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Deux présidents pour le Venezuela

vendredi 29 mars 2019

En 2015, la droite remportait largement les élections législatives, une sorte de vote sanction contre Maduro alors que la situation économique avait sérieusement commencé à se dégrader. Même si une abstention importante a laissé la place à l’opposition. Pour l’opposition, c’était la grande victoire, le moment de défaire les mesures de Chávez. Leurs espoirs ont été vite contredits : l’Assemblée nationale a été mise à l’écart par Maduro, vite dépourvue de tout pouvoir. En 2017 l’opposition a voulu répliquer en descendant dans la rue, dans le but de renverser Maduro. Celui-ci a eu le dernier mot, à coups d’une répression dure (plus d’une centaine de morts), mais aussi parce que l’opposition n’avait réussi à mobiliser qu’une partie de la population. Maduro a fait élire une Assemblée nationale Constituante à la mi-2017, taillée sur mesure, dans un scrutin boycotté par l’opposition. Cette Assemblée constituante a pris le relais effectif de l’Assemblée nationale, même si l’Assemblée nationale n’a jamais été dissoute formellement. En 2018, une élection présidentielle a réélu Maduro avec 67 % des voix, mais dans un contexte où une partie de l’opposition avait appelé à l’abstention (46 % de participation).

Depuis début 2019, un nouveau bras de fer a démarré entre le gouvernement de Maduro et l’opposition, cette fois menée par Juan Guaidó, soutenu et parrainé par l’administration Trump.

Qui est Juan Guaidó ?

Aucun bout de l’administration de l’État, de la police, de l’armée, des institutions publiques n’obéit à Guaidó. Mais il se prétend depuis janvier président du Venezuela, car l’élection de Maduro serait illégitime, donc il lui appartiendrait de diriger par intérim le pays en attendant de nouvelles élections.

Voluntad popular (Volonté populaire), le parti de Guaidó, créé en 2009, défend l’économie de marché. Son principal dirigeant est Leopoldo Lopez (aujourd’hui en résidence surveillée), issu de la grande bourgeoisie vénézuélienne. Il a été maire de Chacao, la ville cossue de l’agglomération de Caracas bastion de la droite, et avait participé au coup d’État de 2002.

Juan Guaidó, plus jeune (35 ans), était un inconnu pour le grand public, un député de l’opposition parmi d’autres, élu président de l’Assemblée nationale en janvier 2019 car les partis de l’opposition ont un système de rotation pour ce poste.

Guaidó tente de se présenter comme le chef de tous les Vénézuéliens désireux de déloger Maduro et de convoquer de nouvelles présidentielles. Il n’hésite pas à se montrer avec des dirigeants de différentes forces, jusqu’à des anciens ministres de Chávez en dissidence ou des dirigeants syndicaux. Il ne met pas en avant le programme de son parti, mais l’urgence de la situation.

Une « aide humanitaire » mise en scène

Les quelques chargements d’aide venus par avions (parfois militaires) à la frontière colombienne, proviennent surtout de l’USAid, une institution de l’État américain, qui sous couvert d’aide humanitaire est un élément de la politique étrangère américaine. Toute cette « aide humanitaire » représente bien moins que ce que coûte à la population vénézuélienne les sanctions économiques américaines.

Maduro pouvait difficilement accepter l’entrée de l’aide, laquelle conforterait la légitimité de Guaidó. Le 23 février dernier, les frontières étaient fermées et les camions n’ont pas été autorisés à rentrer. L’un d’entre eux a pris feu. Pour l’opposition et la diplomatie américaine, c’était l’occasion de répéter sur tous les tons que le tyran Maduro mettait le feu à de la nourriture et des médicaments dont son peuple avait besoin. Même si, à en croire une enquête récente du New York Times, l’hypothèse la plus crédible est que l’origine du feu soit un cocktail Molotov jeté par un partisan de Guaidó.

Guaidó comptait-il sur un ralliement d’une partie de l’armée à l’occasion de cette épreuve de force ? Si quelques désertions ont été relevées, l’armée reste, pour l’instant du moins, du côté de Maduro.

Trump à l’offensive

Pendant des années, les États-Unis, au-delà des discours, restaient circonspects vis- à-vis du Venezuela de Chávez et Maduro, voulant éviter de répéter le fiasco du coup d’État de 2002. Mais Trump multiplie les déclarations va-t-en-guerre et ne cesse de dire qu’une intervention militaire n’est pas exclue.

Ce ne sont que des menaces à ce jour, mais Trump voudrait pousser à son avantage le fait qu’en Amérique Latine se sont multipliés les gouvernements marqués à droite (Brésil, Colombie, Argentine, Chili, etc.), plus disposés à coopérer avec l’impérialisme américain. Un basculement du Venezuela, autrefois chef de file d’une certaine contestation de l’Amérique latine, serait symboliquement important. Bien entendu, le pays est économiquement crucial, par l’importance de ses réserves pétrolières, les plus grandes au monde, à proximité immédiate des États-Unis.

Si Guaidó, parrainé par Trump, réussissait à renverser Maduro, la droite revancharde s’en prendrait aux classes populaires pour leur faire payer le prix fort, avec des mesures d’austérité. On ferait appel au FMI, car on prétendrait que c’est la seule façon de sortir de la crise. Les compagnies pétrolières verraient une opportunité de remettre totalement la main sur les richesses du pays.

Maduro tente de prouver qu’il a le peuple avec lui, en convoquant régulièrement des manifestations, et en jouant sur la corde nationaliste. On peut penser qu’une partie de ceux qui viennent à ces rassemblements ont subi des pressions de la part des responsables chavistes des quartiers qui contrôlent la distribution des aides comme les boites CLAP. Mais il est possible qu’une partie des classes populaires reste attachée au chavisme (même si c’est en distinguant les bonnes années de Chávez et celles d’un Maduro « incompétent ») et ne veut pas entendre parler de l’impérialisme américain et de ses alliés locaux.

Le régime chaviste, de plus en plus nettement appuyé sur l’armée, chaque fois plus autoritaire et répressif, profondément corrompu, n’est absolument pas un allié des classes populaires. En janvier dernier, plusieurs coups de colère, parfois sur des questions locales comme l’accès à l’eau, se sont exprimés dans des quartiers pauvres de Caracas et dans d’autres villes : des blocages de rue, des concerts de casseroles, quelques pillages de supermarchés. La répression a été féroce, avec des descentes des forces spéciales dans les quartiers et plusieurs morts.

Pour sortir du marasme, les travailleurs et les pauvres du Venezuela ne peuvent compter que sur leurs propres luttes.

16 mars 2019, Anne Hansen et Michel Charvet

Mots-clés Monde , Venezuela