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Côte d’Ivoire : la population entre trois feux

lundi 7 mars 2005

En novembre 2004, deux journées d’émeutes et de destructions des biens de Français rappelaient que la France maintient bien des milliers de soldats en Côte d’Ivoire. Jeune Afrique racontait dans son numéro du 5 décembre 2004 les crimes et méfaits de l’armée française durant ces journées : « le 6 novembre (...) entre dix et trente morts. »...« le 9 novembre, devant l’hôtel Ivoire, la foule apparaît joyeuse et déterminée avant que des coups de feu tirés depuis les blindés français la dispersent dans la panique la plus totale (57 civils tués et 2 226 blessés). »

Une indignation... tardive

L’ennemi semble donc maintenant Laurent Gbagbo qui est pourtant arrivé au pouvoir, le 25 octobre 2000, avec la caution et l’aide de la France. Une bienveillance qui ne s’est pas démentie entre 2000 et 2004, ni lors des massacres dans les quartiers populaires d’Abidjan, ni quand il a dû faire face à la mutinerie de l’armée le 19 septembre 2002, ni depuis que les mutins occupent le nord et l’ouest du pays.

Il a fallu une attaque de l’aviation ivoirienne contre les troupes françaises pour déclencher en représailles, début novembre 2004, la destruction de l’aviation ivoirienne et la condamnation de la politique de Gbagbo. En déclarant « nous ne voulons pas laisser se développer une situation pouvant conduire à l’anarchie ou à un régime de nature fasciste », Chirac faisait allusion aux bandes de jeunes nationalistes xénophobes et racistes mobilisées et encadrées par l’armée, la gendarmerie et les escadrons de la mort qui sévissent et terrorisent Abidjan... depuis 4 ans. Les nouvelles ne parviennent pas vite à l’Élysée !

Escadrons de la mort

L’action de ces « groupes patriotes » n’a rien à voir avec une révolte spontanée contre l’impérialisme français. Elle est patronnée par la femme de Gbagbo et bénéficie de l’impunité comme l’avait montré un premier massacre, le 26 octobre 2000 : dans la zone industrielle de Yopougon, on retrouva un charnier de 57 corps dont de nombreux jeunes assassinés et torturés. Le Monde du 7 décembre 2000 peut déjà écrire : « Les violences ont été extrêmes à l’égard d’immigrés ouest-africains, notamment à Port Bouët II et à Adjamé. »

Les mois qui suivent, les exactions se multiplient contre des quartiers pauvres terrorisés. Les cadavres jonchent les rues et personne n’ose même y toucher tant la peur de ceux que l’on appellera les « escadrons de la mort de Gbagbo » est grande. Toutes les enquêtes internationales, notamment en août 2001 celle de Human rights watch, accuseront directement Gbagbo. En février 2002, Le Monde titre « les escadrons de la mort de Gbagbo » et dénonce « l’enlèvement de 500 personnes ». L’ONU proteste contre « la destruction des bidonvilles qui continue de manière assez intense ». Des dizaines de milliers de travailleurs voient leurs demeures brûlées au lance-flamme et certains y trouvent la mort. Tout cela, alors que les troupes françaises étaient encasernées juste à côté.

L’homme de la France

Cette tourmente qui dresse depuis 4 ans Ivoiriens contre étrangers, ceux du nord contre ceux du sud, chrétiens contre musulmans, ethnies contre ethnies, n’a rien à voir avec la mobilisation des deux années précédentes contre la corruption, la misère et la dictature. Alors, en 1999 et 2000, les manifestants d’Abidjan étaient aussi bien originaires du nord que du sud. Ils étaient surtout adversaires des classes dirigeantes qui avaient bâti des fortunes lors de la grande époque du parti unique PDCI et de la corruption générale. L’inspecteur général des armées françaises, le général Germanos, parlait de « situation explosive » et, en novembre, un rapport de l’État major français remis à Chirac classait le pays en « zone orange ou danger imminent ».

