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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 45, mai-juin 2006

USA : des millions de travailleurs immigrés dans la rue

Mis en ligne le 25 avril 2006 Convergences Monde

Au cours des deux derniers mois, des manifestations rassemblant des travailleurs immigrés, leurs familles et ceux qui les soutiennent, se sont multipliées à travers les États-Unis. Le 7 mars, plus de 20 000 manifestaient à Washington D.C. . Trois jours plus tard, 300 000 personnes se retrouvaient dans les rues de Chicago. Plus tard au cours du mois de mars de nouvelles manifestations avaient lieu à Milwaukee (30 000), Denver (50 000) et dans bien d’autres villes. Le samedi 25 mars, à Los Angeles, une foule de plus d’un million de personnes attirait l’attention du pays tout entier. Des travailleurs jusque-là silencieux et souvent invisibles apparaissaient soudain dans les rues. Depuis lors les manifestations se succèdent avec, les 9 et 10 avril, plus d’un million de manifestants dans plus de 120 villes dont au moins 450 000 personnes à Dallas au Texas.

Ces manifestations sont la réponse à de nouvelles propositions de lois contre les immigrés que le gouvernement décrète « illégaux ». En vue des élections cet automne, des politiciens des états frontaliers du Mexique ou ceux ayant une forte population immigrée, jouent la carte anti-immigrés. Cette politique n’est pas nouvelle. La droite propose périodiquement des lois attaquant cette fraction de la classe ouvrière. En 1994 une proposition qui imposait aux enseignants, médecins, travailleurs sociaux et à la police de vérifier la régularité du statut d’immigré de toute personne cherchant à accéder aux services publics d’éducation ou de santé, a été soumise à un référendum en Californie. Cette proposition (proposition 187) a été adoptée, mais beaucoup de villes de Californie ont refusé de la faire appliquer.

Bush, députés et sénateurs, chacun de leur côté

La dernière mesure répressive en date, la loi HR 4437, qui a attisé la colère de tellement de monde, a été adoptée à la Chambre des représentants du Congrès à la fin de l’année dernière. Toute personne vivant ou travaillant aux États-Unis sans autorisation légale est considérée comme criminelle et encourt non seulement l’expulsion du territoire mais aussi des peines d’emprisonnement. Le fait d’apporter de l’aide à un travailleur sans papier, y compris une aide médicale ou humanitaire comme simplement de fournir de l’eau et de la nourriture à quiconque franchit la frontière illégalement, est aussi considéré comme un crime. Ainsi serait criminalisées bien des familles immigrées mais aussi tous ceux qui leur fournissent une aide sous une forme quelconque. La Chambre a également adopté une loi enjoignant le gouvernement de construire une clôture le long de la frontière avec le Mexique, d’engager sur 5 ans 10 000 gardes de plus pour surveiller cette frontière et d’envoyer polices locales et celles des états mener la chasse aux immigrés clandestins.

Cette loi n’a pas été approuvée par le Sénat qui, engagé dans sa propre politique, cherche un compromis entre démocrates et républicains. Suivant les propositions des sénateurs, tous les immigrés résidant aux États-Unis ne seraient pas automatiquement soupçonnés d’être des criminels mais il serait quand même imposé un véritable parcours du combattant aux travailleurs vivant dans le pays avant d’obtenir un statut légal : fournir des papiers administratifs remontant 5 ans en arrière, payer des arriérés d’impôts et des amendes importantes. Le Sénat a également soutenu une proposition ressemblant à celle dont Bush avait parlé, qui créerait un statut de « travailleur invité », c’est-à-dire un statut de travailleur sous-payé et sans droits.

12 millions de sans-papiers

On évalue le nombre d’immigrés résidant aux USA à 40 millions. On estime que 12 millions d’entre eux sont sans-papiers. Beaucoup vivent avec des proches qui ont la citoyenneté et bien des familles sont constituées de parents qui n’ont pas de statut légal et d’enfants qui en ont un par droit de naissance. Plus des deux tiers (68 %) des sans-papiers vivent dans seulement huit états : la Californie (24 %), le Texas (14 %), la Floride (9 %), New York (7 %), l’Arizona (5 %), l’Illinois (4 %), le New Jersey (4 %) et la Caroline du Nord (3 %).

