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Israël-Palestine : une nouvelle donne

mardi 9 octobre 2018

L’actualité internationale a mis la question au premier plan

Le cycle de relations entre la Palestine et Israël, qui a débuté en 1993 avec les accords d’Oslo, s’achève. La promesse fallacieuse d’aboutir à la paix par une solution à deux États a fait long feu.

Dans le cadre de l’alliance des USA, d’Israël et de l’Arabie saoudite contre l’Iran, Donald Trump a annoncé, le 6 décembre 2017, pour appuyer Netanyahou, qu’il allait reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et déplacer l’ambassade des USA dans cette ville. Ce faisant, il mit le feu aux poudres.

Suite à la faillite patente de l’Autorité palestinienne appuyant la solution à deux États, le Hamas s’est lancé dans une surenchère nationaliste.

Confronté à des manifestations à la frontière de Gaza, le gouvernement israélien de Netanyahou n’a pas hésité à perpétrer un massacre. Sur ordre, des snipers de l’armée israélienne ont assassiné de sang-froid plus de 170 civils exaspérés par la condition qui leur est faite dans la prison à ciel ouvert de Gaza, et mutilé à vie des milliers de manifestants.

Le mythe d’Israël, respectueux de la démocratie à la différence des dictatures arabes, dévoile un visage que voulaient ignorer ses soutiens dans la diaspora juive.

En riposte à ces exactions, des lancers de cerfs-volants enflammés et de missiles rudimentaires ont servi de prétexte à Israël pour reprendre des bombardements sporadiques, prétendument ciblés, de la bande de Gaza.

Ni les Palestiniens ni les Israéliens ne voient d’autre alternative qu’une guerre sans fin.

Netanyahou a profité de la situation et de l’appui de Trump pour faire voter une loi, proposée en 2014 mais rejetée à l’époque par la Knesset (le Parlement israélien), destinée à briser toute velléité de solution nationale pour les Palestiniens.

La situation, intérieure et extérieure, a pesé sur la radicalisation de la droite israélienne. Une très courte majorité de députés a voté le 19 juillet dernier l’adoption de cette loi fondamentale, l’équivalent israélien d’une Constitution.

La nouvelle loi affirme que l’État d’Israël est désormais « l’État-nation du peuple juif ».

Jusqu’ici, les citoyens d’Israël ont en principe des droits égaux. En plus de la citoyenneté, un habitant est défini par sa nationalité. On est citoyen israélien de nationalité arabe, druze, bédouine, circassienne, etc… Pour les citoyens arabes israéliens cette « nationalité » sert, entre autres, à les exclure de nombreux droits. Mais les sionistes ont toujours refusé de parler de « nationalité israélienne » car ils ont toujours prétendu que l’État d’Israël n’est pas celui de tous ses citoyens, mais celui des Juifs du monde entier.

Désormais seul le « peuple juif » pourra exercer son droit à « l’autodétermination nationale » – l’État sera donc, en droit, exclusivement celui du peuple juif au détriment des autres nationalités. Être israélien se résume désormais à être juif.

L’hébreu devient la seule langue officielle ; le drapeau, l’hymne national, les jours fériés seront juifs, et Jérusalem proclamée définitivement « capitale complète et unie » de l’État d’Israël.

Cette reconnaissance de Jérusalem comme capitale par le Président américain Donald Trump a ouvert la voie à l’État israélien. C’est un encouragement à la poursuite de la politique du fait accompli envers les colonies de Cisjordanie. Avec l’absence de toute discussion des responsables américains avec l’Autorité palestinienne, y compris dans le cadre d’un futur plan de paix – le plan Kushner, du nom du gendre et conseiller de Trump, plan qui n’a pas encore été rendu public –, c’est aussi la fin désormais assurée des accords d’Oslo et du processus menant à l’établissement d’un État palestinien indépendant.

La nouvelle loi : un changement symbolique ?

La contestation légale de la loi est venue d’en haut.

