Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 43, janvier-février 2006 > DOSSIER : La crise permanente du logement

DOSSIER : La crise permanente du logement

Un logement social toujours plus délabré

Mis en ligne le 13 janvier 2006 Convergences Société

On distingue deux parcs de logements en France : le parc privé et le parc social. Le premier est composé de logements détenus par des propriétaires individuels ou des investisseurs comme les banques ou les assurances. Très hétéroclite, puisqu’on y côtoie le pire comme le meilleur, il est normalement destiné à des populations dont le niveau de vie leur permet de payer un loyer dit « de marché », fixé par l’offre et la demande. En réalité, devant la pénurie de logements, et notamment de logements à des loyers accessibles, le parc privé loue souvent à des prix exorbitants des logements à des ménages qui prennent ce qu’ils peuvent faute de choix, et qui dépensent une bonne partie de leur budget dans leur logement.

Le deuxième est le parc social, composé essentiellement de logements de type HLM, construits à meilleur marché et destinés à des ménages modestes. Leurs loyers sont réglementés et les occupants ne doivent pas dépasser un certain seuil de revenus.

Pourquoi cette distinction ? Tout simplement parce que les salaires étant ce qu’ils sont, les pouvoirs publics prennent en charge la construction de logements destinés à certaines catégories modestes de la population. Nul doute que si le pouvoir d’achat était suffisant pour tous les travailleurs, cette ségrégation serait parfaitement inutile.

Manque de constructions ?

Deux chiffres à eux seuls résument la situation actuelle du logement dit social : plus de 66 % des foyers répondent aux critères d’attribution des HLM selon l’Insee, alors que 15 % à peine du total des logements construits chaque année leur sont réservés. Rien d’étonnant à ce que la pénurie soit devenue sévère : dans tout le pays, 1,3 million de dossiers ont été déposés l’an dernier. Rien qu’à Paris, 100 000 familles attendent un logement HLM. Les plus chanceux devront attendre dix ans en moyenne pour l’obtenir.

La construction d’immeubles en France aujourd’hui connaît pourtant une insolente santé, puisqu’elle a bondi de 10,3 % en 2005. Un record vieux de 25 ans vient même d’être battu : plus de 400 000 logements sont sortis de terre en 2005. Cette augmentation est cependant très inégalement répartie, les nouveaux logements étant édifiés dans des territoires moins urbanisés, là où les besoins sont les moins importants. Le logement social en est le parent pauvre, avec une progression limitée à 3,9 % seulement. Il ne représente que 10 % de l’ensemble des logements construits.

Derrière sigles et annonces, le désengagement de l’État

Les gouvernements successifs ne se font pourtant pas faute d’annoncer régulièrement depuis quelques années des plans d’aide au logement social. En 2000 était votée, sous le gouvernement Jospin, la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU) imposant, sous peine d’amende, à toutes les communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en région parisienne) un seuil minimal de 20 % de logements sociaux à atteindre avant 2020. En 2003 le gouvernement Raffarin créait l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU). Présenté en 2004, le Plan de cohésion sociale (dit « plan Borloo », du nom du ministre de la Ville) proposait un volet logement très médiatisé, annonçant la construction de 100 000 logements par an.

Mais la réalité ne suit pas les annonces gouvernementales. L’année 2003 aurait même été la pire pour la construction de logements sociaux depuis... 1953. Malgré leurs propres promesses, Villepin et Borloo avouent non pas 100 000 mais 80 000 nouveaux logements pour 2005, et ce chiffre serait en fait largement surestimé : le ministère de l’Équipement parle d’une réalité inférieure à 60 000, dont 42 000 logements neufs et 15 000 à 18 000 anciens transformés en HLM. Avec un renouvellement annuel du parc à peine supérieur à 1 %, le retard, loin de se résorber, continue donc à s’accumuler. Et les 100 000 familles parisiennes demandeuses de logement social doivent par exemple se contenter de l’attribution annuelle de 12 000 logements, ce qui signifie un délai moyen d’attente de huit ans.

