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Y a-t-il un déclin du capitalisme français ?

mardi 20 septembre 2005

« Un récent rapport de l’Union Européenne vient de faire apparaître que, s’agissant de la richesse par habitant, le produit industriel brut par habitant, la France est tombée au douzième rang dans les quinze pays de l’Union européenne ». Ce constat, c’est Jacques Chirac qui le faisait solennellement, à l’occasion de son allocution télévisée du 14 juillet 2001. Les mêmes chiffres alimentèrent, des mois durant, les gros titres des quotidiens et le débat entre les « intellectuels » officiels. « Europe : les Français moins riches que les autres », titrait encore Le Monde en février 2002.

Le « hic », c’est que quelques statisticiens sérieux mirent rapidement en évidence le caractère fantaisiste des statistiques européennes. Un peu plus tard, en 2003, l’organisme qui était à l’origine de toute l’affaire, Eurostat, fut impliqué dans une série de scandales portant sur des détournements de fonds. Du moment que les statistiques que les responsables d’Eurostat sortaient de leur chapeau collaient avec le discours patronal ambiant, personne ne s’était inquiété, des années durant, qu’elles soient bidonnées.

Brèves de comptoir

Cet épisode grotesque témoigne du sérieux du sempiternel débat sur le « déclin français », encore relancé en 2003 par la sortie de « La France qui tombe » de l’historien et économiste Nicolas Baverez. Le livre avait déclenché un déluge de commentaires favorables et, à sa lecture, on tombe effectivement à la renverse : les constats « indiscutables » de l’auteur ne peuvent certes guère être discutés tant ils s’appuient sur des chiffres faux ou présentés de façon fallacieuse.

Si la France « tombe », selon Baverez, c’est bien entendu surtout la faute aux travailleurs : « les quelque 170 000 journées de grève alignées chaque année par les cheminots [...], ont mis à mort le fret ferroviaire et gravement affecté le trafic des voyageurs. Les agents de la SNCF s’affirment comme les premiers fossoyeurs du service public du transport ferroviaire. » Autant la réduction du temps de travail « est appréciable pour aller dans le Luberon, autant, pour les couches les plus modestes, le temps libre, c’est l’alcoolisme, le développement de la violence, la délinquance », n’hésite pas à affirmer l’auteur interviewé dans le quotidien 20 Minutes. L’ouvrage lui-même conclut à la « faillite du modèle social-étatiste », évoque une « désertification industrielle et entrepreneuriale », et finit par appeler de ses vœux un bon vieux coup d’état, « une thérapie de choc semblable à celle conduite en 1958 ». Vite, les paras et un général !

La place réelle du capitalisme français

Ce qui sous-tend cette discussion, plus exactement cette propagande, c’est l’idée selon laquelle les entreprises et les salariés souffriraient des mêmes maux. Il n’y aurait qu’à redresser la « compétitivité » du pays - et la rentabilité des entreprises - et par contrecoup l’ouvrier comme le chômeur s’en trouveraient mieux. Une fois écarté ce bourrage de crâne somme toute classique, la question reste posée de savoir quel est le niveau de performance économique du capitalisme français, quel est son rang parmi ses rivaux, sa place sur le marché mondial.

Cela n’a rien d’un scoop : tout montre que depuis 20 ans, le capitalisme français est demeuré un capitalisme d’envergure moyenne. Bien qu’ayant regagné un peu de terrain sur ses rivaux après 1945, il n’est jamais parvenu à retrouver la place qu’il occupait jusqu’à la première guerre mondiale. Il s’est maintenu au travers de la mondialisation et n’a donc pas trop souffert de la montée des « pays émergents ». Le patronat français tire surtout sa relative force de quelques pôles de spécialisation : l’aérospatiale, l’électronique militaire, les télécommunications, les biens d’équipement industriels. Le textile a été abandonné mais l’automobile est en pleine expansion avec une production qui a augmenté de moitié depuis dix ans.

Les exportations françaises représentaient environ 6 % du total mondial en 1990 contre 5 % aujourd’hui, mais n’oublions pas que beaucoup de multinationales françaises produisent depuis l’étranger pour le marché mondial et que cela n’est pas enregistré comme des exportations françaises. Car les firmes françaises ont été des actrices dans le mouvement d’internationalisation des processus de production.

La production de richesses en France reste sensiblement inférieure à celle des États-Unis, avec un PIB par habitant inférieur d’environ 25 %, un écart du même ordre qu’au début des années 1970. Et encore, ce surcroît de richesse semble surtout imputable à la plus grande quantité de travail fournie par les Américains, notamment les jeunes et les plus âgés, à cause de la plus longue durée du travail et au grand nombre de doubles jobs... Le niveau de productivité par heure est, lui, tout à fait comparable.

Un capitalisme retardataire ?

