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Marseille en colère !

samedi 8 décembre 2018

Samedi 1er décembre une nouvelle manifestation a eu lieu à Marseille pour crier une fois de plus son indignation après l’effondrement, lundi 5 novembre, de deux immeubles rue d’Aubagne, lequel a fait huit morts, et pour « le droit à un logement digne pour toutes et tous ». Ce même jour étaient prévus, comme partout ailleurs, la manifestation de la CGT contre le chômage et la précarité et le matin un rassemblement des Gilets jaunes sur le Vieux port. Le cortège syndical, parti à 14 heures, ne regroupait que quelque 2 000 personnes, dont un bon nombre ont fini par rejoindre celui, bien plus nombreux, de la manifestation sur le logement, partie une heure plus tard. C’est un cortège de près de 15 000 personnes, rejoint aussi par des Gilets jaunes, qui a manifesté sur la Canebière pour aller jusqu’à la Mairie, où la police a commencé à gazer les manifestants, déclenchant les affrontements qui se sont suivis jusque tard dans la soirée.

Une situation de péril très connue

Le quartier de Noailles, un quartier populaire en plein centre ville, où se trouve la rue d’Aubagne, fait partie du projet d’aménagement de la mairie, nommé « Grand Centre Ville ». La société chargée du projet a réalisé un diagnostic sur toute la ville, publié en décembre 2014. Concernant le périmètre de 1 000 hectares de Noailles, on y lit : « Un manque de données fiables et à jour – Un manque de lisibilité sur les constructions en cœur d’îlots – Façades patrimoniales chères à restaurer, vétustes voire dangereuses ».

Les immeubles de la rue d’Aubagne, datant du xviiie siècle, sont en appui les uns contre les autres, et beaucoup sont dans un état d’insalubrité et de fragilité tel que d’autres effondrements restent encore possibles. Au point qu’un troisième immeuble a été démoli en urgence par les marins pompiers après l’effondrement des deux premiers.

Parmi ces trois immeubles, le no 63, appartenant à la ville, sous le coup d’un arrêté de péril imminent depuis 2008, avait été muré. Le no 65, avait été évacué le 18 octobre dernier après le passage d’experts constatant que l’immeuble ne tenait plus que sur trois murs porteurs, le quatrième s’enfonçant dans le sol. L’un des copropriétaires, louant sans vergogne un appartement, était un vice-président de la région et bras droit du maire de Marseille. Après quelques travaux, dont on ignore toujours la teneur, les locataires du 65 avaient été autorisés à regagner leur logement. Certains, craignant pour leur sécurité avaient décidé de s’installer chez des proches, d’autres n’avaient pas eu d’autre choix que de revenir dans cet immeuble.

40 000 logements insalubres ou dangereux

En 2015, un autre rapport sur la réhabilitation du logement à Marseille, destiné au ministère du Logement, faisait état de 40 000 logements en péril sur l’ensemble de la ville. 100 000 personnes (un peu plus de 10 % des habitants) vivent dans des logements insalubres ou dangereux.

En juillet dernier, une enfant est décédée après être tombée d’un balcon situé au 12e étage d’un immeuble. Les habitants avaient alerté sur l’état d’insalubrité du bâtiment et le manque de sécurité des balcons. De nombreux cas d’effondrement de planchers ou d’escaliers sont à déplorer de même que des incendies, des façades qui s’effritent, des corniches de balcon qui tombent, voire des balcons entiers comme lors de la marche blanche du 10 novembre.

Dans les écoles publiques des quartiers populaires les jeunes et les enseignants ne sont pas mieux lotis : il pleut dans les salles de classe, des toits s’effondrent et, l’été, la chaleur y est souvent insupportable. En 2016, un rapport avait révélé la situation catastrophique de ces écoles. La municipalité a alors proposé la destruction de 34 d’entre elles et leur rénovation par un partenariat public-privé. Le coût devrait avoisiner le milliard d’euros, pour le plus grand bénéfice de l’entreprise qui sera choisie parmi Vinci, Eiffage ou Bouygues. Plus de 8 000 personnes, enseignants, parents d’élèves et contribuables ont signé une pétition pour dénoncer cette fourberie.

La marche de la colère

13 % des logements sont indignes à Marseille. En 2015, un rapport indiquait qu’un quart de la population de la ville vivait en dessous du seuil de pauvreté. L’écart entre les plus pauvres et les plus riches va de 1 à 8. Si le quartier le plus pauvre de France est à Marseille, le quartier le plus riche aussi, celui de Périer dans le 8e arrondissement.

