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Citroën (Aulnay) : les travailleurs renouent avec la grève

lundi 2 mai 2005

Depuis le mouvement victorieux de 1982, qui avait présidé à l’apparition d’une section syndicale CGT importante, et la grève avec occupation de 1984, qui s’est conclue par une défaite et le licenciement de près d’un millier de travailleurs - la direction de la CGT ayant fait croire qu’il suffisait de faire confiance au gouvernement de gauche - il n’y avait pas eu de mouvement important sur le site d’Aulnay (93).

La composition des 5 200 salariés de cette usine de montage du groupe Peugeot-Citroën, qui a produit 418 000 véhicules en 2004, s’est profondément renouvelée depuis vingt ans. Aux immigrés marocains majoritaires dans les années 80, ont succédé des jeunes de banlieue et l’usage de travailleurs intérimaires s’est généralisé - au mépris des lois - au point d’atteindre, à certains moments, le tiers du personnel ouvrier (actuellement 500 intérimaires sur 4 300).

Les cadences ont depuis longtemps rattrapé celles des Japonais. Les paies, 1140 € nets pour un jeune embauché sur chaîne, y compris les primes d’équipe, sont très basses. L’encadrement multiplie les brimades, sans compter le flicage des travailleurs au travers de certains syndicats maison, le SIA (ex-CSL) par exemple.

Le mécontentement est donc grand dans l’usine. Aussi la programmation de journées non travaillées, indemnisées à 60 % seulement, a suffi à mettre le feu aux poudres. Au mois de mars pour les seuls vendredis non travaillés, les pertes de salaire auraient été en effet jusqu’à 150 €.

Le mercredi 2 mars, après le briefing de l’équipe du matin, 10 travailleurs d’un secteur du Montage Un, malgré les menaces des chefs, cessaient le travail pendant dix minutes.

Le jeudi, avec l’appui de syndicalistes de la CGT, de la CFDT et de Sud, 17 travailleurs du même secteur votaient la grève, rédigeaient un appel aux autres travailleurs et passaient sur les chaînes. En fin d’équipe on comptait déjà 140 grévistes.

Sous le contrôle de l’ensemble des grévistes

Le mouvement se renforce avec l’équipe de l’après-midi, au point que la direction propose de recevoir deux délégués par organisation syndicale accompagnés de 20 grévistes. Mais ce sont les 200 grévistes présents qui se rendent à la convocation, refusent de négocier avec les seuls sous-fifres et, après avoir réclamé en vain la présence du patron, repartent vers les ateliers aux cris de « 100 % pour tous ! » et « touchez pas à nos compteurs » (la direction se proposant de puiser dans les réserves des jours de congés pour indemniser les jours chômés).

L’équipe de nuit est touchée à son tour. Les voitures ne sortent plus.

Les grévistes, entre 350 et 450, sont très décidés, mais la grève est minoritaire. Les jours chômés des intérimaires, à la suite de la menace d’un mouvement à Sochaux l’an passé, sont indemnisés à 100 % en fin de mission ; ils ne participent pas au mouvement. Au Ferrage, l’autre grand atelier de l’usine, la grève est peu suivie. Par contre une cinquantaine de caristes et de transporteurs employés par Gefco, une filiale de PCA, se sont engagés activement dans la lutte.

Le lundi 7 mars, 80 grévistes sont présents à l’entrée, un peu inquiets car ce n’est pas l’équipe qui a démarré la grève qui est cette semaine-là du matin. Mais vite rassurés puisqu’ils se retrouvent finalement 250. La direction propose de négocier à nouveau, d’abord dans un autre site de la région parisienne, Poissy, puis finalement à Aulnay même. Dans une salle vitrée, une trentaine de membres de la délégation, élus en assemblée générale, entrent dans la salle avec un micro, laissant un haut-parleur dehors, afin que les 350 grévistes puissent suivre directement les échanges... et marteler les vitres lorsqu’ils sont mécontents des propos tenus. Les délégués SIA sont expulsés de la salle. Mais la direction s’en tient à ne vouloir payer que 12 jours chômés sur 25 et faire récupérer le reste. La grève continue même si le lendemain FO et la CFTC acceptent les conditions de la direction malgré le désaccord de leur base.

Le mercredi, alors que l’usine tourne au ralenti, les grévistes élisent un comité d’organisation de la grève soutenu par la CGT, la CFDT et Sud, d’environ 80 grévistes. Il est habituel que les syndicats, lors des négociations avec le patron, étoffent la délégation d’un certain nombre de grévistes pour lui donner un air démocratique. Ici, le comité d’organisation de la grève inclut des militants syndicaux mais il tient son pouvoir de son élection par l’assemblée des ouvriers en grève et non du bon vouloir des organisations syndicales, et c’est loin d’être une formalité.

C’est lui qui décide de populariser le mouvement en se rendant en cortège, avec tracts et banderoles, au centre commercial Paris-Nord (Carrefour) situé à 800 mètres où les grévistes sont accueillis chaleureusement par la population et les caissières. Ou de participer à la manifestation interprofessionnelle du 10 mars d’où quelques centaines de jeunes retournèrent à l’usine aux cris de « aujourd’hui à Paris, demain à Poissy ! ». La conscience de la nécessité d’étendre le mouvement à d’autres travailleurs du groupe était là. Cela a sans doute pesé sur la volonté de la direction de rechercher un compromis, d’autant plus qu’elle a besoin de sa production, presque stoppée par la grève, et que la tension va monter d’un cran avec l’irruption des grévistes dans l’atelier de peinture le lundi matin.

De l’autre côté ce lundi 14 mars, les grévistes, toujours très engagés et tenant bon, plafonnent au nombre de 300.

Les concessions de la direction

C’est dans ces conditions qu’une nouvelle journée de négociations aboutit à un accord.

Les jours de grève seront payés, mais trois d’entre eux récupérés par des journées en avril (nettoyage et entretien, mais pas de production de voitures).

Les 7 premiers jours chômés, au lieu d’être payés à 60 %, seront réglés à 100 %, indemnités incluses, dans tout le groupe PCA. S’il y a plus de 7 jours chômés, ils seront payés à 100 % mais récupérés en travaillant le samedi, au volontariat, dans un délai de deux ans.

Sur le plan des revendications c’est un succès d’autant que les jours de grève sont payés. Et sur le plan du moral c’est une victoire. Une fraction des travailleurs du site, dirigeant leur grève démocratiquement, bien que n’ayant pu entraîner la majorité de l’entreprise, ont bénéficié de la sympathie de celle-ci et ont quasiment bloqué une bonne partie de la production.

La direction a dû promettre qu’il n’y aurait pas de sanctions pour fait de grève. Paroles de patron ? Mais justement c’est cette autorité du patron qui a été remise en cause. Un gréviste a résumé ainsi la situation : « On a rompu nos chaînes ! ». Depuis des années on nous ressasse, certains pour le regretter, d’autres pour s’en réjouir, que les travailleurs du privé ont bien trop de difficultés pour entrer en lutte. Quelques centaines d’ouvriers de Citroën viennent de montrer... que ces obstacles étaient loin d’être insurmontables.

Bertrand MICHAUD

Mots-clés Entreprises , PSA
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