Malgré les annonces, la politique de l’État est bien plutôt caractérisée par un désengagement financier continu. Entre 1993 et 2003 la part du PIB français consacrée au logement social a baissé de 12 %, passant de 0,57 % à 0,50 %. En 2004, pendant que Borloo lançait son plan, le budget prévoyait une baisse de 8,75 % des crédits au logement. L’État profite encore de la décentralisation pour diluer l’effort financier et les responsabilités concernant le logement (comme d’autres de ses attributions sociales d’ailleurs) en faisant porter les mises en oeuvre, et leur contrôle, sur une multitude d’acteurs locaux, maires ou associations.

Les surloyers : un pas de plus vers l’exclusion

Les offices HLM ont la possibilité de demander des surloyers aux personnes dépassant les plafonds de ressources pour être admis dans un logement HLM. Et ils ne s’en privent pas, car cela leur fait autant de rentrées supplémentaires.

Sans compter les attributions arbitraires, dont certaines ont défrayé la chronique à Paris, avec notamment la famille Juppé. On atteint ainsi, si l’on additionne tous les appartements loués à des locataires dépassant peu ou prou le plafond, le chiffre de 261 282 logements sur le pays, qui bien sûr font défaut à des personnes disposant de ressources modestes.

Connaissez-vous « Nimby » ?

Or, non seulement les autorités locales disposent de moyens plus faibles, mais elles sont encore plus directement exposées aux pressions anti-logement social. De nombreux maires de villes riches appliquent une politique de résistance aux HLM à laquelle on donne, paraît-il, le nom de « Nimby », abréviation de l’anglais « not in my backyard  » (« pas dans mon arrière-cour  », ce qui est en effet plus élégant qu’« apartheid social »). La loi SRU prévoit bien des amendes censées s’y opposer, mais elles sont suffisamment faibles (152 euros par HLM manquant et par an) pour qu’un tiers des communes concernées préfèrent s’asseoir sur la loi et payer les amendes, quand elles ne trouvent pas de combine pour s’en sortir gratis.

Même dans la faible mesure où elles y sont contraintes, les collectivités locales favorisent de plus en plus les HLM haut de gamme. Les logements sociaux aux loyers les plus chers, qui représentaient 13 % des logements HLM construits en 2000, pèsent 21 % du nouveau parc depuis trois ans. On assiste parallèlement à une baisse relative du nombre de nouveaux logements destinés aux plus pauvres  [1] (qui sont aussi les plus coûteux en subventions publiques, puisque les plus subventionnés).

Des aides à la pierre aux aides à la personne

Non seulement les aides diminuent mais elles changent de nature. Alors que dans les années 1970 dominait « l’aide à la pierre », c’est-à-dire les subventions aux organismes HLM, c’est aujourd’hui « l’aide à la personne » qui l’emporte, sous forme d’argent directement versé aux locataires, voire aux propriétaires, au travers de l’Aide personnalisée au logement (APL). L’« aide à la pierre » est précisément tombée de 0,4 % du PIB au début des années 1980 à 0,2 % en 1990, puis 0,1 % en 2003. Ce qui signifie qu’on est passé d’une aide « à la construction » à une aide « à la solvabilité » : les percepteurs de loyers y trouvent leur compte au détriment de la construction des HLM.

Les dernières mesures annoncées par Villepin, en septembre 2005, promettaient encore des cadeaux aux aspirants propriétaires, moyens et gros : défiscalisation des dons aux enfants et petits-enfants pour acheter un logement, arrangements aux promoteurs leur permettant de construire plus d’appartements au mètre-carré, extension des prêts à taux zéro aux ménages plus aisés. Mais, pour le logement social : rien. Sinon peut-être la mise à disposition de terrains inutilisés appartenant à l’État, tels ceux de la SNCF, soit une goutte d’eau dans un océan de besoins insatisfaits.