Le Président israélien Reuven Rivlin, qui ne dispose quasiment d’aucun pouvoir politique, s’est adressé aux députés du Likoud pour leur demander de refuser la nouvelle loi fondamentale. Une intervention particulièrement rare dans le débat parlementaire. Il critiquait le texte initial, qui prévoyait la possibilité de créer des « implantations communautaires séparées », des villages exclusivement juifs, arabes, druzes… Selon lui, la loi aurait alors permis « à toutes les communautés, sans aucune limitation ou sans équilibre, d’établir une communauté sans Mizrahim (Juifs moyen-orientaux), sans ultra-orthodoxes, sans Druzes, sans membres LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) ».

Quel équilibre aurait trouvé grâce à ses yeux ?

Celui déjà prévu par la « loi des commissions d’admission », votée en 2011, alors qu’il était président du Parlement. Celle-ci permet de refuser de nouveaux membres, s’ils portent préjudice au « tissu social et culturel de la communauté ». Rivlin refuse la discrimination entre Juifs, entre Juifs et Druzes, envers les LGBT, mais il admet les discriminations contre les Arabes israéliens, sur la base de motifs « culturels », et l’interdiction qui peut leur être faite de vivre au sein des quartiers communautaires juifs.

Pour les Arabes d’Israël, qui représentent plus de 20 % de la population, une formule existe depuis longtemps à ce sujet : « l’État est démocratique pour les Juifs, mais il est juif pour les autres citoyens ».

Ainsi l’État délègue déjà à des institutions juives (Agence juive, Fonds national juif) une partie de la gestion de la terre et des aides sociales qui deviennent inaccessibles aux citoyens non juifs.

Les Arabes israéliens ne sont pas appelés à faire leur service militaire, mais de nombreuses entreprises demandent lors de l’embauche de justifier de l’avoir effectué.

L’université est gratuite pour ceux qui ont accompli leur service militaire, mais payante pour les citoyens israéliens de nationalité arabe.

Autre exemple : en Galilée, dans le nord d’Israël, par mesure de rétorsion, l’État a réduit, puis coupé les crédits d’une municipalité arabe, parce que les habitants refusaient à des Juifs le droit d’acheter des terrains ou des maisons. Alors pendant des années, les cinq kilomètres de route aux abords des deux villages juifs et arabes, distants de vingt kilomètres n’ont pas été entretenus, au détriment de tous les conducteurs… arabes et juifs évidemment !

Les candidats aux élections, juifs ou non, doivent reconnaître (et ils devront toujours) le caractère juif de l’État, sous peine d’être empêchés légalement de se présenter. Les députés arabes israéliens élus sont régulièrement sanctionnés lors des débats à la Knesset et font l’objet de menaces de mort de la part de la droite la plus dure.

Il ne faudrait pas croire pour autant que rien ne change.

Netanyahou, personnellement visé par la justice israélienne pour des affaires de corruption, est en partie poussé dans une fuite en avant dont il espère qu’elle fera oublier les scandales qui le poursuivent. Il compose avec tous les éléments de sa coalition au gouvernement, immigrés russes laïcs et colons ultra-orthodoxes, très divers, mais tous unis contre la menace que feraient peser les « Arabes », qu’ils soient ou non citoyens israéliens.

Mais l’essentiel n’est pas là.

La formule « Israël État-nation du peuple juif » n’est pas une simple aggravation de la situation actuelle. C’est une affirmation politique qui inscrit dans une loi fondamentale une perspective politique ultra-nationaliste qui se veut irréversible : c’est une justification constitutionnelle (bien que le pays n’ait pas de Constitution) du droit à la possession par Israël d’Eretz Israël (« la terre sacrée d’Israël », dont les limites ne sont volontairement pas définies). La politique de colonisation de fait et d’annexions sauvages devient une entreprise disposant désormais de l’appui officiel, légal, constitutionnel, de l’État. La loi stipule en effet que « le développement des implantations juives relève de l’intérêt national et que l’État prendra les mesures pour encourager, promouvoir et servir cet intérêt ».

La loi « Israël État-nation du peuple juif » et la diaspora juive

Des personnalités israéliennes se sont prononcées contre la définition de « l’État-nation des Juifs » au nom de la déclaration d’indépendance d’Israël de 1948 qui affirmait que l’État « assurera une complète égalité sociale et politique à tous ses citoyens, sans distinction de religion, de race ou de sexe ». Mais l’indépendance d’Israël, proclamée en temps de guerre, s’est accompagnée dès l’origine d’expulsions, de déplacements de population et de régimes spéciaux pour les Arabes israéliens. Il n’existe pas d’âge d’or d’Israël au cours duquel une égalité de droits aurait été garantie dans les faits.

