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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 61, janvier-février 2009

Un peu de tourisme à Marne-la-Vallée : United colors chez Blanche-Neige

Mis en ligne le 10 janvier 2009 Convergences Entreprises

« Bienvenue, welcome, willkommen, benvenuto, bienvenido to Disneyland Resort Paris ! » s’exclame la grosse voix quand vous franchissez les tourniquets. Pas de doute : vous y êtes ! Les affiches dans le RER étaient formelles. Vous venez d’entrer dans le monde du rêve, de l’imagination, de la magie et du spectacle ! Donald et Dingo vous saluent accompagnés d’une fanfare, histoire de faire oublier les 8 euros de parking et les 60 euros d’entrée que vous venez de débourser ! Mais au diable l’avarice, autour de vous le parc tourne comme une horloge, entretenue et remontée par 13 000 salariés apparemment tous jeunes, souriants et trilingues. Bienvenue chez Eurodisney, la nov-ville de rêve poussée en plein champ qui, d’un coup de baguette, a fait venir jusqu’à elle RER et TGV.

Le meilleur des petits mondes

Le leader mondial du divertissement familial a ses traditions, ses références et même sa langue. Pas de salariés dans cet univers de spectacle mais des CastMembers . Pas de chefs d’équipe mais des TeamLeaders, tout ce petit monde étant tenu de se tutoyer et de s’appeler par son prénom à tous les niveaux de la hiérarchie (prénom porté côté cœur sur le nametag , badge obligatoire pour tous). Pas d’horaires de travail mais un shift  ; on ne prend pas son repas dans la salle de repos, mais son lunch dans la breakroom , et on n’a pas de week-end mais on est off deux jours dans la semaine !

Côté visiteurs ( guests dans la langue locale) dans la partie publique du parc ( Onstage ), tout doit être parfait et coller le plus possible à l’univers des films et des personnages en veillant à éviter toute « fausse note » susceptible de révéler l’autre côté du miroir ! Pas question de la moindre allusion aux conditions de travail ou au salaire. Les CastMembers doivent avoir les cheveux courts, rasés de près pour les hommes (sans tatouage ni piercings apparents !) et surtout avoir l’air heureux, même dehors toute la journée en plein hiver. Disney affiche l’image lisse et politiquement correcte d’une entreprise idéale où plus de cent nationalités coexisteraient, où la discrimination qu’elle soit sexiste, ethnique ou envers les handicapés n’aurait pas sa place. Chez Mickey on est avant tout gentil avec son prochain. Ce n’est pas un parc d’attraction, c’est un monde idéal.

Backstage

Or, accroc dans la toile de fond, le 12 février 2007, une plainte a été déposée par l’association SOS-Racisme suite à la publication dans le journal 20 minutes d’une annonce pour le recrutement de figurants pour la Parade. Cette annonce recherchait des personnes « majeur(e)s, intéressé(e)s et de nationalité européenne » . Disney n’en était pas à sa première « fausse note » sur le sujet puisqu’en 2001 plusieurs employés de l’entreprise d’intérim Adecco avaient affirmé avoir subi des pressions pour sélectionner des intérimaires majoritairement blancs.

Samuel Thomas, vice président de SOS-Racisme revenait là-dessus dans une interview à France-Info le 16 juillet dernier.

« Le problème n’est pas de reprocher à Eurodisney de ne recruter que du personnel de type européen, ce n’est vraiment pas ça l’accusation. C’est de tout faire pour limiter la proportion des salariés étrangers originaires du Maghreb et d’Afrique noire. En fait, il y a un dosage qui est effectué. Ça ne veut pas dire qu’il y a une politique de zéro personnes d’origine maghrébine et africaine, ça veut simplement dire que Eurodisney considère que la population française qui vit en Île-de-France d’origine maghrébine et africaine est en surnombre par rapport à l’image que leur clientèle peut se faire de la population française, et que la « dose » des Noirs et des Arabes ou la « dose » des Algériens, des Marocains, des Tunisiens, des Sénégalais, des Maliens doit être limitée pour soi-disant faire plaisir à une clientèle. Ces victimes nous ont demandé à nous de nous mobiliser dans cette affaire, on a déposé plainte, il y a maintenant un an et demi... On a beaucoup de mal à comprendre pourquoi la justice est aussi lente dans une affaire aussi simple. »

La justice prend son temps, permettant à l’univers magique de Mickey de remonter le sien. Faisons un tour dans les hôtels ou les parcs. Visitons FrontierLand, partie du parc dédiée aux cow-boys et à l’Amérique de 1885. L’ensemble du personnel, en tenue d’époque, vaque à ses occupations. Des Castmembers en Stetson et cache-poussière animent les attractions, un groupe de country joue au Cowboy-Cookout-Barbecue (restaurant légendaire pour son hamburger aux haricots rouges) et, si on jette un œil dans les coulisses ou encore dans les cuisines de tous ces restaurants, on peut enfin apercevoir la diversité dont Disney se veut si fier : l’écrasante majorité du personnel des plonges et des cuisines est d’origine africaine ! Le contraste est flagrant. Tout comme à l’hôtel Newport-Bayclub construit sur le modèle des établissements de vacances pour familles riches de la Nouvelle-Angleterre du début du xxe siècle où, cette fois, la réalité rattrape la fiction. Les femmes de chambres noires font le ménage en costume d’époque, longues jupes et tabliers à frou-frou ! Visiblement, la proportion de personnel noir dans l’entretien et les cuisines pose moins de problème de crédibilité vis-à-vis de la clientèle que sur la parade.

Repentance

Soyons juste. Eurodisney donne le change, se défend de ce genre de pratiques et met en avant la diversité des origines de ses cadres, le nombre de femmes aux postes à responsabilités et l’intégration des personnes handicapées. Cet été, elle a même mandaté une entreprise extérieure pour réaliser une enquête auprès des salariés sur la « diversité » et les discriminations au travail. Et puis, il y a la grande fierté de cette année : quatre récompenses en février 2008 aux « Trophées de la diversité culturelle de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances ».

Trophées gouvernementaux par-ci, enquête cosmétique par-là, Philippe Gas, comme avant lui les autres PDG de l’entreprise, s’appliquent à entretenir le mythe de la société idéale contre vents de contestation, articles de presses et procès !

Restait à franchir le dernier pas : après Jasmine, princesse du monde arabe, Pocahontas , ambassadrice des Indiens d’Amérique, Mulan, figure légendaire de la Chine impériale, Disney se devait de faire entrer en scène la première princesse noire de son histoire. Voici venir sur un air de Jazz à l’horizon 2009 la nouvelle princesse Disney, afro-américaine et nantie d’une prêtresse vaudou comme marraine ! Il était une fois, dans un quartier français de la Nouvelle-Orléans, Maddy, une jeune domestique noire au service de la fille d’un riche propriétaire terrien...

Mais même là, alors que le film n’est pas encore sorti, Disney se casse les dents sur l’opinion contestataire américaine qui voit en Maddy (l’un des noms qui était communément donné aux jeunes esclaves noires) un personnage stéréotypé. Si bien que Disney a repris sa copie et que Maddy est devenue Tiana. Son prince charmant, Naveen, n’est plus blanc (des rumeurs laissent entendre qu’il serait originaire du Moyen-Orient).

Bref, Disney patauge pour faire oublier l’héritage très wasp (White Anglo-Saxon Protestant) de son fondateur. Mais pas encore de quoi croire en sa magnifique devise : « Where dreams come true » — Là où les rêves deviennent réalité

Isabelle SILANDER

Portfolio

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