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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 42, novembre-décembre 2005

Unité syndicale : ne rien faire pour permettre aux luttes de converger

Mis en ligne le 10 novembre 2005 Convergences Politique

Dès le lendemain du 4 octobre, les confédérations syndicales avaient annoncé une nouvelle rencontre entre elles pour examiner les suites à donner à cette mobilisation. Le 17 octobre, elles se mettaient effectivement d’accord... pour ne rien faire de plus.

La journée du 4 octobre s’est pourtant produite avec, en toile de fond, la grève des marins de la SNCM contre la privatisation de leur compagnie. Le mouvement, déterminé, puis l’intervention brutale des forces de l’ordre contre ceux qui s’étaient emparés du Pascal-Paoli, à l’initiative du Syndicat des travailleurs corses, provoquaient un sentiment de solidarité chez tous les travailleurs du pays ; les dockers du Port autonome de Marseille se mettaient en grève à leur tour contre des menaces similaires ; et, dans le même temps, les transports en commun de Marseille étaient paralysés par la grève contre un projet d’introduction de la Connex, filiale de Vivendi, dans la gestion. Trois mouvements causés par le refus du transfert de tout ou partie de leur entreprise au privé, les travailleurs craignant, à juste titre, tout à la fois des suppressions d’emploi et une dégradation des conditions de travail et du service public.

L’isolement des travailleurs de Marseille

À la veille de la mobilisation interprofessionnelle du 4 octobre, il y avait bien à Marseille des convergences de luttes qui auraient peut-être pu devenir un point d’appui pour tenter de généraliser l’action à tous les travailleurs menacés à plus ou moins long terme par les privatisations - comme ceux d’EDF-GDF, ou même de la SNCF - ou par des licenciements - comme ceux d’Hewlett Packard ou de ST-Microelectronics, pour ne citer que des entreprises dont les médias ont le plus parlé ces derniers mois. C’est avec une telle politique que la journée du 4 octobre pouvait avoir une chance d’être un tremplin vers un mouvement plus large.

Le gouvernement en avait d’ailleurs pris la mesure et commençait, un tout petit peu, à changer de ton : il abandonnait les poursuites contre la quasi-totalité des marins du Pascal-Paoli, et acceptait que l’État conserve 25 % des actions de la SNCM privatisée. Bien sûr, sans céder rien sur le fond : tout au plus permettait-il aux syndicats, c’est-à-dire avant tout à la CGT, d’infléchir leur position. Pour qu’il en soit autrement, il aurait fallu que le mouvement des travailleurs de la SNCM menace de faire tâche d’huile et, pour cela, que les confédérations syndicales adoptent une politique offensive.

Tout le contraire. En plein mouvement, juste après l’intervention du GIGN contre le Pascal-Paoli, Bernard Thibault s’est précipité à Matignon. On ne sait évidemment pas ce qui s’est dit entre lui et Dominique de Villepin, mais le fait est que, rapidement, la CGT a joué une autre partition. Et la suite a montré que la direction de la CGT avait bien admis le principe de la privatisation de la SNCM. Alors que, jusque-là, les syndicats et les travailleurs de la SNCM s’étaient refusés à céder au chantage gouvernemental, en l’espace d’une nuit la direction de la CGT a viré à 180° et invité les grévistes à reprendre le travail pour éviter le dépôt de bilan. Livrés à eux-mêmes, les marins de la SNCM, qui ne s’étaient pas doté d’une organisation de la grève sous leur propre contrôle, ont fini par voter, la mort dans l’âme, la reprise du travail.

Quand la CGT roule pour la gauche...

La direction confédérale de la CGT a donc aidé le gouvernement à se sortir d’une situation embarrassante sinon menaçante pour lui. Comme elle l’avait fait lors du mouvement sur les retraites du printemps 2003, en refusant de militer pour l’extension du mouvement des enseignants en grève. (Notons, en passant, que le lâchage de ce mouvement par la CFDT n’avait eu alors pas plus d’influence que son refus de soutenir les marins de la SNCM cette fois-ci : quand on en vient aux choses sérieuses, c’est bien encore la CGT qui compte.)

