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Quel « bilan critique » de la révolution russe, par des camarades de la IVe Internationale ?

mardi 7 novembre 2017

Dans leur article « Notre Révolution russe [1] », François Sabado (NPA) et Charles Michaloux (Ensemble), tous deux dirigeants de la IVe Internationale (ex-« Secrétariat Unifié »), se donnent pour objectif de « formaliser et systématiser [un] bilan critique » de la révolution bolchévique, « dans la continuité des réflexions critiques de Rosa Luxembourg [2]. » Le livre d’Olivier Besancenot [3] que nous avons discuté dans le numéro précédent défend globalement la même ligne politique que cet article, qu’il cite d’ailleurs, et fait donc aussi une large place à la brochure de la révolutionnaire allemande, qualifiée de « prophétique [4]. »

Rosa Luxembourg a écrit ses « Notes sur la révolution russe » en prison en 1918 et ne les a jamais publiées. Partisane de la révolution socialiste, elle y explique pourquoi « l’insurrection d’Octobre n’a pas sauvé seulement la révolution russe, mais aussi l’honneur du socialisme international », avant de critiquer certaines décisions du parti bolchévik au pouvoir.

Le communisme, c’est les soviets plus le suffrage universel ?

Entre autres sujets, Rosa Luxembourg critique, non pas la dissolution de l’Assemblée constituante en janvier 1918, puisqu’elle ne peut imaginer les bolchéviks laisser cette tribune aux adversaires de la révolution qui y étaient majoritaires, mais le choix de ne pas convoquer de nouvelles élections après la dissolution : « Lénine et Trotski ont mis à la place des corps représentatifs issus d’élections générales les soviets comme la seule représentation véritable des masses ouvrières. Mais en étouffant la vie politique dans tout le pays, il est fatal que la vie dans les soviets eux-mêmes soit de plus en plus paralysée. »

Sabado et Michaloux reprennent à leur compte cette idée, en la reformulant :

« Tout se passe alors comme si [les bolchéviks] jugeaient désormais superflu, après l’insurrection victorieuse et la prise du pouvoir, toute manifestation électorale générale autre que le renouvellement périodique de la représentation dans les divers soviets. Finalement si cette Constituante s’est révélée en quelque sorte périmée dès son élection, il n’en demeure pas moins que le processus qui l’a portée et a porté la Révolution pendant de longs mois, celui d’une vibrante aspiration démocratique, appelait une réponse institutionnelle – à côté de la représentation soviétique et non contre elle. »

On appréciera avec quelle légèreté les élections dans les « divers soviets » sont traitées comme un simple « renouvellement périodique ». Pourtant, les soviets ont été le principal réceptacle et amplificateur de la « vibrante aspiration démocratique », même dans les périodes les plus difficiles de la guerre civile, avant de s’éteindre puis d’être étouffés par la bureaucratie stalinienne. À l’image du congrès panrusse des soviets, qui s’est réuni cinq fois à l’échelle d’un continent entre juin 1917 et juillet 1918 en reflétant les suffrages d’environ 20 millions d’électeurs à chaque fois – et pas immobilisés dans un isoloir mais mobilisés dans l’organisation de la révolution ! Qu’auraient permis de plus une élection nationale telle que nous les connaissons aujourd’hui ?

C’est le reste de l’article qui éclaire la conception de Michaloux et Sabado. La révolution russe aurait « souffert de l’absence de traditions démocratiques, même parlementaires ». Passons sur le fait que les bolchéviks et quelques autres révolutionnaires ont quelques années bataillé becs et ongles au parlement tsariste ! Les élections générales à une assemblée constituante sont conçues par les deux auteurs comme une reconnaissance du multipartisme – ils reprochent à Lénine et Trotski de n’avoir pas eu « de démarche unitaire, comme on dirait aujourd’hui [5] ». Le paragraphe suivant de leur article est intitulé « Le pouvoir, le prendre, le garder, toujours ? » Point d’interrogation lourd de sens : Sabado et Michaloux suggèrent que les bolchéviks auraient mieux fait de risquer de le perdre dans des élections générales que de ne pas en convoquer.

Les « élections générales » sont ici conçues comme différentes de la démocratie soviétique (mais « à côté d’elle et non contre elle » nous disent Sabado et Michaloux) parce qu’elles représentent toutes les classes sociales à hauteur de ‘un homme, une voix’. Contrairement aux soviets qui permettent de donner plus de poids dans la représentation aux ouvriers d’industrie, aux quartiers populaires, aux soldats ou aux paysans pauvres face aux paysans moyen dans les campagnes. Mais posé comme une nécessité abstraite, et non comme un choix tactique qui pourrait renforcer la révolution à un instant donné, cette conception du suffrage universel s’oppose bel et bien à la dictature du prolétariat.

Oubliées, les leçons de la Commune de Paris ?

Ces discussions tactiques sur les élections générales en période de révolution ne sont pas nouvelles. Elles ont été particulièrement décisives dans l’analyse de la Commune de Paris.