Cette proclamation de 1948 a une importance symbolique, pour la diaspora juive, en maintenant l’espoir d’un État refuge pour les Juifs du monde entier, capable de garantir l’égalité entre tous ses citoyens sans exception. D’où son soutien inconditionnel à l’État d’Israël.

Mais l’appui ouvert donné par Netanyahou à la candidature Trump, entouré d’antisémites comme Steve Bannon, un Trump refusant de condamner sa base électorale sympathisante du Ku Klux Klan, a ouvert les yeux de bien des Juifs américains, en particulier lors des évènements de Charlottesville, en août 2017. Après des violences et le meurtre d’une jeune femme par des néonazis, Trump condamna sur un même plan les manifestants antifascistes et les néonazis. Jérusalem ne pipa mot.

Puis Netanyahou soutint en 2017 le dirigeant populiste hongrois Viktor Orbán qui mena une campagne antisémite contre le milliardaire juif américain Georges Soros, qui finance des ONG libérales. La communauté juive hongroise qui se sentait menacée se sentit lâchée, d’autant que Netanyahou reçut ensuite chaleureusement Orbán en Israël. Netanyahou n’en resta pas là. Il signa une déclaration négationniste commune avec Mateusz Morawiecki, le Premier ministre polonais, plaçant sur le même plan antisémitisme et « antipolonisme », et exonérant la Pologne de tous crimes passés contre les Juifs de 1939 à 1946, date du pogrom de Kielce, perpétré par des Polonais après la Libération.

C’est un tournant décisif du sionisme, privilégiant les intérêts immédiats d’Israël sur ceux de la diaspora juive au profit d’alliances avec des populistes antisémites d’extrême droite.

Une politique cyniquement « territorialiste » dans la ligne du sionisme révisionniste de Jabotinski, le père spirituel de l’extrême droite juive, de l’Irgoun et du Likoud.

Les partisans du sionisme social-démocrate se sentent floués car la lutte contre le racisme et la défense de la mémoire de la Shoah représentaient, jusqu’ici, un ciment de leur soutien à l’État hébreu.

Mais Netanyahou espère remplacer l’appui d’une partie des Juifs américains proches des Démocrates par celui des évangélistes-sionistes américains proches des Républicains et celui des États voyous est-européens. Tous sont animés de la même haine réactionnaire contre les migrants, les Arabes et les Musulmans. Même hostilité envers l’Europe qui soutient les ONG anti-sionistes militant en Israël. Alors Netanyahou courtise les dirigeants populistes d’extrême droite pour avoir des alliés au sein de la Commission et du Conseil européens, permettant de bloquer des votes contre la politique israélienne. Peu lui importe qu’ils soient antisémites.

C’est donc une partie de la diaspora qui se fait entendre, aux États-Unis et dans d’autres pays, contre une loi qui serait une rupture avec le projet du fondateur du pays. Mais un appel à l’État d’Israël tel qu’il est, pour faire respecter des principes qu’il a toujours foulés aux pieds, a bien peu de chances d’être suivi d’effet.

La mobilisation des Druzes

En Israël, ce sont donc les Arabes israéliens qui sont prioritairement visés par la loi « Israël État-nation du peuple juif », et pourtant ce ne sont pas eux qui ont été les premiers à descendre dans la rue, mais les Druzes. Cette minorité arabophone de 130 000 personnes, en Israël, effectue le service militaire obligatoire contrairement aux autres minorités, et souvent dans des unités d’élite. De nombreux Druzes estiment qu’ils ont toujours marqué leur fidélité à l’État, et n’acceptent pas d’être désormais catalogués comme des citoyens de seconde zone. La manifestation du 4 août pour demander « l’égalité » a réuni plus de 50 000 personnes à Tel-Aviv. À la tête de la mobilisation, représentants religieux et anciens officiers de l’armée rappelaient à quel point leur communauté avait été loyale. Des Bédouins, anciens soldats eux aussi, s’étaient joints à la manifestation.