Le capitalisme français n’est-il pas, cependant, distancé sur le plan des nouvelles technologies ? Là encore, le constat reste mitigé. Les technologies de l’information et de la communication représentent de l’ordre de 5,5 % de la production ce qui n’est tout de même pas si loin des 7 % américains. Certes, les entreprises françaises n’ont à leur service que 75 000 chercheurs, contre le double en Allemagne et un million aux États-Unis. Mais au total, compte tenu de la recherche publique, c’est 2,2 % du revenu national qui est consacré aux activités de recherche contre 2,7 % outre Atlantique. Un écart, mais pas un gouffre. D’ailleurs, ce retard est surtout imputable au secteur privé et cela s’explique aisément avec l’importance que conserve en France la toute petite entreprise, sans cesse encouragée par le discours officiel. S’il y a dans le capitalisme français un archaïsme, c’est celui là.

Au demeurant, même durant la période des « trente glorieuses » où la France a connu une croissance plus rapide que celle des États-Unis, ceux-ci étaient sur la « frontière technologique » tandis que les autres pays industrialisés étaient engagés dans un processus de rattrapage et d’imitation.

Le seul déclin : celui des salaires !

L’attractivité de l’hexagone pour les investissements internationaux vient elle aussi battre en brèche la thèse du déclin. En 2002 et 2003, la France est parvenue dans le peloton de tête des pays qui accueillent le plus d’investissements internationaux, aux côtés de la Chine et des États-Unis. Voilà qui est difficilement compatible avec l’image d’un capitalisme en pleine déconfiture, même s’il ne faut pas oublier que moins de 10 % de ces flux sont vraiment créateurs de capacités de production et d’emplois. Si les groupes français étaient des canards boiteux dans un pays en plein marasme, on ne voit pas pourquoi les capitalistes étrangers se rueraient pour en acheter les actions ! Par ailleurs la France demeure une importante source de flux d’investissements vers l’étranger.

Il y a peut-être une explication crédible à l’attractivité française : l’important freinage des salaires. Alors que depuis 1991 les salaires nominaux (c’est-à-dire non corrigés des effets de l’inflation) ont progressé de 40 % à 50 % aux États-Unis ou en Allemagne, en France cette hausse n’atteint que 20 %. Même si dans ce domaine plus que dans tout autre les chiffres officiels sont à prendre avec méfiance, cet écart reflète certainement une réalité. En d’autres termes, s’il y a quelque chose qui décline dans le capitalisme français, ce sont surtout les salaires !

Julien FORGEAT


évolution du rang et de la part mondiale dans les exportations (G7+Chine)

1955 1973 1988 2003
Allemagne 3e 7,7 % 2e 13,3 % 1er 11,2 % 1er 10,0 %
Etats-Unis 1er 18,3 % 1er 11,2 % 2e 9,6 % 2e 9,6 %
Japon 8e 2,4 % 3e 7,1 % 3e 9,2 % 3e 6,3 %
Chine - - 21e - 16e 1,6 % 4e 5,8 %
France 4e 6,0 % 4e 6,9 % 4e 5,8 % 5e 5,2 %
Royaume-Uni 2e 9,6 % 5e 5,9 % 5e 5,0 % 6e 4,5 %
Italie 8e 2,2 % 9e 4,3 % 6e 4,5 % 8e 3,9 %
Canada 5e 5,2 % 6e 4,9 % 7e 4,1 % 9e 3,6 %

Dans ce classement sur les 50 dernières années, les pays qui régressent sont les États-Unis, l’Angleterre et le Canada. Ceux qui montent sont l’Allemagne, le Japon et bien sûr la Chine. La place de la France est plutôt stable. C’est surtout la montée de la Chine qui explique la baisse mécanique de la part des puissances traditionnelles.

Source : Dossier Mondialisation et commerce international de La documentation française.


Des trusts puissants dans le monde

La part dans les exportations est un indicateur très partiel de la puissance d’une économie, et surtout d’une bourgeoisie nationale : par exemple, la Chine est devenue une grande puissance exportatrice grâce aux investissements directs sur son territoire des multinationales occidentales ou japonaises, qui contrôlent donc une bonne part des profits engendrés. À l’inverse les grands groupes français, de mieux en mieux implantés à l’étranger, jouent un rôle très actif dans le commerce mondial, très imparfaitement mesuré par les exportations à partir du sol français. Il est donc nécessaire de mesurer leurs IDE (Investissements Directs à l’Étranger) et leur chiffre d’affaires.

Si on veut considérer la place des groupes français, en termes de chiffre d’affaires : parmi les 1000 premiers, la France est 4e aux côtés de la Grande-Bretagne, selon des chiffes du ministère français de l’économie.

Chiffre d’affaires des 1000 premiers groupes industriels mondiaux, regroupés par pays en milliards de dollars (2003)

1er USA 3700
2. Japon 2100
3. Allemagne 920
4. France 740
5. G-B 700

En 2003, parmi les 100 groupes classés d’après le montant total de leurs actifs à l’étranger, les USA sont en tête avec 26 groupes, la France 2e avec 14 groupes (parmi lesquels Total, France Télécom, Vivendi, EDF, Suez dans les 25 premiers) devant l’Allemagne et la Grande Bretagne (12 groupes) et le Japon (7 groupes). Ce qui montre une très forte internationalisation de l’activité des groupes français.

Mots-clés Capitalisme , Politique