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Les voies sinueuses de la privatisation

vendredi 23 mars 2018

Elle a bon dos l’Union européenne, accusée par tous les gouvernements d’imposer l’ouverture à la concurrence. Car la SNCF s’est ruée sur les marchés privatisés des pays voisins et les gouvernements français successifs ont pris toutes les initiatives pour attaquer les cheminots et le service public depuis des années – et se venger de l’échec de Juppé en 1995. Les « paquets ferroviaires » du Parlement européen qui poussent aux privatisations ont été votés par les députés des partis gouvernementaux bien de chez nous.

SNCF SA

C’est pour rassurer son public que le premier ministre a promis que la nouvelle SNCF, baptisée désormais « société anonyme » (SA) resterait (pour combien de temps ?) à capitaux 100 % étatiques. Anonyme elle le sera, au moins pour ne pas dévoiler à quels petits (ou grands) copains elle sous-traite ses marchés d’équipements, ni à qui elle « ouvrira » demain son capital. Et « 100 % public » resteront ses futurs déficits à faire payer aux cheminots ou aux contribuables.

Toutes les entreprises publiques devenues SA ont suivi la même trajectoire. La Poste, EDF, GDF, Aéroports de Paris ou Orange montrent les différents stades de l’ouverture aux capitaux privés – même si à chaque fois, au moment du changement de statut, les gouvernements avaient juré leurs grands dieux qu’ils resteraient 100 % publics.

La transformation des Épic SNCF [1] en SA indique la volonté du gouvernement. Mais les capitaux privés ne s’y engouffreront que s’il y a des dividendes à la clé. D’où les plans successifs de réforme des conditions de travail et du statut des cheminots, les suppressions de postes et les gains de productivité. D’où aussi la valse-hésitation autour de la dette : l’État en débarrasserait bien la SNCF pour épurer ses comptes avant de faire cadeau d’une partie de son capital, mais continue pour l’instant de l’utiliser pour exercer son chantage contre les cheminots et monter la population contre eux. D’où enfin l’annonce de baisse des tarifs des péages [2] et de hausse du prix des billets.

Ajoutons que la SNCF actuelle, « 100 % publique », forme la colonne vertébrale du « Groupe SNCF », une pieuvre capitaliste multinationale aux centaines de filiales à capitaux privés et aux dizaines de milliers de salariés – dont une minorité seulement au statut cheminot [3].

L’ouverture à la concurrence : une entente entre grands groupes contre les travailleurs

S’il y a un exemple qui montre à quel point le capital n’a ni odeur ni frontières, qu’il soit public ou privé, français ou italien, c’est bien le grand jeu de Monopoly des chemins de fer en Europe [4]. La liste est déjà parlante, des tous premiers concurrents qui se sont, dès le lundi 5 mars, portés acquéreurs potentiels d’une partie des activités de la SNCF, auprès du ministère des transports.

On y trouve la société française Transdev, filiale de la très nationale Caisse des dépôts, la société nationale allemande Deutsche Bahn par sa filiale Arriva, la société nationale italienne Trenitalia (retour de bâton contre la SNCF qui a déjà pris sa part dans la privatisation des chemins de fers italiens), Abellio Rail, « privée » mais filiale à 100 % de la société nationale néerlandaise, et la société anglaise First Group, complètement privée elle, qui s’est créée lors de la privatisation des chemins de fer britanniques. Sans oublier Kéolis, détenue à 70 % par la SNCF et 30 % par la Caisse des dépôts canadienne, par laquelle la SNCF continuera à se faire concurrence à elle-même.

Le fret, que le gouvernement s’apprête à filialiser, fait les frais de cette ouverture à la concurrence depuis 2003. Résultat, le trafic a été divisé par deux, reporté sur la route, il est retombé au même niveau qu’au début du xxe siècle ! Les conditions de travail des cheminots SNCF ou privés, notamment leurs plannings ont été dégradés avec l’argument de la compétitivité face aux concurrents, y compris routiers [5], tout en restant en partie au sein du Groupe SNCF avec sa filiale Geodis.

Monopole d’État ? Mais à qui appartient l’État ?

Un beau micmac public-privé qu’illustre bien le programme avancé par le Journal Les Échos du 27 février, sous le titre : « SNCF : oui à l’ouverture du capital, non à la privatisation ! » …Tiens donc ! Mais pour se projeter déjà dans l’avenir : « Plutôt que de privatiser la SNCF, il faudrait ouvrir un tiers de son capital. Le groupe public adopterait ainsi le statut de société anonyme. Il pourrait connaître, qui sait, le même destin que Renault ou Gaz de France ».

Car le problème pour les usagers comme pour les travailleurs du secteur n’est pas tant le monopole ou pas de l’État sur les services publics, c’est celui de savoir qui possède l’État. Réponse : le grand patronat (mais avec l’argent de nos impôts, car eux en paient de moins en moins !). ■

Olivier BELIN


[1Depuis la réforme de 2014, la SNCF est découpée en trois établissements publics à caractère industriel ou commercial (Épic) : SNCF réseau, SNCF mobilités et l’Épic « de tête ».

[2SNCF réseau fait payer un péage à chaque circulation. Aujourd’hui les tarifs sont extrêmement élevés, et plombent les comptes de SNCF mobilités. Mais pour préparer l’arrivée du privé, il faut les baisser – et en faire supporter le coût à la collectivité.

[3Voir le dossier de Convergences révolutionnaires no 67, janvier 2010 « SNCF, du monopole d’État au trust multinational ».

[4Voir le dossier de Convergences révolutionnaires no 88, juin 2013, « Réforme du ferroviaire : un accord de compétitivité made in SNCF ».

[5Voir le dossier de Convergences Révolutionnaires n°81, mai 2012, « la privatisation sur les rails ».

Mots-clés Entreprises , Nationalisations , Privatisations , SNCF