Le gouvernement avait proposé une loi séparée, garantissant un statut spécial aux Druzes, tout comme un tel statut devrait être proposé ultérieurement pour la langue arabe. Mais cette proposition n’a trompé personne.

Pour faire passer sa loi, Netanyahou est prêt à certaines concessions à telle ou telle minorité. Il a déjà essayé par le passé, mais sans succès, de proposer aux Chrétiens un statut à part, c’est-à-dire de ne plus être considérés comme Arabes ni Palestiniens, et, en échange d’avantages communautaires, d’effectuer le service militaire.

Le refus des Druzes est profond et sincère face au mépris de l’État israélien. Mais il ne peut entraîner vers lui que le soutien de petites minorités qui se sentent israéliennes.

Pour la grande majorité des Arabes israéliens, des Palestiniens ou même des Refuzniks – objecteurs de conscience israéliens qui refusent de servir dans l’armée, ou de servir dans les territoires palestiniens occupés –, la situation des Druzes est une démonstration politique de l’impasse à faire des arrangements avec un tel État.

Pourtant, elle a ouvert la voie à la lutte.

La manifestation des Arabes israéliens polarise le débat

Dans le sillage des Druzes, la contestation issue de la population arabe israélienne a pris un caractère plus direct et plus profond. La manifestation du 11 août, à l’appel de 26 organisations, a réuni plusieurs milliers d’Arabes israéliens et la frange la plus déterminée des opposants de la gauche israélienne, scandant « non à la loi », « justice et égalité maintenant ». Bien que numériquement inférieure à celle organisée par la minorité druze, elle a immédiatement polarisé le débat politique, certains des manifestants arborant le drapeau palestinien et reprenant les airs du mouvement national palestinien. Un des organisateurs critiquait l’accent mis par les Druzes sur le service militaire lors de la manifestation précédente du 4 août, en affirmant : « c’est le contraire de notre message, qui protège l’égalité de tous les citoyens sans exception ». Une manière de dire que les objectifs de la lutte ne concernent pas que les Druzes.

Amir Hanifas, un représentant druze, très nationaliste israélien, critiquait cette nouvelle manifestation en affirmant que la présence de drapeaux palestiniens était « inacceptable » et la mobilisation « illégitime ». Le ministre de la Culture et des Sports, Miri Reguev, a déclaré pour sa part que « l’extrême gauche et les Arabes israéliens préfèrent la couleur rouge, noire ou verte à celle bleu-blanc (du drapeau israélien)  », alors que le ministre de l’Agriculture, Ouri Ariel, indiquait carrément « ceux qui ont défilé à Tel-Aviv avec les drapeaux de l’OLP sont de la même engeance que ceux qui s’attaquent à nos civils et à nos soldats, ou qui incendient nos champs. Ces gens doivent aller s’installer à Ramallah ou à Damas, et le plus vite sera le mieux ».

Toute mise en cause de la primauté des Juifs en Israël est assimilée à un appel à la destruction de l’État, et toute affirmation nationale palestinienne comme un appel au massacre des Juifs.

Une légalisation de l’apartheid ?

Le député Zouheir Bahloul, issu d’une liste « sioniste de gauche », a démissionné de la Knesset car la loi établit selon lui le « séparatisme ethnique » et présente « des symptômes d’apartheid ». Un terme repris par Saeb Erekat, secrétaire général de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), qui parle d’une « légalisation de l’apartheid ».

Masud Ganaim, issu de la liste arabe unie à la Knesset, rappelle que la loi « ne se limite pas aux frontières israéliennes de 1948 mais s’étend également aux territoires occupés depuis 1967 et ailleurs. La loi dispose que seuls les Juifs ont droit à ces terres. Que ni Arabes, ni Palestiniens ni personne d’autre n’ont aucun droit sur elles. Désormais, tous ces gens passent dans la catégorie des minorités nationales ».

