indiennes contestent la politique du président Jamil Mahuad de dollarisation de l’économie qui accroît la dépendance vis-à-vis des USA, des prix du pétrole et des investissements étrangers, ne sauvant, momentanément, que l’oligarchie bancaire. Avec la dollarisation, le pouvoir d’achat s’effondre car le sucre, monnaie nationale, est porté au taux de 25.000 sucres pour un dollar contre 20.000 juste avant et 5700 en 1998. Censée bloquer l’inflation, cette mesure ne ralentit même pas sa croissance puisqu’elle atteint 91% fin 2000. « La dollarisation de l’économie équatorienne a détruit l’économie paysanne  » écrit Le Monde du 23 août 2005 et la chute du prix de la banane y a provoqué un recul catastrophique du niveau de vie des paysans équatoriens. L’Equateur est passé en 2000, du 72e rang mondial au 91e pour le niveau de pauvreté, selon le rapport du PNUD.

Le 9 janvier, un appel à la grève générale est lancé. Le président décrète l’Etat d’urgence. Le 11 janvier, un « parlement des peuples indigènes » est proclamé, qui dénonce les politiques gouvernementales comme la dollarisation de l’économie ou les privatisations. Il formulait ainsi ses objectifs : « une économie mixte de marché solidaire auquel participent les patrons privés en respectant leur responsabilité sociale, éthique et environnementale.  » Le 16 janvier 2000, une marche massive des Indiens afflue sur la capitale Quito qu’elle occupe complètement du 19 au 21 janvier. C’est à cette date qu’un groupe de jeunes officiers conduits par le colonel Lucio Guttierrez, déclare soutenir les Indiens. Les organisations indiennes sans appeler les soldats à se solidariser d’elles, ont conclu un pacte avec une partie de l’appareil militaire du colonel Guttierrez. Celui-ci déclarait être parfaitement capable de manœuvrer les dirigeants indiens : « notre relation avec eux remonte à de nombreuses années. Depuis nous avons constamment travaillé avec cette classe... spécialement la classe indigène.  » Il forme une junte de salut national avec un ex-président de la Cour suprême et Antonio Vargas président de la CONAIE. Le palais du congrès est occupé. Les généraux tentent un coup d’état qui destitue Mahuad le 21 janvier mais échoue le 22 du fait de la mutinerie d’une partie des officiers.

Le soulèvement en masse, occupant la capitale Quito, a mis à bas le régime en trois jours mais les organisations indiennes n’ont pas pris le pouvoir. Syndicalistes paysans et indigénistes, aussi réformistes les uns que les autres n’ont eu de cesse que de le remettre au colonel Lucio Guttierez, sous prétexte que celui-ci avait pris la tête de la mutinerie. Cette opération s’est faite avec la bénédiction de tous ses dirigeants, y compris ceux du PCMLE, maoïste.

Les dirigeants militaires qui accèdent au pouvoir font appel immédiatement à des politiciens connus comme les pires représentants de la bourgeoisie. Cela n’empêche pas ces leaders de mouvements paysans, indigénistes et associatifs (y compris les maoïstes) d’accepter des postes de ministres et de se discréditer. Quant à la haute bourgeoisie, elle poursuit ses pressions sur ce nouveau pouvoir comme elle l’avait fait avec les précédents. Celle de Guayaquil organise un référendum d’autonomie de la province.

2005 : révolte et occupation des puits de pétrole

En avril 2005, le président Guttierrez est à son tour contesté. Ayant traité de « hors-la-loi » les 5000 manifestants qui le conspuaient le 13 avril par un concert de casseroles devant son domicile, le mouvement décide de s’appeler lui-même « la rébellion des hors-la-loi ». Du 14 au 21 avril les masses équatoriennes exaspérées occupent la capitale Quito aux cris de « Lucio dehors ! Qu’ils s’en aillent tous ! ». Devant son incapacité à imposer l’état d’urgence, le président Lucio Guttierrez démissionne le 20 avril. Encerclé par les manifestants, il s’enfuit en hélicoptère et donne le pouvoir au président Alfredo Palacio. C’est le troisième président à chuter en huit ans.

Le 14 août, les habitants équatoriens de deux provinces pétrolières les plus pauvres du Nord-Est du pays, Sucumbios et Orellana, coupent les routes et occupent deux aéroports et 200 puits de pétrole. Ils sont suivis à partir du 15 août par la grève des salariés du pétrole qui bloquent la production et la livraison et exigent que l’Etat renégocie les contrats de vente du pétrole avec les compagnies pétrolières. La bourgeoisie est prise à la gorge, le pétrole équatorien ne sortant quasiment plus du pays. Les livraisons de brut aux USA (dont l’Equateur est le cinquième fournisseur mondial) sont complètement interrompues. Pendant douze jours à partir du lundi 15 août les habitants et salariés de deux provinces d’Amazonie bloquent les puits malgré les attaques des forces de répression et l’état d’urgence décrété par le gouvernement. La production pétrolière équatorienne chute de 200.000 à 10.000 barils/jour. Le journal Le Monde du 23 août écrit « Les habitants de ces régions pétrolières se sentent des laissés-pour-compte de l’exploitation de l’or noir qui fournit le quart du PIB du pays mais les maintient dans la misère ». Les grévistes et les habitants revendiquent notamment que l’argent revienne davantage aux régions, qu’il crée des emplois, permette de faire fonctionner les services publics et de construire 200 km de routes et autres infrastructures. La nationalisation sans indemnité des hydrocarbures est au centre d’un ensemble de revendications concernant le développement économique, la défense des services publics, la défense des travailleurs et des peuples ainsi que les revendications démocratiques (réforme agraire, question indienne...). Les manifestants scandent « des routes et des emplois » et réclament que l’Etat renégocie avec les compagnies. Ils s’attaquent en particulier au trust Occidental Petroleum (Oxy) qui paie 12 dollars le baril vendu sur le marché au prix de 60 dollars !