Vous avez dit rénovation ?

L’État met aussi l’accent sur la rénovation du parc existant. Déjà en 1988, le Premier ministre d’alors, Rocard évoquait la nécessité de travaux de réhabilitation dans les grands ensembles, donnant priorité à « repeindre les cages d’escalier » et « réparer les ascenseurs ». C’était la mise en place des aides Palulos (Prime à l’amélioration des logements à usage locatif et à occupation sociale). Après des années de politique de réhabilitation, il demeure beaucoup de logements sociaux très dégradés : problèmes d’infiltration d’eau, mauvais état général, ascenseurs en panne, etc. Aux annonces de réhabilitations ont succédé depuis quelques années celles de démolitions. Ces opérations sont présentées sous l’angle de l’objectif, a priori louable, d’une amélioration du cadre de vie.

Qu’en est-il réellement ? L’agence chargée de ces opérations a déjà en projet de nombreuses réhabilitations (130 000 logements) et de démolitions avec reconstruction. Mais les reconstructions annoncées (63 600) ne compensent pas les démolitions (67 900). Les opérations de démolition annoncées se font dans des conditions défavorables aux habitants. Ceux-ci découvrent les démolitions une fois décidées, sont relogés souvent loin de leur quartier, ou avec des loyers plus chers, ou les deux à la fois. De plus, les projets de reconstruction ne sont pas destinés aux anciens habitants : il s’agit de logements moins nombreux, plus coûteux, avec une partie en « accession à la propriété ». Ces opérations de démolition-réhabilitation sont une aubaine pour les maires qui veulent se débarrasser des populations les plus pauvres pour accueillir un public plus aisé. Ainsi, le député-maire de Montereau, Yves Jego, se félicite de pouvoir faire rapidement la démolition de 1 400 logements, pour 1 000 reconstructions seulement, dont une partie en accession à la propriété. « Dans dix ans, il n’y aura plus de ghetto à Surville, le quartier en zone urbaine sensible de Montereau  », déclarait-il au Monde.

Benoît MARCHAND


L’apartheid social reste très abordable

Avec 2,8 %, la ville de Neuilly-sur-Seine détient le record national du plus faible pourcentage de logements sociaux. En théorie, la loi SRU devrait donc infliger à son maire, qui fut Sarkozy pendant des années, une amende annuelle de 2,2 millions d’euros. En théorie car, en pratique, la même loi permet de déduire de cette somme les crédits investis dans la construction sociale. Il suffit ainsi d’une dizaine d’appartements par an pour effacer l’ardoise.

Pour atteindre les fameux 20 % de HLM, il faudrait 6 000 appartements HLM supplémentaires à Neuilly. Les pénalités prévues en assureraient la construction en... 600 ans. Sarkozy est plus social que ça : le rythme actuel de construction permet de prévoir que les 20 % seront atteints dès... 2060 !

La méthode Neuilly n’est qu’une des manières de ne pas trop souffrir de la loi SRU. Il y a aussi celle du maire de Sceaux, qui verse directement l’amende dans les caisses d’un office HLM local dépendant de toute façon du financement de la municipalité : l’argent des pénalités est ainsi recyclé dans le circuit de la commune, et c’est autant d’économisé ! Et les parlementaires ne tarissent pas d’idées pour inventer des amendements permettant de limiter toujours plus les effets de la loi. Ils proposent par exemple d’inclure dans le calcul des 20 % les résidences pour immigrés, les logements étudiants ou les logements à bas loyers type loi 1948. Ça fait déjà tant de pauvres chez soi.

B.M.


[1Notamment ceux dits « PLA-I », qui sont loués de 20 % à 40 % moins cher que les autres HLM, dont le nombre est resté stable, mais dont la proportion sur le total construit est passée de 8,8 % à 5,5 % du total construit entre 2003 et 2005.

Mots-clés :

Imprimer Imprimer cet article