Il s’agit là d’un élément central, et pourtant passé sous silence par toute une partie des opposants à la loi : le problème se pose dans l’étendue réelle des territoires administrés par Israël, y compris les territoires occupés (la Cisjordanie) et Gaza, dont l’armée s’est retirée mais qui subit le blocus et les bombardements. La fiction des deux États ne fait plus illusion, et la loi fondamentale est pensée dans ce cadre.

Dans ses frontières de 1967, la société israélienne est morcelée, marquée par la ségrégation, divisée fondamentalement entre Israéliens juifs et Palestiniens, à travers une multitude de statuts intermédiaires : Juifs sépharades méprisés par les premiers migrants ashkénazes, Falashas d’Éthiopie victimes du racisme, Druzes, Bédouins, Arabes israéliens, résidents arabes de Jérusalem, Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, réfugiés palestiniens de l’intérieur et de la diaspora… La place de chacun est déterminée par sa place dans l’affrontement entre le gouvernement et les Palestiniens.

La comparaison avec l’apartheid ou la ségrégation aux États-Unis, avec le colonialisme français en Algérie, paraît évidente.

La bourgeoisie israélienne a besoin de main-d’œuvre à bon marché, qu’elle a cherchée et cherche encore parmi la diaspora juive, ou par l’immigration africaine. Du point de vue du sionisme, une autre source d’immigration, même si elle n’est pas juive, représente un danger moins immédiat et moins grave que la classe ouvrière palestinienne.

Bien sûr, ce projet politique sioniste n’empêche pas les capitalistes israéliens d’utiliser les travailleurs arabes israéliens ou même à l’occasion les travailleurs palestiniens venus des territoires occupés, dans la construction ou l’agriculture. Mais le système des autorisations provisoires de travail et les check-points, même s’ils permettent un contrôle efficace de la main-d’œuvre, ne sont plus adaptés à des productions plus exigeantes en qualification, et restent très dépendants de la conjoncture politique générale.

Et surtout, la bourgeoisie sud-africaine restait dans un face-à-face avec les travailleurs noirs, et elle a favorisé l’émergence d’une bourgeoisie noire très minoritaire pour conserver l’essentiel de sa domination après 1991, dans une « nation arc-en-ciel ». La bourgeoisie israélienne, au contraire, cherche un moyen d’intégrer partiellement, minorité par minorité, toutes les composantes qui lui permettent encore de marginaliser le rôle de la classe ouvrière palestinienne dans la production. Elle écarte aussi la bourgeoisie palestinienne ancienne, en grande partie prête à collaborer au travers de l’Autorité palestinienne. Ce que les sionistes refusent.

La situation diffère des autres gouvernements ségrégationnistes de l’histoire passée et de l’apartheid en Afrique du sud : pour les classes dominantes israéliennes, le problème n’est pas seulement de faire travailler, d’exploiter les masses arabes, mais de s’en débarrasser à terme, par la relégation mais aussi par le « transfert », c’est-à-dire l’expulsion d’une partie significative des « Arabes » – car la droite israélienne refuse de les considérer comme des Palestiniens – vers le reste du monde arabe.

Les limites de l’opposition démocratique révolutionnaire en Israël

Il existe depuis longtemps en Israël des mouvements non sionistes, opposés à l’occupation et partisans de l’égalité civique. Ces mouvements, très minoritaires, n’en sont pas moins significatifs par la durée de leur existence et par leur capacité à resurgir régulièrement dans le débat politique comme la fraction la plus avancée de la société israélienne.

Figure de la gauche non sioniste, Michel Warschawski voit un tournant entre le caractère démocratique « illusoire » d’un État qui se percevait comme tel, et un gouvernement qui grave dans le marbre de la loi fondamentale un ancien slogan électoral du ministre de la Défense d’extrême droite, Avigdor Liberman : « pas de loyauté, pas de citoyenneté ».

Autre militant israélien, Jeff Halper, à l’origine d’une campagne contre les destructions de maisons palestiniennes, affirme que « tout le monde sait que la solution des deux États pour la Palestine et Israël est morte et disparue ». Mais au lieu d’une nouvelle perspective, on se trouve devant « une gestion sans fin du conflit », des négociations qui « ne mènent nulle part » mais « peuvent être prolongées indéfiniment ». Avec d’autres militants israéliens, juifs et arabes, il mène campagne « pour un État démocratique, qui ne pourrait voir le jour que s’il était multiculturel et reconnaissait le droit au retour des réfugiés palestiniens ».