Pour arrêter la grève et l’occupation des puits, le président Alfredo Palacio fait donner l’armée et décrète l’état d’urgence contre ceux qui occupaient les puits, blessant des centaines de travailleurs, procédant à de nombreuses arrestations. Les manifestants et les grévistes n’ont pas cédé à l’état d’urgence. Le gouvernement a repris le contrôle plus tard, le 18 août, après avoir annoncé qu’il donnerait l’ordre aux soldats de tirer. Ainsi il est parvenu à mettre en place un simulacre de négociation avec l’aide des responsables des provinces qui avaient participé au mouvement, sans pouvoir pour autant faire reprendre la production et la livraison de pétrole. L’oléoduc est dynamité, les pompes et installations pétrolières endommagées et les locaux des compagnies pétrolières dévastées.

Les manifestants équatoriens ont seulement obtenu que soient transférés aux autorités locales une partie des impôts payés par les compagnies pétrolières, ainsi qu’un engagement de celles-ci de développer les infrastructures régionales. Autrement dit, une miette.

Quelles perspectives pour les travailleurs et les populations pauvres de Bolivie et d’Equateur ?

L’énoncé de cette série de batailles sans véritable victoire pour les travailleurs peut sembler décourageante. Cela fait six ans que la révolte gronde en Bolivie et en Equateur, avec toute une série de mobilisations contre la misère, contre les gouvernements successifs, contre l’impérialisme et contre la classe dirigeante qui lui est liée. Six ans que les travailleurs relancent la lutte, redonnent du poids à leurs organisations discréditées par les compromissions de leurs leaders, font reculer les classes dirigeantes et tomber les gouvernants. Et six ans que les directions, syndicales et politiques des masses ouvrières, indiennes et paysannes sauvent les classes dirigeantes, en se contentant de changements de gouvernements, en lanternant les travailleurs et en dévoyant leur lutte.

Au vu des efforts, des sacrifices consentis, les résultats semblent relativement minimes. Mais le bilan ne se résume pas à ce seul constat. Les travailleurs ne sont pas pour autant gagnés par le découragement. Au contraire : de 2000 à 2003 et de 2003 à 2005 dans ces deux pays, la mobilisation et la participation massive de la classe ouvrière, n’a cessé de s’amplifier. De nouvelles générations de travailleurs et de militants se sont formées au travers de ces expériences. Une partie de la bourgeoisie, de ses hommes politiques et des dirigeants de l’impérialisme US, semblent avoir perçu le danger. Dans les événements récents, ils ont en conséquence fait pression pour éviter un affrontement décisif. Celui-ci ne peut cependant être éternellement différé. La plus grande menace dans l’immédiat restant toutefois que le mouvement populaire soit dévoyé, divisé ou trompé par la démagogie de militaires radicaux et nationalistes, ou par les illusions semées par des leaders réformistes comme Evo Morales.

Pour ne pas en rester aux « solutions » trompeuses du passé, la classe ouvrière doit développer sa propre politique. Il ne s’agit pas seulement d’être l’aile marchante de la mobilisation de toutes les couches sociales opprimées. Il faut aussi qu’elle soit organisée en tant que classe, c’est-à-dire de manière indépendante. Dans les quartiers certes, mais aussi et surtout dans les usines, les mines, les puits de pétrole ou les bureaux. En même temps qu’elle met en avant des revendications de tous les opprimés (la réforme agraire, les droits des Indiens, le contrôle des richesses par la population), il faut aussi qu’elle mette sur pied ses comités de mobilisation, qu’elle en fasse des embryons d’un nouveau pouvoir et défende ses propres objectifs. Un pouvoir par lequel les travailleurs contrôleront que les principales richesses produites dans le pays ne soient pas à nouveau accaparées par les classes dirigeantes.

Sur la question des hydrocarbures, revendication qui unifie la lutte, comme sur toutes les autres questions, les travailleurs doivent avoir des objectifs qui les distinguent des directions réformistes bourgeoises et petites bourgeoises. La nationalisation ne suffit pas, même si elle est assortie de l’absence d’indemnisation. La bourgeoisie impérialiste a mille moyens de se faire indemniser en faisant payer la population. L’objectif doit être la socialisation des richesses et non seulement leur nationalisation. Cela suppose que les travailleurs organisent eux-mêmes le contrôle de la production, de la distribution des hydrocarbures mais aussi de toute l’économie.

Mettre seulement en avant des aspirations générales démocratiques, c’est noyer les travailleurs dans la masse des opprimés des campagnes. C’est risquer qu’à nouveau, les revendications immédiates du mouvement, y compris celles des paysans et des Indiens, soient renvoyées aux calendes grecques, ou plutôt boliviennes et équatoriennes !

Mots-clés Bolivie , Équateur , Monde