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Nantes

Sans-papiers mais pas sans initiatives

jeudi 8 février 2018

L’occupation de la Censive et du bâtiment appelé le Château sur le campus de Sciences humaines de Nantes s’installe dans le temps (voir CR 116). À coups de pressions d’étudiants mobilisés et de soutien d’enseignants, la direction de l’université a dû concéder un point essentiel : en repoussant l’intervention des forces de l’ordre, en ne cédant pas à la préfète de choc, elle a permis provisoirement le maintien d’un espace de vie et de lutte pour une centaine de migrants. Le caractère fragile de l’initiative n’échappe à personne, et en premier lieu aux sans-papiers, mais contre toute attente des autorités, l’occupation ne crée ni désordres ni perturbations de la vie quotidienne du campus.

Un atelier de vie et de lutte

L’espace occupé est un lieu ouvert, créatif, où la solidarité n’est pas un slogan. Passé les semaines de vacances de Noël et les partiels, les activités ont repris leur cours. Associant migrants et militants, trois commissions ont été créées.

La première s’occupe des questions juridiques, allant de la formation aux dispositions légales concernant les étrangers à la constitution des dossiers. Ce travail fastidieux ne serait pas possible sans la transmission de compétences des associations de terrain comme la Cimade et le Gasprom (Groupement accueil service et promotion du travailleur immigré, antenne locale de la Fasti [1]). Les participants sentent d’ailleurs bien l’enjeu de ne pas rompre un fil d’expériences et de traditions militantes issues des années 1970.

La seconde, intitulée Éducation, s’occupe des inscriptions et de la mise à niveau pour l’intégration dans le circuit scolaire. Elle associe, pour l’université, des étudiants, des doctorants en partie liés à Sud éducation et quelques enseignants, qui ont obtenu l’inscription pour ce semestre de douze migrants titulaires de baccalauréats ou de diplômes dans leur pays d’origine. À ce titre, quelques appartements ont pu leur être alloués par le Crous. Pour les lycées, si juridiquement les dossiers sont plus simples à plaider, la saturation des dispositifs de suivi des mineurs non accompagnés (MNA) et les difficultés de financement des formations font que les réussites sont minimes : à peine une dizaine d’inscriptions dans des lycées professionnels.

Un pôle de travail se constitue avec le milieu CGT enseignement professionnel pour aborder quelques pistes. Le Greta (Groupement d’établissements), l’Afpa (Agence pour la formation professionnelle des adultes) seront sollicités par le réseau syndical des encadrants. De même l’enseignement catholique, où la CGT a une petite équipe dynamique, sera approché car, et ce n’est pas le premier paradoxe de cette lutte, l’école privée ouvre plus facilement ses portes que le public ! Des cours d’alphabétisation sont assurés, et même des cours de méthodologie en histoire contemporaine entre autres.

Enfin, une commission Santé s’est mise en place. Les services d’urgence et les organisations humanitaires étant débordées, il a fallu répondre aux demandes. Des solutions en médecine générale et pour les soins dentaires ont pu être trouvées, soulageant certaines souffrances. La commission recense les demandeurs, les organise et les oriente sur ces médecins solidaires qui mettent à disposition des créneaux dans leurs cabinets. Les différents périples et traversées en mer ont laissé des marques indélébiles sur les corps et les esprits : paupières blessées par les réveils en sursaut, fractures mal soignées, marques de torture systématiques, infections diverses et pathologies plus sévères, sans compter des traumatismes psychologiques pour lesquels il a été à ce jour impossible de trouver une ébauche de solution. ■

25 janvier 2018, correspondants


Le foot comme unité de mesure

Si on discute beaucoup politique, on se dispute beaucoup autour des classico, et des mauvais choix du mercato. Le football permet de mesurer le temps, vide l’esprit, maintient les liens de ces jeunes migrants, et constitue souvent le seul moment de liberté et d’insouciance. Sans dévoiler les scores des équipes qui s’affrontent le samedi à l’Hippodrome, cette activité est d’une grande importance, on se souvient de la chronologie de la traversée de la Méditerranée en fonction des grands matchs, on ne rêve pas trop de devenir une star sauf pendant une action décisive, et on oublie l’absence des compagnes, sœurs et mères le temps d’un repos éphémère.


