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Un référendum sous le signe de la répression

mardi 7 novembre 2017

Le premier octobre 2017, 5,3 millions de Catalans étaient appelés aux urnes pour répondre à la question « Voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant prenant la forme d’une république ? », formulée en trois langues : catalan, castillan et aranais [1]. Après plusieurs semaines marquées par la répression tous azimuts de l’État espagnol, 90 % des 2,2 millions de participants ont répondu « oui », soit 37 % des inscrits.

« Le référendum n’aura pas lieu »

Pour l’exécutif madrilène, les choses étaient écrites d’avance. Il n’y aurait pas de référendum. Le président du gouvernement catalan, Carles Puigdemont, était un « imposteur », et le référendum « illégal », « illégitime » et « anti-démocratique ». Rajoy avait pour lui la Constitution de 1978 qui dit que l’Espagne est « une et indivisible » et le soutien d’une base non négligeable d’Espagnols qui voient d’un mauvais œil les nationalismes dits « périphériques ». Ainsi, de même que la résolution, votée en novembre 2015 par le Parlement catalan nouvellement élu, de mettre en marche un « processus » devant aboutir à la création d’une république catalane indépendante avant fin 2017 avait été aussitôt annulée par le Tribunal constitutionnel, de même la loi votée en septembre 2017 autorisant la tenue d’un référendum d’autodétermination et envisageant la « transition » vers l’indépendance au lendemain des élections en cas de succès du référendum a été immédiatement jugée illégale par le gouvernement central.

Cela n’a pas empêché la Généralité de convoquer tout de même les élections, de façon semi-clandestine, avec l’aide de maires indépendantistes, de volontaires et d’associations culturelles (comme l’Assemblée nationale catalane ou Òmnium cultural).

La réponse de Madrid ne s’est pas faite attendre : tout au long du mois de septembre, les autorités espagnoles ont multiplié les opérations de police dans les imprimeries, les journaux, les locaux des organisations politiques, pour saisir des listings d’électeurs, 45 000 convocations d’assesseurs, 10 millions de bulletins de vote… Des sites web qui faisaient la promotion du référendum ou indiquaient la localisation des bureaux de vote ont été fermés par injonction judiciaire. En plus des 6 000 gardes civils et policiers nationaux déjà présents en Catalogne en temps normal, l’État a déployé plus de 7 000 « extras » venus de toute l’Espagne, estimant que les Mossos d’Esquadra, la police catalane, n’interviendraient pas pour empêcher le vote.

La démesure des moyens déployés a suscité de la colère, mais également une certaine incompréhension, en Catalogne et ailleurs. La télévision catalane, les journaux, les réseaux sociaux, se sont fait écho non sans humour d’un jeu du chat et de la souris entre les militants pro-référendum et la police, les premiers redoublant d’originalité pour cacher urnes et bulletins de vote. Le « Titi » géant dessiné sur le ferry dans lequel étaient logés les policiers nationaux envoyés en renfort a également donné lieux à de nombreuses railleries.

Le mercredi 20 septembre, le gouvernement a voulu montrer les muscles : plusieurs perquisitions ont été menées simultanément, 14 cadres de la Généralité ont été arrêtés, et les finances de l’exécutif catalan ont été gelées par le ministère espagnol du Budget. Des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues. Dans les jours suivants, étudiants et lycéens ont multiplié les manifestations pour protester contre cette répression jugée disproportionnée. On a aussi vu des paysans défiler dans les rues de Barcelone avec leurs tracteurs. Ailleurs en Espagne aussi, des rassemblements en faveur du droit à décider ont eu lieu.

Alors que Madrid faisait poser des scellés sur 1 300 des 2 300 bureaux de vote, la population de certains quartiers s’est organisée pour occuper des écoles la nuit avant le scrutin dans le but de protéger les urnes.

Le 1er octobre, on a vu les images des gardes civils et policiers nationaux tentant (parfois avec succès) d’empêcher la tenue des bureaux de vote. L’État espagnol a aussi désorganisé le système informatique de décompte des résultats et de gestions des listes des votants. Les forces de l’ordre sont clairement allées cogner dans les files d’attente, faisant des centaines de blessés. Ils sont même intervenus dans des villages, avec leurs tenues de choc, leurs matraques… Des portes de mairies et d’écoles ont été défoncées. Tout cela n’a pas découragé des milliers de partisans de l’indépendance qui ont fait des heures de queue et bravé les forces de l’ordre pour voter. Il semblerait y compris que le climat répressif ait poussé un certain nombre de personnes a priori pas favorables à l’indépendance à se déplacer et voter « oui ». Mais quelle que soit leur position, beaucoup regrettaient un scrutin nécessairement faussé.

Après le référendum, la nouvelle démonstration de forces du 3 octobre et la déclaration d’indépendance immédiatement suspendue du 10 octobre, l’exécutif madrilène n’a pas relâché la pression. Le 16 octobre, les deux responsables des associations indépendantistes Òmnium cultural et ANC ont été incarcérés et mis en examen pour « sédition », ce qui est passible de 15 ans de prison. Là encore, cette provocation a donné lieu à de gigantesques manifestations à Barcelone : au moins 200 000 dès le lendemain, près de 500 000 le samedi suivant.

Après la déclaration unilatérale d’indépendance votée par les députés catalans de Junts pel Sí et de la CUP [2] le 27 octobre, Madrid, avec le soutien du PSOE et de Ciudadanos, a franchi un pas supplémentaire : la suspension de l’autonomie catalane. Une décision immédiatement dénoncée par les indépendantistes et par une partie de la classe politique espagnole comme un coup d’état institutionnel : « C’est la pire attaque contre les institutions et la population catalane depuis les décrets du dictateur Francisco Franco », déclarait Puigdemont.

Les dirigeants de la Généralité ont été démis de leurs fonctions, de même que 141 fonctionnaires de leurs cabinets. Le chef de la police catalane lui aussi a été limogé, ainsi que les représentants des institutions catalanes à l’étranger. La Justice espagnole prévoit d’attaquer les membres du gouvernement catalan ainsi que la présidente du parlement pour « rébellion ».

Si le gouvernement prend la voie de la répression judiciaire, nul doute qu’il n’abandonne aucun tableau. Les policiers et gardes civils supplémentaires mobilisés fin septembre restent en place en Catalogne. On envisagerait même de suspendre la police catalane si les choses venaient à se tendre davantage. Par ailleurs, les mobilisations en faveur de « l’unité de l’Espagne », qui laissent la part belle à l’extrême droite, sont une carte de plus dans l’arsenal répressif de Madrid. D’ailleurs, quelques agressions ont déjà eu lieu ces derniers jours en marge de ces manifestations, contre des militants de l’indépendance ou des institutions symboliques.

29 octobre 2017, S.B.


[1Ce dialecte de l’occitan parlé par moins de 5 000 personnes dans le Val d’Aran, région semi-autonome de Catalogne, a accédé au rang de langue officielle dans toute la Catalogne à l’occasion de la révision du Statut d’Autonomie en 2006.

[270 voix pour, 2 abstentions et 10 voix contre (celles de Catalunya sí que es pot). Les députés du PP, du PSC et de Ciutadans se sont absentés pendant le vote. Le Parlement catalan compte 135 députés.

Mots-clés Catalogne , Monde
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