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Editorial

Vigilance ? Face aux vents de colère, le gouvernement en peine pour détourner l’attention

mardi 29 octobre 2019

En réponse à la tuerie de la Préfecture de police de Paris, Macron a appelé de ses vœux la construction d’« une société de vigilance ». Une société où il va falloir « savoir repérer à l’école, au travail, dans les lieux de culte, près de chez soi, les relâchements, les déviations, ces petits gestes qui signalent un éloignement avec les lois et les valeurs de la République ».

Ainsi, Macron voudrait l’« unité de la nation » contre « l’hydre islamiste ». Une unité avec la bourgeoisie française, qui sème la guerre et le chaos partout dans le monde, qui distille le racisme par en haut contre les immigrés, les musulmans, les Roms et d’autres ? Mais c’est justement sur ce terreau que se développe le terrorisme. La société capitaliste est malade au point de produire des individus prêts à tirer au hasard sur la foule, les voisins, les collègues ou camarades de classe. Si l’islamisme fournit une justification à certains, d’autres la trouvent ailleurs, comme au Texas, où un individu a tué 20 personnes et blessé 26 autres dans un centre commercial d’El Paso en août dernier, inspiré par les théories du « grand remplacement », qui continuent pourtant d’être diffusées largement dans les médias français par des réactionnaires comme Eric Zemmour. À quand la vigilance contre tous ces racistes ?

Appel à la vigilance pour faire oublier les attaques en préparation

L’appel à chacun à se transformer en police des mœurs n’est pas entièrement nouveau. Depuis plusieurs années, le personnel des écoles et des universités est poussé à dénoncer les élèves qui seraient « en voie de radicalisation ». Par exemple, à l’université de Cergy-Pontoise, les enseignants ont reçu un formulaire avec lequel ils doivent rapporter les élèves en cas d’« absentéisme récurrent », de « port d’une djellaba », d’« apparition du port du voile », de « port de la barbe sans moustache » ou encore d’« arrêt de faire la fête » [1]. Toute nouvelle pratique musulmane, ou supposée telle, devient cause de suspicion. Les enseignants qui s’en sont indignés ont eu bien raison, car, toutes réactionnaires que sont certaines pratiques religieuses, ce n’est certainement pas en appelant à la délation systématique que la société s’en portera mieux. Comme le raconte un expert du terrorisme cité par le journal La Croix : « Avec ce discours, on court le risque de créer une société dans laquelle chacun ira dénoncer son voisin, pour tout et n’importe quoi. Moralement, c’est hautement contestable. Et, surtout, cela sera inefficace ».

Ce n’est pas « l’unité » que vise Macron, mais au contraire la division entre les travailleurs, en couvrant d’opprobre certains d’entre eux. Il cherche une voie de sortie après la contestation des Gilets jaunes et l’explosion des multiples colères, dont celle des urgentistes, qui s’exprime depuis plusieurs mois sans relâche. Quoi de mieux que d’utiliser la vieille ficelle xénophobe de l’extrême droite pour tenter de faire oublier aux classes populaires la responsabilité de la politique gouvernementale et du patronat dans le chômage et les fins de mois difficiles ? Alors oui, les travailleurs ont toutes les raisons d’être vigilants, mais contre ceux qui nous pourrissent réellement la vie au quotidien.

Formons nos propres comités de vigilance contre le patronat

Vigilance face aux patrons de la Chimie, qui mégotent sur la sécurité des installations, réduisent le personnel d’intervention, cachent au public, et souvent aux salariés eux-mêmes, la liste et la dangerosité des produits stockés. Depuis l’incendie de Lubrizol, le gouvernement promet une « transparence »… qui ne vient pas. Ce sont au contraire mensonges et dénis, à l’image d’Agnès Buzyn, ministre de la Santé, qui appelle à « reprendre une vie normale » : allez voir ailleurs, et surtout pas dans les affaires des patrons !

Vigilance face à la direction de la SNCF, qui laisse le matériel se dégrader et supprime du personnel au mépris de la vie des travailleurs et des passagers. Après la collision d’un TER le 16 octobre sur un passage à niveau en Champagne-Ardenne, le conducteur, blessé, devait gérer seul la sécurisation du lieu de l’accident et la prise en charge des passagers. Mission impossible, où le pire n’a été évité que par chance. Ce qui n’a pas empêché Édouard Philippe d’exiger des sanctions contre les cheminots « grévistes », qui n’ont pourtant, en appliquant leur droit de retrait, fait qu’exercer leur vigilance contre l’irresponsabilité de la direction.

Vigilance face aux patrons qui annoncent des plans de licenciements en série : 800 à General Electric, 600 chez Michelin, 530 à la Société Générale, 350 chez Uber, 8 500 dans la grande distribution (Carrefour, Conforama, Auchan, Castorama, New Look, etc.) Et ce sont plusieurs dizaines de milliers d’emplois menacés dans les grands groupes automobiles et chez leurs sous-traitants, entre la stagnation des marchés, les délocalisations et la fin programmée du diesel.

Vigilance contre le gouvernement, qui supprime des lits dans les hôpitaux, réduit le budget et le personnel des services publics, ferme des écoles, des trésoreries, des bureaux de poste, les rendant toujours moins accessibles au public.

Vigilance contre la police, qui réprime et tue. Il a fallu l’obstination des amis de Steve pour faire connaître la responsabilité de la police dans la noyade du jeune homme lors de la fête de la musique, tandis qu’Édouard Philippe racontait qu’il n’y avait « pas de lien entre l’intervention et sa disparition ». Et ce n’est que par le décompte d’un journaliste indépendant, David Dufresne, que l’information sur les morts et mutilés parmi les Gilets jaunes circule : pour le gouvernement, les violences policières n’existent pas !

Face aux mensonges du gouvernement et du patronat, à leurs attaques redoublées contre le monde du travail, à leurs tentatives nauséabondes pour détourner le regard des vrais responsables, c’est plus que de la vigilance qui est nécessaire, mais un véritable contrôle ouvrier : aux travailleurs de surveiller les agissements des capitalistes, en commençant par éliminer leur impunité qui se cache derrière le secret industriel, commercial ou bancaire ; aux travailleurs d’imposer leurs choix économiques, sociaux, environnementaux, en prenant sur les profits.

21 octobre 2019


[1Jérôme Hourdeaux, « « Société de vigilance » : les enseignants sont déjà requis depuis des années », Médiapart, 18 octobre 2019. Face au tollé, le président de l’université s’est excusé et a retiré sa note en prétendant ne pas être au courant. C’est pourtant difficile à croire, d’autant qu’une instruction identique avait déjà été envoyée en mars, mais aux seuls directeurs et chefs de service.

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