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Loi Perben : une justice à la tête du client

dimanche 14 novembre 2004

Plusieurs mesures phare de la loi Perben II, votée en février 2004, sont entrées en vigueur le 1er octobre. Cette loi aurait pour objet de « lutter contre la criminalité organisée ». Cet objectif vaut-il pourtant de renforcer aussi considérablement les pouvoirs de la police et du parquet au détriment des libertés individuelles et des droits de la défense ? Assurément... à condition de croire la description par le ministre des menaces qui planent sur nos têtes : « Des individus se regroupent dans le but de vivre d’une activité illégale avec un seul objectif : faire de l’argent. Toutes les activités illégales sont bonnes : trafics de stupéfiants, proxénétisme ou traite des êtres humains, trafic d’œuvres d’art ou jeu clandestin. Toutes ces activités apportent avec elles leur lot de violence, assassinats, enlèvements et séquestrations, tortures ou actes de barbarie en bande organisée ».

Tous concernés

Le problème, c’est que la notion de « bande organisée » est loin de se limiter à cibler les mafias ou ces triades sanguinaires que décrit le ministre. Considérée déjà comme une circonstance aggravante dans le code pénal, elle désigne « tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou plusieurs infractions ». Bien flou, tout ça !

Selon cette définition, deux jeunes qui volent un vélo à l’aide d’une pince constituent déjà une « bande organisée ». Tout comme des travailleurs en grève d’une entreprise menacée de fermeture, qui auraient retenu quelques heures leur patron pour l’obliger à discuter. Facile d’être une bande organisée, sinon à soi tout seul, comme le chante Renaud, du moins sans y prêter attention !

Pouvoirs de police renforcés

En fait, avec la loi Perben, cette notion de « bande organisée » permet d’étendre ce qui était jusqu’à maintenant des procédures d’enquête exceptionnelles (appliquées à des affaires de terrorisme ou de stupéfiant) à n’importe quelle infraction.

Ainsi, la garde à vue passe de deux à quatre jours, y compris pour les mineurs de 16 ans, et l’accès à un avocat jusqu’ici garanti à la 20e heure pourra être repoussé dans certains cas au troisième jour. La police peut installer micros et caméras dans des domiciles privés, effectuer des perquisitions de nuit dès l’enquête préliminaire, ce qui n’était possible à ce jour que dans le cadre d’une information judiciaire.

Au point que le Conseil constitutionnel a légèrement cillé et a tenu à préciser que ces procédures exceptionnelles d’enquête ne doivent être appliquées que si des « éléments de gravité suffisants » sont réunis. En cas d’erreur de qualification elles peuvent être annulées et le délit requalifié. Un garde-fou plus que symbolique pour la présidente du Syndicat de la magistrature : « La bande organisée est une notion délicate à manier. Malgré ce cadre, la police utilisera ces mesures d’exception, comme la garde à vue prolongée. Et si elle admet, par la suite, s’être trompée, cela ne changera rien à l’affaire : le mal sera déjà fait. » Tant pis, en effet, pour le prévenu qui aura passé quatre jours en garde à vue ou aura été mis sur écoute « par erreur » !

De plus, la possibilité pour les policiers d’infiltrer des réseaux, jusqu’alors limitée aux affaires de terrorisme et de stupéfiant, est étendue. Désormais, ils seront autorisés à se faire passer pour receleur ou complice des infractions. Ils n’auront pas le droit d’inciter au délit (encore heureux !) mais pourront mettre à la disposition des personnes suspectées les moyens (financiers, juridiques, transport...) dont elles ont besoin ! Enfin le système du « repenti » [1] est introduit : en en dénonçant d’autres celui-ci bénéficiera d’une réduction ou d’une annulation de peine. Appliqué à toute infraction, ce statut est une véritable prime à la délation [2], voire à la dénonciation mensongère pure et simple.

Avec la loi Perben, il devient donc parfaitement légal de poursuivre un grand nombre d’infractions (du vol à l’action syndicale ou politique un peu musclée) suivant une procédure d’exception, hors de tout contrôle, y compris celui du juge d’instruction comme c’était le cas jusqu’à présent.

Les démunis plus démunis

Autre innovation : la « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité », une adaptation du plaider-coupable anglo-saxon. Cette disposition concernera les délits et les crimes entraînant des peines allant jusqu’à cinq ans de prison (vol à l’étalage, conduite en état d’ivresse, abus de biens sociaux, non respect du code du travail). Au terme de la garde à vue, le « plaidant coupable » sera déféré, en présence d’un avocat, devant le procureur qui lui proposera une peine ne pouvant dépasser la moitié de celle encourue. La proposition de peine, une fois acceptée par le prévenu, sera ensuite « homologuée » par le juge.

