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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 86, mars-avril 2013

Vis ma vie de conducteur de train en banlieue parisienne

Mis en ligne le 18 mars 2013 Convergences Entreprises

Retards, suppressions de trains, le mécontentement des usagers des TER ou du RER monte, parfois dirigé contre les cheminots. Pourtant ceux qui font rouler les trains – et ce ne sont pas seulement les conducteurs qui ne représentent que 10 % des effectifs de la SNCF – subissent les conséquences d’une politique d’austérité catastrophique : suppressions de postes, manque d’investissements criant dans le matériel et les voies (à l’exception bien sûr de tout ce qui concerne le très cher TGV). La réforme lente mais profonde de l’organisation du travail, la « séparation par activités [1] », ajoute au chaos en cloisonnant de plus en plus les différents métiers au sein d’une entreprise par nature intégrée. Le résultat, c’est par exemple cette journée de travail :

14 h, embauche sur le RER C [2]. 15 heures, Dourdan, signal d’alarme. Un bruit sous les voitures. Me voilà à quatre pattes sous le train, à dégager les restes d’un siège passager. Le sport favori des gamins de ces banlieues résidentielles : insulter les conducteurs et balancer les sièges par la fenêtre.

Une heure et demie plus tard, la radio crachote « accident de personne ». Un désespéré s’est jeté sous un train. Notre cauchemar, la mort en direct. Sur qui c’est tombé cette fois ? Je me renseignerai dès que possible, le collègue aura besoin d’être entouré. En attendant ça va être le bazar toute l’après-midi.

Javel. Signal fermé, notre feu rouge. Je passe des annonces régulières pour que les voyageurs patientent. 15 minutes plus tard, le signal s’ouvre, feu vert ! Juste le temps de desserrer les freins... Alarme. Je remonte au milieu des voyageurs jusqu’à la voiture en question pour réarmer. Rien à signaler. On a pris 5 minutes de plus… pour rien.

Saint-Quentin. 30 minutes de retard. Les collègues sur le quai, agents d’accueil censés renseigner les voyageurs, sont excédés. « Je ne sais rien », répètent-ils. Dès qu’ils ont une bribe d’info, ils téléphonent au PIVIF [3], chargé des annonces en gare. Celles-ci se multiplient, parfois contradictoires. Les insultes pleuvent.

Vu la pagaille, la régulation [4] ne veut pas me laisser partir sans nouvelles du conducteur qui me relève quelques stations plus loin. Il faut s’assurer que le collègue sera là à temps avant d’envoyer un train vers Versailles où les voies manquent à l’heure de pointe.

30 minutes plus tard, la voie est libre. Mais les voyageurs, ballottés, ont investi un autre quai. Le temps qu’ils remontent à bord…

18h05, Versailles. Les retards ont bouffé ma pause, je ne sais pas où est mon prochain train. La régulation en cas d’incident est injoignable comme à chaque fois qu’il y a un problème. Le gars est tout seul au bout du fil, débordé. Je monte jusqu’à l’accueil de la gare. Fin de la journée, avec deux heures d’avance, mais à Versailles au lieu de Brétigny. Et je suis descendu du dernier train annoncé en direction de chez moi !

En cas d’« accident de personne », la SNCF n’est pas considérée comme responsable par le Stif [5] des retards et suppressions de trains. Pas d’amende, pas de mauvaises stat’. Par contre, gare à l’heure de pointe suivante ! La priorité de nos chers dirigeants c’est l’organisation du lendemain. Ce soir, tant pis pour les banlieusards.

Pourtant, les collègues dont les trains sont supprimés ou ceux de la « réserve » se proposent pour débloquer la situation. Avant on s’organisait directement avec les postes d’aiguillage locaux. Aujourd’hui, j’enrage de voir des gares pleines de voyageurs bloqués, de trains vides et de conducteurs en chômage technique.

Bref, me voilà usager, en galère comme les autres. Deux heures pour rejoindre ma banlieue.

Le lendemain, embauche à 6 heures. Neuf heures seulement entre la fin d’une journée et le début d’une autre, un « découché » dans notre jargon, qu’on passe en général dans un foyer à proximité du dépôt. Raté, à Dourdan il est insalubre. Et plutôt que de payer des travaux, la direction préfère engraisser un hôtelier du coin. Il faut appeler pour réserver. Ça paraît compliqué ce soir, comme souvent. On m’impose un taxi qui viendra me chercher à 5h30 chez moi. Le chauffeur, crevé, met deux fois le temps prévu car il ne connaît pas le chemin.

En retard, il faut déjà courir pour « dégarer » la rame. Une nouvelle journée commence...

Correspondant, ligne C du RER


[1Voir les dossiers de Convergences Révolutionnaires numéros 67 et 81.

[2La branche en question de la Ligne C traverse l’Essonne, le Val-de-Marne, Paris, les Hauts-de-Seine et les Yvelines.

[3Poste d’information voyageurs informatisé Île-de-France.

[4Chargée de l’organisation du trafic.

[5Syndicat des transports d’Île-de-France. Dirigé par des élus régionaux, il est le donneur d’ordres de la RATP et de la branche banlieue de la SNCF.

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Numéro 86, mars-avril 2013

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