Il existe en Israël d’autres courants, d’autres mobilisations, porteurs d’une position plus clairement affirmée, de la part des Arabes israéliens comme d’une part minoritaire de la population juive qui, tournant le dos à une activité directement politique, s’investissent dans des mouvements sociaux ou associatifs. D’autres, dans des ONG bien plus engagées comme « Breaking the silence », dénoncent courageusement les exactions de l’armée israélienne, en particulier dans les territoires occupés.

La lutte des démocrates et de la gauche de la social-démocratie pour « l’égalité citoyenne » des Arabes israéliens et des autres communautés vivant en Israël, en vue d’obtenir un statut équivalent à celui des citoyens juifs israéliens, est une lutte nécessaire. Effectivement, la nouvelle législation consacre la primauté du caractère national de l’État sur le principe de démocratie.

Mais elle n’implique pas les Palestiniens de Gaza, de Cisjordanie et a fortiori les millions d’entre eux qui croupissent dans des camps, dans les pays limitrophes d’Israël.

Se limiter à une lutte pour une citoyenneté pleine et entière, lutter uniquement en Israël contre le statut de citoyens de deuxième zone, consacrerait l’abandon de ce pourquoi le peuple palestinien, opprimé par Israël, les États arabes et l’impérialisme, se bat depuis 1967, à savoir la volonté d’aboutir à un État palestinien.

C’est ce qui explique que des Palestiniens continuent à militer pour une solution, de plus en plus improbable, à deux États. À leur sens, mieux vaut un fantôme d’État que pas d’État palestinien du tout. Et c’est ce sentiment que dévoie la politique nationaliste mortifère et sans espoir du Hamas.

Pas de lutte pour les droits civiques sans résoudre la question nationale

Impossible, donc, d’imaginer une lutte pour les droits civiques qui reste bornée dans le cadre étroit des droits donnés par l’État juif israélien. À chaque conflit social, à chaque revendication civile ou politique, le gouvernement Netanyahou répond par l’entre-soi, entre l’État et les différentes communautés. Pour reprendre la chanson de Ferrat, les acquis sociaux sont proposés « comme des dessous-de-table » aux Druzes ou autres minorités pour leur collaboration dans la lutte contre les Palestiniens.

L’égalité civique ne suffit pas : sans la reconnaissance des droits nationaux palestiniens, elle reste vide de sens pour tous ceux qui subissent de fait la ségrégation et l’occupation.

Seul un État auquel participeraient effectivement des Palestiniens et des Israéliens pourrait garantir à tous que leurs droits soient effectifs, et pas seulement des mots. L’embryon d’État palestinien, que ce soit en Cisjordanie ou à Gaza, n’a pu répondre à aucune de ces promesses et se limite aujourd’hui à un appareil sécuritaire, dépendant politiquement et financièrement d’Israël et d’autres États pas mieux intentionnés. L’État israélien, qui tient de fait sous son contrôle l’ensemble du territoire, structuré autour d’une armée gangrénée par plus de cinquante ans d’occupation des populations civiles palestiniennes, est incapable de résoudre les contradictions du projet sioniste. Il ne propose même pas aux Palestiniens une intégration sous le statut de citoyenneté réduite.

Quelles perspectives pour les travailleurs d’Israël et de Palestine ?

Pour les révolutionnaires, il est aujourd’hui indispensable d’avancer une perspective capable d’entraîner toutes les composantes nationales de la société, que ce soit du côté israélien ou palestinien. Un État binational est aujourd’hui la seule solution acceptable, à défaut d’être désirable, par tous. À condition de donner des garanties à chaque partie : seul un tel État pourrait assurer le droit au retour des réfugiés palestiniens et éventuellement être un refuge pour des Juifs persécutés dans le monde.

Mais il faudra, pour qu’il voie le jour, des luttes d’une ampleur autrement plus forte, du côté palestinien comme du côté israélien, contre l’oppression et l’exploitation des travailleurs. Un État binational démocratique est une impossibilité dans le cadre du capitalisme et de l’impérialisme fauteur de guerres au Moyen-Orient.