Un regard sur nous-mêmes

Témoignage d’un des animateurs du Collectif : « Je viens de Guinée et, dit-il en souriant, je suis musulman croyant mais pas très pratiquant. La famille qui m’héberge est catholique, des gens bons et justes. Ils m’ont fait participer à leurs activités, ce que j’ai fait de bon cœur car pour moi la tolérance et la solidarité sont des valeurs qui nous unissent tous au-delà des religions. Ils m’ont amené voir des anciens dans un bâtiment pour leur apporter de l’aide [un Ehpad]. Ce fut un choc pour moi. Comment pouvez-vous laisser mourir seuls des anciens sans leurs familles, sans les enfants petits et grands ? »


Qui sont-ils ?

La plupart sont jeunes mais la majorité ne sont pas mineurs. La Censive en regroupe une centaine qui tournent ; les autres sont regroupés dans cinq squats ; avec ceux qui sont à la rue, le Collectif les évalue à un millier sur la ville. Comme l’a dit avec lucidité l’un des animateurs sans papiers du Collectif : « Nous ne connaissons que les migrants issus d’Afrique et du monde arabe, mais n’oublions pas les migrants blancs d’Europe de l’Est ». Ces derniers, comme les Roumains ou les Tchétchènes, sont invisibles au maillage des associations. Les Syriens, accueillis par les réseaux Welcome entre autres, sont l’autre composante. Ce monde essentiellement masculin voit aussi la présence d’une poignée de femmes, dont certaines ont participé aux réunions, qui vivent à distance ; un squat de femmes a vu le jour et se protège dans la plus grande discrétion.


Le Collectif des sans-papiers

Il est apparu évident pour une minorité de migrants et de militants que, en complément du travail associatif, il fallait doter ce mouvement d’une véritable conscience, à savoir un mouvement des sans-papiers dirigés par eux-mêmes.

Bien entendu, sans les associations de soutien rien ne serait possible. Sur le plan juridique c’est une évidence, sur le plan logistique aussi. Les gestes pour fournir nourriture, vêtements, produits d’hygiène ont été nombreux et n’ont jamais été pris en défaut. De même, il existe sur la ville de Nantes près de 250 familles qui hébergent des migrants, notamment via le réseau Welcome. Cette solidarité souterraine se fait loin des organisations de gauche, et si la plupart s’en revendiquent naturellement, il y a de quoi mesurer une vraie fracture. Cela dit, comment choisir collectivement les options et les orientations de la lutte ? Comment construire un mouvement sur la durée ? Telles étaient les questions qui nécessitaient d’autres outils, des moyens d’expression et d’organisation des sans-papiers eux-mêmes.

L’occupation du campus ne regroupe qu’une minorité des migrants de la ville. Au cours des premières réunions de ce qui allait devenir le Collectif des sans-papiers de Nantes, ont été dressées des interventions auprès des cinq squats via des discussions et des tracts, en vue de préparer des réunions et des projections de films.

Une permanence a été mise en place les vendredis pour faire le bilan des commissions de la semaine, prévoir les interventions, mesurer les options, évaluer la situation et coordonner les énergies.

La discussion sur le choix du logo (non encore tranchée) a été très riche :

L’image du poing noir levé a été présentée, et a suscité un débat très pointu : nous saluons la lutte des Blacks Panthers, mais ils étaient natifs et demandaient l’égalité des droits, nous, nous arrivons et demandons l’accueil et une nouvelle chance.

À ce jour dans cette lutte, une prise de conscience a vu le jour, et peut-être une force est-elle née. Mais la lucidité ne quitte jamais les migrants en lutte, leur parcours leur a appris la patience. Les défis pour obtenir les régularisations sont énormes, mais l’énergie est là pour élargir les soutiens et créer un rapport de force.


[1La Fédération des associations de solidarité avec tous-te-s les immigré-e-s (Fasti) regroupe différentes associations de solidarité en France.

Mots-clés Migrants , Politique , Université