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Tout à l’accord d’entreprise

jeudi 5 octobre 2017

Pour que les patrons aient les mains libres, le premier grand chantier des ordonnances, c’est la mal-nommée « inversion de la hiérarchie des normes » dont il a déjà été question avec la loi travail, selon laquelle, de fait, ce serait l’entreprise – ou plutôt le patron – qui ferait la loi. Subtilité : les dispositions prévues par la loi ne disparaissent pas mais deviennent supplétives, c’est-à-dire ne s’appliquent qu’en l’absence d’un accord d’entreprise. Bien évidemment, ces accords d’entreprise, qui priment donc, peuvent être moins favorables que la loi (sauf dispositions « d’ordre public »). Privilégier les accords d’entreprise, c’est donc lâcher complètement la bride à l’arbitraire patronal, et de fait saper les fondements d’un Code du travail qui serait valable pour tous…

On parle de « casse du Code du travail », mais faut-il pour autant défendre ce code en tant que tel ? Il est vrai qu’il est censé compenser le déséquilibre inhérent au contrat de travail, ce contrat de dupe puisque le travailleur n’a pas d’autre choix que de se salarier pour vivre – et donc d’accepter les conditions patronales. Mais dès sa naissance, sa fonction première a été d’atténuer l’exploitation à la marge, de la rendre un peu moins invivable pour éviter les explosions sociales. Il n’est pas seulement un ensemble de concessions faites par les patrons aux travailleurs. C’est un deal passé entre patrons pour ne pas trop se faire concurrence. Et c’est tout autant un ensemble de concessions de la classe ouvrière, par l’intermédiaire de ses directions syndicales, aux patrons et à l’État (à chaque fois que les mouvements sociaux ne vont pas jusqu’au bout, comme en juin 1936 ou en mai 1968, etc.), patrons et gouvernements cèdent un peu (sur le papier) pour ne pas prendre le risque de perdre tout !

Le code est une sorte d’empreinte sédimentaire de la lutte des classes ; il marque l’état du rapport de forces dans la société. C’est pourquoi il ne s’agit pas de se placer en défenseur du Code du travail en tant que tel, mais de défendre des droits des travailleurs… et bien plus.

Reste qu’avec les ordonnances Macron, on s’oriente vers un code par entreprise. C’est l’aboutissement d’une logique au long cours : les lois Auroux de 1982 ont ouvert la danse des dérogations par accords d’entreprise à la loi, puis la réforme Fillon de 2004 a consacré pour la première fois la primauté de l’entreprise dans certains domaines… domaines qui n’ont cessé de s’élargir avec la loi de 2008, la loi Travail (pour tout ce qui est temps de travail) et aujourd’hui les ordonnances qui généralisent la règle : les accords d’entreprise prévalent, sauf dans un certain nombre de domaines gérés par la branche comme les salaires minimaux, les classifications, etc. (plus quelques domaines qu’elle peut décider de verrouiller).

Y a-t-il pour autant un renforcement de la « branche » ? C’est l’argument invoqué par Jean-Claude Mailly pour justifier son ralliement. Rien n’est moins vrai. Les six domaines supplémentaires où la convention collective de branche dominera (jusqu’ici réglés par la loi), renforcent ces dernières mais dans ce qu’elles ont de pire. Elles perdent le rôle « anti-dumping social » qu’elles pouvaient avoir en matière de rémunération (les salaires deviennent du domaine de l’accord d’entreprise) et elles gagnent le droit de déréguler les conditions de travail et d’emploi.

Tout est fait pour que le prétendu dialogue au niveau des entreprises et des branches serve à organiser la précarité :

Au niveau des entreprises, le patron pourra racketter les salariés en retirant tout ce qui était prévu par la branche : les primes, un 13e mois, des congés (dont de maternité !), les jours pour évènements familiaux, etc. Cela va impacter directement les salaires ! Pour beaucoup d’entreprises, c’est la porte ouverte à des pressions plus fortes encore qu’aujourd’hui venues des donneurs d’ordres : on imagine facilement une grande entreprise demandant à son sous-traitant de faire baisser ses coûts salariaux, sous la menace de suspendre ses commandes. Et lorsque plusieurs entreprises d’un secteur s’engageront dans cette voie, les autres devront suivre, un jour ou l’autre.

Et au niveau des branches, patronat et syndicats pourront réguler notamment l’emploi des contrats courts et de l’intérim, sur leur durée, leur renouvellement, etc. Aujourd’hui, les CDD représentent déjà 85 % des embauches, et la durée légale est de 18 mois, renouvelable une fois. Mais s’il y a, demain, autant de façon de régir le CDD que de branches, ce sera une carte blanche à la précarité. Et c’est sans parler du contrat de chantier, généralisé par les ordonnances. Un contrat à durée prétendue « indéterminée » mais duquel on est viré quand le chantier, la mission ou le projet est fini… et sans la prime de précarité du CDD. Festival de l’hypocrisie : selon le gouvernement, son appellation « à durée indéterminée » tout à fait factice serait un avantage pour obtenir prêts ou logements… aucune raison que ce soit le cas. Les branches pourront aussi négocier le recours au travail de nuit qui n’aura plus à rester exceptionnel et moduler la période de nuit (21h-6h) sans aucune contrepartie.

Quand l’exception devient une règle : touche supplémentaire dans l’émiettement et la dégradation des conditions de travail, les conventions de branches. Pour être étendues (donc pour être vraiment « de branche » !), elles devront comprendre des dispositions spécifiques aux entreprises de moins de 50 salariés. Plus rien d’automatique. Jusque-là, les salariés des PME bénéficiaient des quelques conquêtes arrachées par la lutte dans les plus grandes entreprises… du moins sur le papier. Donc que la convention de branche soit contrainte de différencier les droits des salariés en fonction de la taille de l’entreprise… c’est la négation même de l’idée de convention collective. D’autant qu’en plus, les ordonnances veulent instaurer, par décret, un droit de veto patronal à l’extension des conventions de branches !

J.A.

Mots-clés Code du travail , Loi Travail , Ordonnances Macron , Politique
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