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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 88, juin-juillet-août 2013

Vive le printemps turc !

Mis en ligne le 17 juin 2013 Convergences Monde

Vendredi 31 mai et les jours suivants, la colère a explosé à Istanbul : des dizaines de milliers de manifestants se sont rassemblés dans le centre-ville, campant sur la place Taksim, affrontant les forces de l’ordre. Entraînant dans son sillage des manifestations dans de nombreuses autres villes du pays, elle exprime un profond ras-le-bol contre le gouvernement, ses liens étroits avec le monde des affaires et ses cadeaux au patronat d’un côté, la flambée des prix et la dégradation des conditions de vie de l’autre.

À l’origine de cette lame de fond se trouve pourtant un projet presque anecdotique. La municipalité d’Istanbul, dirigée par l’AKP, le parti islamiste « modéré » du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan (lui-même ancien maire de la ville), voulait raser un parc attenant à la place Taksim pour le transformer en centre commercial. Le lundi 27 mai, quelques dizaines d’écologistes se sont rassemblés dans le parc, plantant leurs tentes et empêchant la progression des travaux. Ils sont rejoints par d’autres mais s’essoufflent, et dans la soirée de jeudi, votent même la dissolution de leur comité, croyant avoir été au bout de leurs possibilités. Mais dans les heures qui suivent, la situation bascule. La police charge très violemment les occupants. Des gros bras de l’AKP mettent le feu aux tentes, tandis que la police tire des grenades de gaz lacrymogène et déloge les derniers récalcitrants à l’aide de lances à eau et de matraques.

Les habitants des alentours, indignés par cette violence, rejoignent alors les occupants. Les multiples charges de police ne parviennent qu’à faire croître le mouvement. Des dizaines de milliers de personnes, venues de toute la ville, essaient d’investir la place Taksim. En l’espace de 24 heures, des manifestations ont lieu dans une cinquantaine d’autres villes du pays, avec à chaque fois d’impressionnants cortèges. Au cri de « Dégage Erdogan », les manifestants réclament la démission du gouvernement qui brandit le miracle de la croissance et feint d’oublier que celle-ci s’est construite sur une exploitation accrue des travailleurs et des travailleuses de Turquie. Et tout y passe, des rancunes contre le régime, du verre de bière au droit de lire « ce que je veux », du ras-le-bol de la pression morale et religieuse à celui de la matraque des flics, de l’exigence de la laïcité à celle du droit à l’avortement… On est déjà loin du simple problème de l’arrachage des arbres du parc.

Un mois plus tôt, le 1er mai dernier, le gouvernement Erdogan avait interdit que la traditionnelle manifestation syndicale puisse rejoindre la place Taksim. En Turquie le 1er mai a une toute autre ampleur qu’aujourd’hui en France et, à Istanbul, la manifestation se termine toujours sur cette place symbolique. Prétexte officiel de l’interdiction : les travaux en cours justement, qui pouvaient être un danger pour les manifestants qui s’y rassembleraient. Mais c’est pour les travaux eux-mêmes que le gouvernement craignait. Il craignait que la rencontre des dizaines de milliers de travailleurs avec des jeunes ou des habitants du quartier opposés au projet immobilier du pouvoir ne devienne explosive.

Avec l’interdiction, une partie des cortèges syndicaux s’étaient alors déplacés pour manifester dans une des grandes banlieues industrielles d’Istanbul. Quant à ceux qui avaient choisi de braver l’interdiction, notamment à l’appel du syndicat des services publics KESK, de la centrale syndicale minoritaire DISK et de groupes de gauche et d’extrême gauche, ils étaient accueillis dès le petit matin sur les lieux de rassemblement, devant les locaux des syndicats, et dispersés violemment par la police qui occupait tout le centre-ville. Les échauffourées ont continué une partie de la matinée, alors que d’autres manifestants étaient bloqués par la levée des ponts empêchant de passer d’un côté à l’autre de la ville. Au soir du 1er mai, le gouvernement pouvait être soulagé.

Mais aujourd’hui c’est le scénario qu’il craignait qui pourrait bien se produire, dans l’autre sens, et à une toute autre ampleur. Partie de la protestation contre le projet immobilier, l’affairisme du pouvoir et l’ordre moral, la contestation s’est généralisée. Et même si le mouvement actuel s’essoufflait dans les jours ou semaines qui viennent, il a déjà profondément marqué la situation politique en Turquie et donné courage à tous ceux qui contestent le régime et l’approfondissement des inégalités sociales.

La classe ouvrière turque a participé à une succession de mouvements de grèves ces derniers mois dans diverses entreprises. Elle n’était pas en tant que telle, sur ses objectifs, présente dans les dernières manifestations d’Istanbul, même si nombre de travailleurs y participaient, comme bien d’autres. Mais elle pourrait bien se saisir de ce climat général de contestation du régime pour entrer dans la danse, avec ses propres revendications politiques (notamment la liberté de s’organiser) et économiques (chômage, bas salaires…) qui sont celles de toute la population pauvre. Et ne pas se contenter alors d’un simple « Dehors Erdogan » qui ne changerait que la tête du régime.

8 juin 2013

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Numéro 88, juin-juillet-août 2013

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