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Afrique du sud : la nouvelle révolte des townships

lundi 4 juillet 2005

La police sud-africaine est intervenue violemment durant tout la fin du mois de mai pour disperser des manifestations massives d’habitants des townships, ces ghettos où l’ancien régime de l’Apartheid avait voulu parquer les noirs. Les troubles ont touché non seulement les townships de la ville du Cap (avec de véritables soulèvements à Blackheath, Khayelitsha et Gugulethu) et de l’État de Western Cape (Sud-Ouest du pays) dont Le Cap fait partie mais également d’autres États comme l’Eastern Cape (région sud-est) ou de Free State (une région du centre). À Harrismith (Free State) et à Port Elisabeth (Eastern Cape) où les affrontements ont duré quatre jours, les forces de l’ordre ne peuvent plus circuler sans être prises à partie. Des responsables locaux ont été escortés vers la sortie par la population. Partout c’est la révolte de la population pauvre, lasse d’attendre des logements décents et des services sociaux de base.

Le mouvement a débuté en février dans deux townships de la région de Free State, près de Ventersburg (région de Free State), avant de s’étendre à Harrismith, Warden et Vrede (townships également de Free State). Il n’a cessé de se développer, atteignant Le Cap en avril. Le 27 de ce mois, des centaines d’habitants de plusieurs townships, dont Langa, Gugulethu et Nyanga, ont marché sur la ville. Un leader du bidonville de Gugulethu déclarait : « Des maisons maintenant ou des terres. Sinon, nous sommes prêts à mourir pour cette cause. » Le gouvernement local a proposé quelques logements. Du coup d’autres townships se sont enflammés à leur tour et ont affronté les forces de l’ordre dans de véritables batailles rangées. Pneus brûlés, jets de pierre contre les véhicules de police, barricades, tirs contre les émeutiers et arrestations massives, on se croirait revenu à l’époque où le parti raciste blanc imposait sa dictature. Et devant le Parlement du Cap, le président Thabo Mbeki déclarait : « ce n’est pas encore un danger immédiat pour notre démocratie. Mais ils [les mouvements] reflètent les failles dont nous avons hérité du passé et qui, s’ils s’enracinaient et gagnaient un véritable soutien populaire, représenteraient une menace pour la stabilité de l’Afrique du sud démocratique. »

Ni chômage, ni sida !

En effet c’est bien la révolte des townships qui, d’abord en 1976-77, puis en 1985-88, avait contribué à déstabiliser l’ancien régime de l’apartheid, puis s’en débarrasser. Elle reste une menace pour le nouveau régime post-apartheid parce que c’est toujours là que vit une bonne partie de la population qui ne dispose que d’un logement précaire. Selon Jeune Afrique du 4 mai 2004, « 40 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Les noirs ont un taux de chômage de 50 % contre 10 % pour les blancs et de 75 % pour les 16-24 ans. Les townships où vivent plusieurs millions de personnes offrent un environnement insalubre et dangereux. Contrairement à la paranoïa développée par les riches et les blancs, les principales victimes de violence sont bien les noirs. » La misère, le chômage, la violence sont donc toujours le pain quotidien de la grande majorité de la population noire même si une petite et même grande bourgeoisie noires ont fait leur apparition. Les inégalités se sont au contraire accrues et, face à un enrichissement d’une minorité de noirs, 22 millions de sud-africains vivent avec moins de un dollar par jour alors que la croissance du PIB était de 3,7 % en 2004.

La hausse massive du chômage est niée par le gouvernement qui publie des statistiques en contradiction flagrante avec la réalité vécue par la population. Dans sa lettre hebdomadaire aux membres de l’ANC de fin mai 2005, le président Thabo Mbeki déclarait qu’il était impossible que 26,9 % (contre 23 % en 2003) soit douze millions sur 44 millions soient sans emploi. « C’est un nombre trop grand pour qu’on ne les ait pas remarqué ». Et à l’humour noir de cette remarque il ajoutait le mépris : « La question est plus un manque de qualification qu’un manque de travail. (..) Le chômage n’a augmenté que dans la mesure de la hausse des aides aux plus pauvres. » Ce sur quoi les syndicats ont fait remarquer que Thabo Mbeki avait mis des années à admettre que le virus HIV causait le sida (la principale catastrophe de l’Afrique du sud avec la misère) et qu’il n’était donc guère étonnant qu’il continue sur sa lancée en niant l’existence d’un chômage massif.

Bourgeois noirs comme blancs...

L’Afrique du sud est le théâtre d’une offensive anti-sociale tous azimuts. L’État intervient violemment contre les grévistes, réprime les townships, réduit les aides aux chômeurs et aux sans logis. Les municipalités font de même et réduisent également les aides aux pauvres. La situation est d’ailleurs telle que la centrale syndicale Cosatu, qui fait pourtant partie intégrante de la coalition au pouvoir, s’est sentie obligée de s’opposer publiquement au projet de réforme du droit du travail proposé par le gouvernement ANC. Sous prétexte de favoriser l’embauche des jeunes, il s’agit s’imposer la flexibilité des salaires, des horaires et des conditions de travail.

En fait, c’est bien évident aujourd’hui, c’est la bourgeoisie sud-africaine et non les masses noires opprimées par le régime raciste qui a profité pleinement de la fin de l’Apartheid. Le pays en révolte a été pacifié, au moins pendant la décennie qui a suivi et les affaires capitalistes peuvent prospérer. Dirigé désormais par des noirs, débarrassé de l’étiquette d’État raciste qui limitait forcément son influence sur le continent africain, il a pu y développer le rôle de leader économique (vendeur d’armes notamment) et politique auquel aspirait déjà l’ancien régime. Le pays pèse un quart du PIB de toute l’Afrique (ce qui ne représente toutefois que l’équivalent de la Grèce). « L’Afrique du sud n’existera que si elle a sa place dans le monde  » déclare un ministre. Et il intervient dans un nombre de plus en plus grand de conflits africains, prenant notamment la place de la France auprès de certains dictateurs. Ainsi c’est Mbeki qui a présidé à la dernière tentative de règlement (qui semble d’ailleurs à nouveau tourner court) de la guerre civile en Côte d’Ivoire.

Pour les travailleurs noirs, la fin de l’Apartheid en 1994 signifiait l’espoir d’une vie meilleure, et ils ont fait, à tort, crédit aux dirigeants de l’ANC. Dorénavant, ils savent qu’ils ne peuvent compter que sur leurs propres forces.

Robert PARIS

Mots-clés Afrique du Sud , Monde
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