C’est d’ailleurs une référence qu’Olivier Besancenot invoque dans la conclusion de son livre, en y cherchant de manière paradoxale l’antidote à la bureaucratisation de la révolution russe [6]. Et de citer la révocabilité des élus, la limitation de leur rémunération à hauteur du salaire moyen ouvrier, les mandats précis et les comptes à rendre… Mais comment ne pas voir que justement sur tous ces points, l’expérience de la révolution russe entre 1917 et 1923 est supérieure à celle de la Commune ? Plus étendue, plus consciente, plus longue aussi, malgré la guerre civile ? La démocratie ouvrière et populaire des soviets n’est-elle pas justement la « forme enfin trouvée » de la dictature du prolétariat ?

Plus loin, Olivier Besancenot va même jusqu’à affirmer en général le souhait que la « souveraineté populaire combine le suffrage universel et la démocratie directe [7] ». Alors la faute des bolchéviks aurait-elle été de rejeter le « suffrage universel », contrairement à la Commune ? Mais c’est une double erreur sur le sens des élections à la Commune de Paris le 26 mars 1871. D’abord, il ne s’agit pas d’un suffrage « universel » au sens où il mélangerait les suffrages de toutes les classes sociales, pour la bonne raison que la bourgeoisie et la plupart de ses commis avaient quitté Paris suite à l’épisode des canons le 18 mars. Et surtout, ces élections du 26 mars étaient l’expression, non pas de la volonté révolutionnaire des ouvriers parisiens regroupés dans la Garde nationale, mais bien du poids des tendances conciliatrices petites-bourgeoises qui voulaient la paix avec Versailles. Ces élections, suffrage universel ou pas, organisées en un moment de péril militaire imminent sont portées au débit de la Commune, comme l’une de ses erreurs les plus fondamentales, par Marx, puis Lénine et Trotski. On peut toujours réviser ses classiques, même quand on continue de se revendiquer de la IVe Internationale ‘canal historique’, mais dans ce cas, il ne faut pas faire passer de vieilles lunes libertaires ou réformistes pour de grandes découvertes du « socialisme du XXIe siècle », sous peine d’escamoter des débats qui ont déjà eu lieu dans le mouvement ouvrier.

Pas au nom de Rosa Luxembourg…

Les « notes sur la révolution russe » de Rosa Luxembourg sont une lecture stimulante, qui se conclut par ces mots : « L’avenir appartient partout au bolchévisme. » Les questions qu’elle y soulève ne l’ont pas empêchée de fonder le parti communiste allemand, une des premières organisations à adhérer à la IIIe Internationale fondée dans la foulée de la révolution russe.

Depuis sa prison en 1918, avec les informations dont elle disposait, Luxembourg discutait les choix tactiques des bolchéviks, elle qui a toujours tenu à ce que les militants de la social-démocratie allemande s’instruisent à l’école du prolétariat russe [8]. Mais les camarades de la IVe Internationale – Secrétariat unifié vont beaucoup plus loin en transformant une partie de ces quelques notes en choix stratégique. Un pas que Rosa Luxembourg elle-même n’a jamais franchi.

D’ailleurs, dans le feu de la révolution allemande de la fin de l’année 1918, bien que dans un contexte différent de la révolution russe, la question s’est aussi posée en Allemagne d’une alternative entre une assemblée nationale constituante ou un gouvernement des soviets. Alors qu’une partie de la social-démocratie revendiquait « les conseils et le parlement », en réalité pour mieux en finir avec les conseils, Rosa Luxembourg leur répondait :

« Ou l’Assemblée nationale, ou tout le pouvoir aux conseils d’ouvriers et de soldats ; ou le renoncement au socialisme, ou la lutte de classes la plus rigoureuse contre la bourgeoisie, avec le plein armement du prolétariat : tel est le dilemme […] Voici le moment, devant le monde entier, et devant les siècles de l’histoire mondiale, d’inscrire hautement à l’ordre du jour : ce qui jusqu’à présent se présentait comme égalité des droits et démocratie — le parlement, l’assemblée nationale, le droit de vote égal — était mensonge et tromperie ! Le pouvoir tout entier aux mains des masses travailleuses, comme une arme révolutionnaire pour l’extermination du capitalisme — cela seul est la véritable égalité des droits, cela seul est la véritable démocratie ! [9] »

18 octobre 2017, Raphaël PRESTON


[1« Notre révolution russe », Contretemps, juillet 2017.

[2« La Révolution Russe », écrit à la fin de l’été 1918 en prison, disponible en ligne : https://www.marxists.org/francais/luxembur/revo-rus/rrus.htm

[3Que faire de 1917 ?, paru le 6 septembre 2017, éditions Autrement, 17 €.

[4Ibid. p. 167.

[5Rapprochement pour le moins décalé ! Ou s’agit-il de justifier la politique actuelle dite unitaire des camarades de la direction de la ive ?

[6p. 187

[7p. 190

[8Voir sa brochure « Grève de masse, parti et syndicats » où elle tire les leçons de la révolution russe de 1905 pour le prolétariat allemand.

[9« Assemblée nationale ou gouvernement des conseils », Die Rote Fahne (le drapeau rouge), journal de la Ligue Spartakiste, 17 décembre 1918.

Mots-clés IV° Internationale , Politique , Révolution russe de 1917