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Amiante : encore 500 000 morts à venir ?

mardi 18 janvier 2005

La récente manifestation de 300 « veuves de l’amiante » à Dunkerque le 15 décembre 2004 a remis sur le devant de l’actualité le scandale de l’emploi de cette substance réputée dangereuse depuis des décennies et pourtant utilisée en France jusqu’en 1997.

« Nos empoisonneurs doivent être jugés sans délai » pouvait-on lire sur les banderoles. « Je suis en colère depuis des années, je ne pourrai jamais pardonner car mon mari a été empoisonné par des gens qui savaient qu’il respirait de l’amiante mais ne l’ont pas dit », a déclaré une manifestante, dénonçant l’ordonnance de non-lieu rendue le 16 décembre 2003 par un juge de Dunkerque en faveur des patrons responsables.

Le scandale de l’amiante est en effet double : d’une part une utilisation massive de ces fibres dont la nocivité est connue depuis 1906 et démontrée scientifiquement depuis les années 50. D’autre part, une intense résistance des patrons et des pouvoirs publics pour reconnaître aujourd’hui leurs fautes.

Ce refus de reconnaissance s’amplifie au fur et à mesure que le nombre de demandes d’indemnisation s’accroît. Le ministère du Travail a ainsi rejeté en décembre dernier la quasi-totalité des dossiers des entreprises dont les salariés exposés à l’amiante aspirent à partir en retraite anticipée. Créé en 1999 devant le scandale, ce dispositif permet aux salariés ayant travaillé au contact de ce poison de partir en retraite anticipée à partir de cinquante ans, en fonction de la durée d’exposition. Ils touchent alors une allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA) correspondant à 65 % de leur salaire brut. Mais pour cela, leur établissement doit être inscrit sur une liste établie par le ministère du Travail. Lequel refuse aujourd’hui systématiquement d’allonger sa liste. Les derniers 63 recalées sont essentiellement des grosses entreprises de la métallurgie : des sites Alstom, Renault, RVI, Chaffoteaux et Maury, les fonderies Valfond, ou encore Valeo. Une demande des syndicats concernant Renault Trucks a encore été rejetée le 15 décembre.

Une hécatombe annoncée

Les chiffres annoncés pour les prochaines années font frémir. Un expert de l’Inserm estime ainsi qu’à l’horizon 2025 le nombre de décès provoqués par l’utilisation intensive de l’amiante devrait être de 100 000 en France et 500 000 en Europe. En France, depuis 1979, le nombre de cancers spécifiques à l’amiante, les mésothéliomes, augmente de 25% tous les trois ans. Cette fibre tue 30, 40, voire 50 ans après son inhalation.

Les patrons le savaient. Mais ils ont tout fait pour le cacher, en utilisant chantage à l’emploi et lobbying auprès de la communauté scientifique et politique. En 1977, ils obtenaient des pouvoirs publics, qui venaient d’interdire le flocage des bâtiments, que la concentration d’amiante à laquelle les salariés pouvaient être exposés dans les entreprises soit limitée à 2 fibres par centimètre carré. En sachant pertinemment que ce niveau ne protège en rien des cancers de la plèvre. Forts de ce premier succès, les industriels firent tout pour préserver leurs acquis grâce à l’action du Comité permanent amiante.

Créé en 1982 pour engager une contre-offensive devant les rapports alarmants sur les méfaits de l’amiante, ce comité est toujours resté à la solde des patrons. Son secrétaire, chargé de communication à Péchiney, Rhône Poulenc et l’association des industriels du plomb, s’était associé au président de l’association française des conseils en lobbying. Pourtant les pouvoirs publics s’en remettaient à ce comité, à la fois juge et partie, pour assurer la surveillance des risques. Comme si l’on confiait à la Seita la responsabilité de prévenir les cancers du poumon ! A noter qu’à l’exception de Force ouvrière, les syndicats y étaient tous représentés, y compris la CGT sous le prétexte qu’elle est « contre la politique de la chaise vide ».

Ce n’est qu’en septembre 1995, quand le scandale éclata au grand jour, que le CPA a été brutalement dissous et il faudra attendre 1997 pour que l’amiante soit complètement interdite en France. Chaque année de retard aura rapporté des fortunes aux patrons de ce secteur hautement rentable et précipité la mort de milliers de travailleurs.

14 janvier 2005

Laurence VINON


Deux ouvrages parmi d’autres à lire sur le sujet

Amiante : 100 000 morts à venir de François Malye Éditions Le Cherche-midi, 2004, 17 euros.

A partir des procès-verbaux de réunion de l’époque, François Malye, grand reporter au Point, dévoile les coulisses du Comité permanent amiante (CPA), cet organe monté dans les années 1980 par les industriels du secteur et dans lequel siégeaient des scientifiques avec des représentants des syndicats et des pouvoirs publics.

L’affaire de l’amiante de Robert Lenglet, Editions La Découverte, 1996, 21€.

Bien qu’un peu plus ancien que le précédent, ce livre dénonce également les diverses complicités et, comme l’indique l’auteur, fait le point sur une affaire « qui éclabousse tous ceux qui ont préféré faire passer certains intérêts économiques avant la santé publique ».

Mots-clés Amiante , Société
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