Lors du soulèvement populaire qui a fait tomber le pouvoir militaire du général Gueï, les 24-25 octobre 2000, les manifestants qui ont attaqué et pris un à un les édifices publics, au prix de nombreuses victimes, étaient des travailleurs, des chômeurs et des jeunes de toutes origines ethniques. Ce sont eux qui ont assuré le succès de Gbagbo. Mais ce sont les « barons » de l’ancien parti unique PDCI, la grande bourgeoisie ivoirienne et l’impérialisme français qui ont finalement décidé et préféré Gbagbo à Ouattara. Ce dernier conserve en effet de son poste à la direction du FMI l’image d’un homme lié à l’impérialisme américain alors que Gbagbo, qui fait partie de l’Internationale socialiste et est personnellement lié à la « Françafrique de gauche », à Henri Emmanuelli ou Michel Charasse, a l’appui du Parti socialiste alors au pouvoir.

Briser la mobilisation populaire

La population pauvre a le sentiment que c’est la rue qui fait et défait les présidents. Le Monde du 27 octobre 2000 écrit « Le général Gueï a été contraint de céder le pouvoir sous la pression de la rue. Laurent Gbagbo est proclamé vainqueur du scrutin présidentiel. Mais la Côte d’Ivoire est au bord de la guerre civile. » Pour contrecarrer le développement de cette mobilisation populaire Gbagbo va donc immédiatement faire appel à une démagogie susceptible de la diviser. Le racisme anti-dioulas ou anti-étrangers, il ne l’invente pas mais il lui donne un cadre politique et des organisations. Dès le lendemain de sa prise du pouvoir, il lance dans les quartiers populaires et pauvres de la capitale des bandes de jeunes déclassés et des étudiants encadrés par des gendarmes et des groupes de militants de son parti, le Front populaire ivoirien.

Désormais la radicalisation de la jeunesse d’Abidjan a une nouvelle connotation : hostile aux « Dioulas » (terme sous lequel ils englobent les ethnies du nord), aux musulmans (Gbagbo a fait incendier des mosquées) et aux étrangers. Gbagbo relance la notion d’« ivoirité » qui prétend que les gens du nord ne seraient pas de vrais Ivoiriens mais plutôt des burkinabés ou des étrangers. Les violences se multiplient lors des élections législatives de décembre 2000. De nombreuses personnes sont torturées et des femmes violées par les bandes de Gbagbo. Les troupes françaises sont toujours cantonnées à deux pas, en plein Abidjan.

Des grèves éclatent pourtant en avril-mai 2001.

La Côte d’Ivoire étant l’un des rares pays d’Afrique où les travailleurs d’industrie sont nombreux et concentrés, la classe ouvrière est une force et donc une menace. Pour détourner celle-ci Gbagbo accentue encore sa politique « fasciste », comme dirait Chirac. L’argent qui n’existe pas pour les travailleurs, il le trouve pour les bandes de nervis recrutés parmi la jeunesse pauvre, les fameux « patriotes », ou des membres de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire, la FESCI. Des milliers de jeunes sont ainsi encadrés par le pouvoir et mobilisables à tout moment. Ceux qui refusent de manifester à leurs côtés sont molestés. Les exactions (vol, viol, assassinat) sont nombreuses contre les habitants originaires du nord ou étrangers et restent impunies.

Depuis que tout le Nord du pays est aux mains des « rebelles », c’est ouvertement, à la télévision et à la radio gouvernementales (les autres ayant été volontairement supprimées) que Gbagbo appelle au meurtre contre les burkinabés et à l’incendie contre les bidonvilles qu’il accuse d’ « héberger des assaillants ». Des milliers de gens du nord et d’étrangers sont expulsés violemment d’Abidjan. Les exactions touchent cette fois les villes de province et les campagnes. Les paysans pauvres et les ouvriers agricoles sont très durement frappés.

Les troupes françaises poursuivent leur occupation militaire mais leur intervention n’a rien réglé. Elle n’a mis fin ni à la rébellion militaire qui tient le nord et l’ouest du pays ni aux exactions du régime du dictateur Gbagbo. La population ivoirienne vivait déjà sous la menace des bandes armées locales, gouvernementales ou rebelles. S’y ajoute maintenant celle d’une armée étrangère européenne.

28 février 2005

Robert PARIS

Mots-clés Côte d’Ivoire , Monde
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