Une procédure efficace et humaine, affirme Dominique Perben : tout en permettant d’« alléger les audiences correctionnelles », c’est-à-dire d’éviter un procès, elle ménagerait l’intérêt du prévenu, puisqu’en avouant, celui-ci pourrait voir sa peine allégée. Le problème, c’est que cette procédure peut cacher un véritable chantage et une nouvelle pression lors de la garde à vue. Pour beaucoup, et particulièrement les plus démunis face à la complexité de la justice, l’aveu, même sans fondement, apparaîtra comme une façon d’éviter le pire. Or, une fois la culpabilité reconnue et la peine fixée, difficile de revenir en arrière. En effet, si le suspect rejette la peine proposée, c’est la comparution immédiate devant le tribunal et la perspective d’une condamnation plus lourde, requise par le procureur. « Quel prévenu résistera ? Quel avocat conseillera à son client de refuser la proposition au risque de le voir condamner à une peine plus sévère que celle proposée ? » [3].

On ne peut alors que partager la crainte de la présidente du Syndicat de la magistrature : « le danger évident est que l’on extorque l’approbation des prévenus[...] Face au procureur, le citoyen n’aura pas les moyens de défendre sa cause devant la justice. Ce sera une peine sans jugement ni défense, décidée dans le secret d’un cabinet du ministère public tout puissant qui concentre pouvoir de poursuite et pouvoir de condamnation. » En effet avec la procédure du « plaider coupable » les fragiles garde-fous que donne un procès (les débats y sont au moins publics, le procureur ne représente qu’une des parties et la défense peut discuter les preuves) sautent et au contraire la voie est ouverte à l’arbitraire.

Et les puissants plus assurés

Il est pourtant un domaine où le « plaider coupable » pourrait s’avérer très profitable pour le prévenu : celui de la criminalité financière, car les « criminels en col blanc » sont rarement des démunis devant la justice mais au contraire ont bien des moyens, aussi bien sociaux que financiers, pour traiter d’égal à égal avec elle.

Prenons l’exemple d’un chef d’entreprise poursuivi pour abus de biens sociaux : une négociation menée dans le huis-clos du bureau du procureur lui permettrait d’éviter la publicité qu’engendrerait inévitablement un procès. De plus, la loi Perben prévoit l’absence de condamnation en échange de certaines obligations, comme le remboursement des victimes. Ainsi, simple exemple évidemment, Alain Juppé pourrait envisager d’être dispensé de peine... s’il remboursait les 1,2 million d’euros qu’ont coûtés les emplois fictifs de la mairie de Paris.

Des procédures d’enquête exceptionnelles, jusqu’ici réservées à la lutte contre le terrorisme, appliquées au moindre petit délit et qui peuvent même être détournées contre le monde du travail, un système de peines à la carte où le petit délinquant aura plus de chance de trinquer que le chef d’entreprise influent, aucun moyen supplémentaire d’atteindre la criminalité en col blanc qui prospère impunément à l’abri des paradis fiscaux... Avec Perben au moins, la justice ne fait pas beaucoup d’effort pour dissimuler son caractère de classe !

Agathe MALET


Aussi dur pour soi-même que pour les autres ?

Prenons le cas du citoyen Perben, flashé, selon Le Dauphiné libéré, le 15 octobre dernier à 160 km/h sur l’autoroute. En cas de récidive, l’excès de vitesse est une infraction punie éventuellement de prison et entre donc dans le champ de la CRPC (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité). Verra-t-on le garde des sceaux plaider coupable ? Peu probable, puisque celui-ci s’est dépêché de se défausser sur son malheureux chauffeur. Mais... mais... Perben plus son chauffeur, c’est pas « une bande organisée », ça ?


[1Cette dernière mesure attendrait encore pour l’instant ses décrets d’application.

[2Une autre mesure, concernant le fichage des délinquants sexuels, est encore à mettre au compte de la loi Perben II : les auteurs d’infractions sexuelles seront répertoriés dans un fichier national, pour une durée allant de vingt à trente ans. Y figureront aussi les personnes acquittées ou relaxées pour irresponsabilité, les mis en examen (dans l’attente de leur jugement) ainsi que les mineurs de moins de treize ans.

[3Propos de l’ancien garde des sceaux Robert Badinter.

Mots-clés Justice , Politique