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Aux confins du Calvados et de la Manche

Une famille en gilet jaune

Interview

samedi 8 décembre 2018

Ancien travailleur de la grande distribution, Pierre, 56 ans, est devenu ouvrier dans le bâtiment et est maintenant au chômage depuis quelques années suite à une maladie professionnelle. Jeanne, 54 ans, est fonctionnaire de catégorie C. Leur fils Léo, 17 ans, est en terminale STAV, un bac technologique en lycée agricole. Ils habitent dans une commune de 200 habitants aux confins du Calvados et de la Manche, et à quelques kilomètres de l’A84. Ensemble, ils ont décidé d’enfiler leurs gilets jaunes et de participer le 17 novembre au blocage de l’échangeur de Guilberville de l’A84, bloquant à la fois cette autoroute qui relie Caen à Rennes, et la 4 voies Vire – Saint-Lô. Retour sur leur expérience.

Convergences Révolutionnaires : Pourquoi avez-vous décidé de participer au 17 novembre ?

Pierre : Parce qu’il y a un ras-le-bol de ce gouvernement qui augmente les impôts et qui méprise les gens qui ont de moins en moins pour vivre. Et aussi parce qu’on voyait que c’était un mouvement de la population, apolitique, qui ne pouvait donc pas être trahi ou récupéré par des organisations comme c’est toujours le cas.

Jeanne : C’est en soutien aux revendications des Gilets Jaunes sur les taxes trop élevées et aussi sur le fait que, quand on habite à la campagne, on doit se déplacer pour tout faire : travailler, acheter à manger, emmener ses enfants à l’école, etc. Il n’y a pas de transport en commun et la voiture est vitale. Si on ne peut pas l’utiliser, on n’a plus qu’à mourir dans notre village. (…) En plus, le gilet jaune se voit bien, ce qui en fait un très bon outil.

Léo : C’est aussi pour faire comprendre à Macron qu’on est dans une démocratie et que ce n’est pas normal qu’il décide de tout à la place des gens.

CR : comment avez-vous appris qu’il y avait une action près de chez vous ?

Jeanne et Pierre : (…) C’est notre fils qui nous a le plus informé car il est sur facebook.

Léo : C’est sur les réseaux sociaux que les Gilets Jaunes ont organisé le rassemblement et c’est là que les informations précises étaient.

CR : Comment s’est passée votre arrivée au rassemblement de Guilberville ?

Jeanne : (…) Les gens se garaient sur le bord des routes et sur les parkings de covoiturage. Les gens venaient à pied remplir le rond point au-dessus de l’autoroute. Quand il a été bien rempli, certains ont commencé à descendre sur l’autoroute de manière spontanée. C’était très impressionnant. Il faisait vraiment très très froid et il y avait énormément de brouillard. Des barils avec du feu étaient installés et les gens se réchauffaient autour. Il y avait quelques drapeaux « bleu blanc rouge » qui flottaient, ça ne nous a pas vraiment réjouis. Tous les âges étaient représentés et tout au long de la journée des familles sont arrivées avec leurs enfants parfois très jeunes. Les motards étaient assez nombreux à nous rejoindre.

Pierre : les forces de l’ordre étaient présentes de manière modérée le matin. Vu le nombre de blocages, ils ne pouvaient sûrement pas être partout.. De quelques gendarmes au départ, ils ont été renforcés par des gens plus spécialisés du PSIG avec mitraillette en bandoulière et gilets tactiques. Assez étonnant pour venir surveiller de simples Gilets Jaunes… mais il n’y a pas eu de tension.

Jeanne : On est allé prendre un café à Guilberville à 11 h pour se réchauffer. Ça tournait beaucoup. Certains Gilets Jaunes avaient amené des barbecues, d’autres utilisaient les caniveaux pour griller leurs saucisses.

Les filles avaient construit une sorte de paravent qui servait de toilettes, pas évident sur les autoroutes, il faut penser à tous les détails qui permettent la participation des gens sur le long terme.

Il y avait des barrages filtrants sur l’axe Rennes/Caen et aussi sur l’axe Vire/Saint-Lô dans les deux sens. Les camions restaient bloqués, ils étaient surtout étrangers (Lituaniens et Polonais). Les voitures passaient au compte-gouttes. Celles qui transportaient des enfants ou des personnes à risque étaient prioritaires.

Pierre : Ensuite l’autoroute a été fermée et des déviations mises en place. Les camions arrêtés nous protégeaient de toute tentative d’évacuation. Certains Gilets jaunes s’étaient déjà vus pour organiser un peu la journée. Quelques uns avaient des talkies walkies pour communiquer mais on ne peut pas vraiment dire qu’ils dirigeaient quoi que ce soit, ils avaient plutôt un rôle sécurisant.

CR : Comment la journée s’est-elle organisée ?

Léo : On a discuté entre nous de pourquoi on était là, moi je participais surtout à l’action concrète. Chacun prenait des initiatives, il n’y avait pas de chef déclaré. Chacun était responsable au même titre que les autres du bon déroulement de la journée. J’ai participé à arrêter des véhicules, décider du moment où ils pouvaient repartir au bout de 5 à 10 minutes, repérer les passagers à risque et les faire passer, etc (…) On cherchait vraiment à discuter et faire comprendre notre cause aux automobilistes. Il y avait parfois quelques mécontents, on leur expliquait que c’est aussi pour eux qu’on bouge.

Jeanne : Les automobilistes étaient assez solidaires sauf ceux qui avaient des intérieurs cuir...

Lorsqu’on est repartis en fin de journée, on ne savait pas que ça continuerait toute la nuit et les jours suivants.

Léo : Ça s’est décidé individuellement, les gens qui sont restés ont décidé de tenir le plus longtemps possible et ont appelé à les rejoindre grâce à facebook.

Pierre : Ce qui est bien, c’est que tous les gens qui ont du mal à joindre les deux bouts étaient là. Peu importe leurs opinions politiques, ça venait vraiment de plus loin que les simples préjugés. Quand il y a une manif avec des syndicats, c’est presque toujours pour défendre des intérêts corporatistes. Là, ça concernait immédiatement tout le monde, ça venait du cœur, et ceux qui n’étaient pas là n’ont pas de cœur car ils n’en ont pas besoin : ils ont du pognon. Pour les appréhensions, on avait quand même toujours la menace d’une intervention policière et de devoir payer une amende car le gouvernement avait communiqué dans ce sens.

Jeanne : J’aurais vraiment aimé qu’on soit plus sollicités pour savoir ce qu’on voulait faire pour la suite et décider collectivement. C’était l’occasion, car il y avait énormément de monde. C’est dommage que tout se soit décidé plus tard, une fois que la majorité des gens étaient rentrés chez eux, il aurait fallu discuter au plus fort de la journée et prendre les décisions à ce moment-là.

Sinon, l’expérience de la loi travail et de quelques manifs m’a montré que les forces de l’ordre sont agressives quand elles en ont reçu l’ordre. Pas envie qu’on se retrouve dans une rixe. C’est aussi pour ça qu’on est reparti avant la nuit.

Correspondant local

Mots-clés Gilets jaunes , Interview , Politique