Cette attitude de la CGT n’est pas nouvelle. Elle a évidemment pour raison fondamentale que cette confédération, malgré son passé et ce qui reste de son image, a renoncé depuis longtemps à l’affrontement avec le patronat et le gouvernement. Avec Thibault, à qui revient d’avoir remplacé la CGT « force de contestation » par la CGT « force de proposition », le « recentrage » s’est même encore accentué. Mais le contexte social et politique fait aussi que la CGT a plusieurs autres raisons, plus circonstancielles, qui la poussent dans cette orientation.

Si l’on en juge par ces mois de septembre et d’octobre, les attaques tous azimuts du patronat et du gouvernement risquent de provoquer la multiplication des conflits. Conflits dont les dirigeants locaux de la CGT, spontanément ou poussés par leur base, ont de fortes chances de prendre la tête, quand ils ne les auront pas initiés. Thibault a donc tenu à rappeler la politique de la confédération : les soutenir mais sans rien faire pour leur permettre de s’étendre et donc d’avoir une chance de gagner. Reste tout de même alors à la CGT de justifier sa politique ou en tout cas de proposer un substitut aux luttes perdues qui pourrait entretenir quand même l’espoir. Et c’est là que la gauche lui est d’un bon secours, même si la CGT se veut indépendante de tout parti, même si Thibault a pris spectaculairement ces dernières années ses distances avec le Parti communiste.

« Les luttes ne paient guère, oui. La faute à une droite ultra-libérale et un gouvernement intransigeant « sourd et aveugle ». Mais il reste le terrain des élections, d’autant plus que la gauche a, en 2007, quand même quelques chances de l’emporter. Alors luttons, mais sans trop d’illusions, mais surtout militons pour « l’alternance », pour le retour de la gauche au pouvoir. » Voilà, en substance la politique que la CGT va, dans la pratique, proposer à ses militants : préparer les élections plutôt que la grève générale.

Et ces militants sont d’autant plus susceptibles de l’accepter qu’ils sont des sympathisants instinctifs de cette gauche, même quand ils sont très critiques vis-à-vis de celle-ci et de sa politique passée... Surtout si personne ne leur propose une autre perspective. Certes, il y a des clivages au sein de l’appareil CGT, entre ceux qui sont liés au PS et ceux qui le sont au PCF, voire aux différentes tendances de ces partis. Mais, dans la mesure où la politique de Marie-George Buffet revient à rouler pour le candidat du Parti socialiste au second tour et pour une nouvelle union de la gauche gouvernementale, les différentes composantes de l’appareil peuvent facilement se retrouver. Ainsi, à l’occasion du conflit de Marseille, on a parlé de désaccords entre la direction confédérale, celle de la Fédération des marins et celle de l’Union départementale des Bouches-du-Rhône. Pourtant, c’est dans un démonstratif coude à coude que les trois ont défilé lors de la manifestation marseillaise qui... entérinait la reprise du travail à la SNCM.

...en espérant que la gauche roulera pour la CGT

Evidemment, toute la gauche ne peut qu’applaudir à la politique de la CGT... puisque c’est d’abord la sienne, du PS à la gauche de la gauche. Et plus on va entrer dans la préparation des échéances électorales de 2007, plus on va voir ses différentes composantes multiplier les déclarations, voire mener une agitation sur les problèmes que rencontrent les travailleurs, mais en veillant soigneusement à ne pas mettre le feu aux poudres. De ce point de vue, la direction de la CGT fait bien intégralement partie de la « gauche ».

S’ajoute aussi peut-être pour la CGT une raison plus matérielle. Confrontés à une baisse de leurs effectifs par rapport à ce qu’ils étaient dans les années 1970, les confédérations syndicales voudraient bien que leur rôle soit encore plus « institutionnalisé ». Pour cela, elles sont prêtes à négocier avec n’importe quel gouvernement de droite comme de gauche. La CFDT ne s’en cache pas, mais la CGT aussi tente à toute occasion de montrer sa bonne volonté, vis-à-vis hier de Raffarin, aujourd’hui de Villepin.

Seulement, cela dépend avant tout du bon vouloir du patronat et du gouvernement. Or, aujourd’hui, ceux-ci utilisent un rapport de forces favorable non seulement pour acculer les travailleurs à une précarité de plus en plus grande ou faire table rase du Code du travail, mais aussi pour renvoyer à plus tard (sinon à la Saint-glinglin) tout nouveau pas dans l’intégration des syndicats. L’arrivée de la gauche au gouvernement changerait-elle l’attitude de celui-ci ? Même si ce n’est pas évident, les syndicats peuvent quand même l’espérer.