La plupart des immigrés clandestins viennent du Mexique ou d’Amérique centrale et fuient la misère et la répression. Ces immigrés forment une part importante de la main d’oeuvre. De 2000 à 2004, un nouveau travailleur sur quatre était un immigré clandestin venant du Mexique. Le gouvernement évalue à 6,3 millions le nombre de travailleurs sans-papiers vivant actuellement aux USA. Les créations d’emplois concernant principalement les postes à bas salaire dans l’industrie, beaucoup de patrons s’appuient sur ce flux constant de travailleurs sous-payés. Les immigrés clandestins occupent en particulier les emplois les moins payés, considérés comme les pires, les plus difficiles et dégradants, et que peu d’autres travailleurs accepteraient, dans des secteurs spécifiques : bâtiment, hôtellerie, et travail agricole. Par exemple, 27% des couvreurs, 23% des ouvriers agricoles, et 24% des laveurs de vaisselle sont des clandestins.

Avec la crise économique touchant l’industrie, les transports et d’autres emplois mieux payés, beaucoup de travailleurs ressentent les attaques permanentes contre leurs conditions de vie. Devant les menaces de licenciement ou de réduction drastique des salaires, la droite essaie d’orienter la colère des travailleurs américains en direction des immigrés. Elle prétend que l’immigration fait peser des coûts importants sur les services sociaux et menace l’identité nationale américaine ainsi que les emplois des classes moyennes.

L’explosion de la colère

Jusqu’à récemment, la communauté immigrée était restée silencieuse face à ces attaques. Pourquoi cette mobilisation aussi soudaine qu’énorme ? Sans doute parce que même si les différentes lois proposées à l’échelle d’une ville ou d’un État constituaient déjà une attaque énorme, cette attaque était moins soudaine que celle de la loi à l’échelle nationale. Il était difficile sans doute à ceux impliqués peu ou prou dans la défense des droits des immigrés, même quand ils sont aussi parmi les institutions reconnues (l’Église catholique, des stations de radio hispanophones influentes, des groupes communautaires, plusieurs syndicats et groupes du Parti démocrate) de ne pas réagir devant la colère profonde suscitée par les propositions de la droite de criminaliser encore les immigrés. Mais il faut remarquer, bien sûr, que ces principales forces institutionnelles à l’origine des manifestations ont évité autant qu’il se pouvait de dénoncer les limites et les fausses promesses des démocrates, pourtant tout aussi responsables de la situation de la classe ouvrière américaine et de sa fraction immigrée.

Car la question de l’immigration donne lieu à toutes les manœuvres politiciennes, de tous les côtés. Certains démocrates ont salué les manifestations de masse, dont ils espèrent qu’elles leur apporteront des électeurs. D’autres au contraire, à droite, croient qu’ils peuvent jouer sur la peur du chômage et brandir auprès des travailleurs la prétendue menace d’immigrés qui détourneraient l’argent des impôts. Nous verrons peut-être à l’automne les conséquences en terme électoral, mais une chose est claire : la colère est profondément ancrée parmi les travailleurs immigrés et ne disparaîtra pas, quels que soient les résultats.

Aussi la vraie question pour nous est de savoir s’il existe ou s’il naîtra des forces parmi ces communautés immigrées qui parviendront à mobiliser la population au delà des limites imposées par les organisations actuelles ? En fait la coupure entre les immigrés récents et ceux des travailleurs qui sont là depuis plus longtemps n’est souvent pas si profonde. Et ce sont tous les travailleurs des États-Unis, immigrés ou pas, qui subissent des attaques. Alors, faut-il un si grand effort pour imaginer la jonction possible entre les aspirations de tous ces travailleurs dans une lutte commune ?

San Francisco. 14 avril 2006

Ken BUTLER

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