Lors de la « marche blanche » qui a eu lieu le samedi 10 novembre, plusieurs milliers de personnes (8 000 selon la préfecture) ont défilé du quartier de la Plaine jusqu’à la mairie, en passant par le quartier de Noailles. Malgré la volonté des organisateurs d’en faire une manifestation silencieuse, des slogans ont rapidement été scandés par la foule  : « Gaudin, assassin ! », « Gaudin, en prison ! », pancartes et banderoles stigmatisaient municipalité et marchands de sommeil. Et le mercredi suivant, c’était la marche de la colère. Plus de 10 000 personnes, avec des slogans encore plus virulents contre les responsables sont allées jusque sous les fenêtres de la mairie, avec des slogans contre Gaudin, l’accusant de porter toute la responsabilité des huit décès, et scandant « nous sommes tous des enfants de Marseille ! ». Une banderole affichait « 20 millions d’euros pour la Plaine, pas une thune pour Noailles, à qui profite le crime ? ». Les CRS qui protégeaient la mairie n’ont pas tardé à lancer des grenades lacrymogènes sur la foule qui pendant près de deux heures a résisté, les manifestants qui avaient dû reculer sous les projections de gaz revenant en force l’instant d’après.

Imposons des logements dignes de ce nom !

Le « Collectif du 5 novembre » qui a appelé aux manifestations réunit des habitants du quartier de Noailles, la plupart sinistrés ou voisins et des militants (dont certains proches de la France insoumise). Il tient des assemblées réunissant jusqu’à 200 personnes, qui ont lieu une à deux fois par semaine depuis le drame et sont destinées à apporter une aide d’urgence et juridique aux personnes délogées.

Et il ne s’agit plus seulement aujourd’hui du drame de la rue d’Aubagne. Depuis, 1 352 personnes ont été évacuées de leur logement par les autorités (chiffre du 26 novembre), d’autres sont en attente d’évacuation.

Le 9 novembre, quatre jours après les effondrements, un journaliste de La Marseillaise avait lancé un appel sur internet « #balancetontaudis », dans le but d’aider à répertorier tous les logements insalubres ou en péril. Il a provoqué une vague de dénonciations de logements indignes.

Mais du côté des autorités aussi on se précipite, alors qu’on avait tant trainé pour la rue d’Aubagne, C’est à se demander si le drame ne sert pas de prétexte. Sur les près de 200 immeubles qui ont été évacués depuis le 5 novembre, seuls une vingtaine ont fait l’objet d’un arrêté de péril. Pour tous les autres il n’y a aucun papier officiel qui certifie aux habitants que leur immeuble représente un danger, mais ils n’ont eu souvent que 20 minutes pour prendre leurs affaires personnelles et dégager les lieux sans aucune certitude de pouvoir y revenir un jour. Au mieux, la mairie les loge dans des chambres d’hôtel, avec des repas froids servis à l’autre bout de la ville et aucune aide financière pour acheter des vêtements ou le nécessaire de toilette. Pour ceux qui travaillent, la mairie propose des logements dans des immeubles souvent excentrés et loin du travail ou des écoles. Certains, désespérés d’être ballotés d’hôtel en hôtel, finissent par accepter un de ces logements, mais ils risquent, en échange, de ne pas obtenir d’aide financière pour toutes leurs affaires laissées dans l’ancien logement. Pour les autres, ceux qui n’ont pas d’emploi, rien d’autre que l’hôtel ne leur est proposé pour l’instant.

Lors des assemblées du « Collectif du 5 novembre », de plus en plus d’habitants se demandent ce qui se cache derrière ces expertises, faites à la va-vite, dans des immeubles qui paraissent parfois tout à fait sains. Rien n’a été rendu public à ce jour.

Une autre revendication est apparue rapidement : la réquisition des logements vides de Marseille. Selon la Fondation Abbé Pierre, il y en aurait 36 000 ! La loi du 11 octobre 1945, renforcée en 1998 et en 2013, autorise les municipalités à réquisitionner les logements vacants depuis plus de 12 mois. Mais, tout comme pour l’augmentation significative du nombre de logements sociaux, il va falloir l’imposer.

Ajoutons que ce collectif n’est pas seul à militer pour le logement à Marseille, d’autres existent dans certains quartiers pauvres du centre-ville et dans les quartiers Nord et Est, pour lutter contre l’insalubrité des logements et des écoles.

2 décembre 2018, Élise Vida

Mots-clés Logement , Politique
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