Que peuvent faire les révolutionnaires ?

Des luttes isolées peuvent permettre, dans certaines entreprises et sous certaines conditions, aux travailleurs d’obtenir, par exemple, des augmentations un peu plus importantes que ce que leur patron avait prévu. Mais, lorsqu’il s’agit de se battre contre les conséquences de la politique générale du patronat et du gouvernement, l’isolement ne peut que conduire à l’échec des mouvements.

Pourtant, si les confédérations syndicales ne font rien pour permettre à des journées comme celle du 4 octobre d’être une étape vers un mouvement d’ensemble, elles n’y sont pas non plus aujourd’hui poussées par la « base ». Et des travailleurs, exaspérés par l’arrogance du patronat et du gouvernement et impatients d’en découdre, peuvent être d’autant plus tentés par des formes de lutte prétendument radicales qu’il n’est pas facile de mobiliser le gros des travailleurs.

Les conflits locaux - actuellement plutôt en augmentation - se heurteront au refus des confédérations syndicales de leur permettre de s’étendre, mais pas forcément de se durcir ou se radicaliser, à condition qu’ils restent circonscrits. Il n’est pourtant pas impossible aux militants révolutionnaires de permettre aux travailleurs en lutte de contourner l’isolement voulu par les appareils confédéraux. Cela dépend, bien sûr, de la détermination des travailleurs en lutte, mais aussi de notre capacité à opposer aux objectifs catégoriels ou creux ceux qui permettent l’unification des luttes, et à aider à mettre en place des structures démocratiques qui donneraient aux travailleurs les moyens de gérer eux-mêmes leur mouvement.

L’éditorialiste du Monde du 18 octobre mettait en garde le gouvernement : « Quand la colère ne passe plus par le « filtre » syndical, elle peut donner lieu à bien des débordements, voire à des actes de désobéissance civile. Le climat social peut favoriser de tels dérapages ». Mais ce qui est une source d’inquiétude pour nos adversaires est souvent une possibilité d’agir pour nous.

29 octobre 2005

Jean-Jacques FRANQUIER


Le 4 octobre dans les déclarations syndicales

La préparation de la journée du 4 octobre, puis les jours qui ont suivi, ont été l’occasion d’un festival de déclarations syndicales à FO et à la CGT. La CFDT, elle, n’était déjà pas très chaude pour cette journée, alors quant aux suites à donner...

Le 4 octobre, se félicitant de la présence de « près d’1,3 million de manifestants », le Bureau confédéral de FO affirmait : « Ce soir, la balle est dans le camp du gouvernement. Il lui appartient, ainsi qu’au patronat, de répondre rapidement aux revendications (...). C’est en fonction des réponses que Force Ouvrière se déterminera sur les suites du 4 octobre. (...) » Le 10 octobre, la Commission exécutive de FO en rajoutait : « Pour la Commission exécutive, les discussions avec le gouvernement ne sauraient attendre plusieurs semaines, elles doivent débuter rapidement, il s’agit pour la Commission exécutive d’une forme d’ultimatum ». Bigre ! Pourtant trois semaines après, ni le gouvernement, ni le patronat n’ont fixé de date pour l’ouverture des discussions. Mais trois semaines, cela ne fait sans doute pas plusieurs semaines pour FO et il faut croire que l’ultimatum court toujours...

Voyons ce qu’il en est du côté de la CGT, à qui revient le mérite d’avoir pesé pour l’organisation du 4 octobre. Dans un communiqué datant du 29 septembre, la CGT annonçait déjà la couleur sur les « prolongements » : « (La CGT) estime dès aujourd’hui nécessaire que cette mobilisation trouve d’importants prolongements. (...) Au niveau des branches professionnelles, des actions sont d’ores et déjà annoncées dans la métallurgie, la santé, la construction... » Au soir du 4 octobre, une déclaration de la CGT en rajoutait une couche : « La CGT appelle les salariés à s’appuyer sur la dynamique d’action du 4 octobre pour décider d’autres initiatives unitaires dans les entreprises, les branches professionnelles. »

Attendre, isoler, morceler branche par branche, entreprise par entreprise, voilà ce que peuvent attendre les travailleurs des confédérations syndicales !

J.-J. F.

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