Les sionistes se prétendent « la seule démocratie de leur région », mais ils n’ont créé qu’une société inégalitaire, injuste, dangereuse et finalement invivable pour tous.

Les nationalistes palestiniens, tout comme les classes dirigeantes israéliennes, n’ont à proposer aux travailleurs que la guerre sans espoir de solution.

La faillite des classes dirigeantes juive et palestinienne, et leur incapacité à établir une cohabitation pacifique des deux peuples est patente. Ces problèmes ne peuvent trouver de solutions qu’au travers d’une lutte déterminée contre elles pour instaurer une solution révolutionnaire.

Seuls les travailleurs en lutte, parce qu’ils n’ont aucun intérêt historique à l’oppression nationale des travailleurs de l’autre camp et parce qu’ils pourraient représenter une force de contestation de chacune des classes dirigeantes de la région, seraient à même d’en finir avec la méfiance réciproque et d’établir un cadre étatique permettant une vie sociale commune.

Le fossé de sang, causé par cet antagonisme national centenaire, nécessitera vraisemblablement la construction de partis révolutionnaires distincts, juifs et palestiniens, menant une propagande et une agitation politique différente, mais avec un but et un cadre commun : un État binational des travailleurs de Palestine. Celui-ci englobera les Palestiniens relégués dans les camps de Syrie, Liban, Égypte, Jordanie, avec comme objectif de s’étendre et de s’intégrer au travers de multiples péripéties révolutionnaires, dans une Fédération socialiste des travailleurs du Moyen-Orient.

27 août 2018, Pierre Hélelou et Gil Lannou



Un an et demi de mesures contre les Palestiniens

Cette loi « Israël État-nation du peuple juif » s’inscrit parmi d’autres lois controversées, sous le gouvernement de Netanyahou, coalition de partis de la droite comme le Likoud avec l’extrême droite d’Israël Beytenou ou des ultra-orthodoxes du Shass, décrit comme le plus à droite qui ait jamais gouverné Israël.

La loi sur les colonies, votée de justesse en février 2017, prévoyait de reconnaître et d’étendre les colonies actuelles en Cisjordanie, même celles fondées illégalement par les colons. Elle a été suspendue par la Cour suprême quelques mois plus tard. Le gouvernement a alors approuvé la construction de 350 nouveaux logements à côté d’une des rares colonies non reconnue à avoir été évacuée, et qui ne comptait que 15 maisons… Il a aussi alimenté un fonds spécial pour les colons dont les habitations seraient démolies.

En mai 2018, la loi sur la prééminence a réduit considérablement le pouvoir de cette Cour suprême, permettant aux députés de passer outre ses décisions à l’issue d’un nouveau vote sur les textes de loi qui seraient refusés.

En juin 2018, les députés ont aussi approuvé en première lecture une loi interdisant de filmer des activités militaires pouvant « porter atteinte à la sécurité de l’État ». Elle pourrait entraîner une peine de dix ans de prison. Elle vise les militants qui filmeraient des abus et des violences de l’armée. Netanyahou avait par exemple publiquement soutenu le soldat israélien Elor Azaria, condamné à la prison en 2017 par un tribunal militaire pour avoir abattu un militant palestinien blessé et à terre, d’une balle dans la tête. La condamnation et surtout la peine inhabituelle étaient dues à ce que la scène avait été filmée et diffusée largement. Mais sa peine a été réduite et il est sorti de prison peu après.

Donald Trump n’est pas en reste. En janvier 2018, soi-disant pour faire pression sur le Hamas et l’Autorité palestinienne qui protestent contre la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, il a réduit le budget de l’UNRWA (agence de l’ONU chargée de venir en aide aux réfugiés palestiniens) de 300 millions de dollars. Et comme si ça ne suffisait pas, il a supprimé le 25 août plus de 200 millions de dollars d’aide destinée à la Cisjordanie occupée et à Gaza, soit une grande partie des financements américains aux Palestiniens. Seuls les crédits destinés aux forces de sécurité de l’Autorité palestinienne ont été maintenus en l’état.

Mots-clés Israël , Monde , Palestine
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