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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 88, juin-juillet-août 2013

Tunisie : Surenchère à la barbe des islamistes !

Mis en ligne le 17 juin 2013 Convergences Monde

Dimanche 19 mai, les affrontements entre la police et les manifestants du mouvement islamiste radical Ansar al-charia (« partisans de la charia ») ont fait des dizaines de blessés et un mort dans la cité Ettadhamen, dans la banlieue de Tunis, alors que Kairouan avait été quadrillée par les forces de l’ordre pour y empêcher la tenue d’un congrès du mouvement. Déjà fin mars, dans une interview au journal Le Monde, le nouveau Premier ministre Ali Laârayedh (membre de Ennahda comme son prédécesseur) annonçait un « changement de ton » à l’égard de ces concurrents plus radicaux que lui.

Le torchon brûle donc depuis quelque temps entre les islamistes dits « modérés » d’Ennahda, qui dirigent le gouvernement, et l’extrême droite religieuse salafiste. Pourtant, c’est bien à l’ombre d’Ennahda que celle-ci a prospéré depuis le renversement de Ben Ali. Les dirigeants d’Ennahda se sont en partie servis d’elle, en particulier en puisant dans ses milices dites de « sauvegarde de la révolution », pour contrôler les quartiers pauvres et intimider les opposants. Mais, en faisant sa surenchère à la barbe d’Ennahda, Ansar al-charia compte visiblement jouer son propre jeu dans la crise que traverse la Tunisie, où la situation économique et sociale ne fait que s’aggraver. Avec, au fond, le même but : encadrer la population, faire taire toute contestation.

On prend les mêmes et on recommence

Depuis plus d’un an, les milices islamistes s’attaquent violemment aux organisations et militants syndicaux et politiques, aux sit-in et aux piquets de grève. L’assassinat par ces milices, le 6 février dernier, de Chokri Belaïd, un dirigeant du Front Populaire (coalition de gauche et d’extrême gauche), a provoqué une immense colère parmi les travailleurs. La journée de grève générale qui a suivi, à l’appel de la confédération syndicale UGTT, a paralysé le pays et les manifestations ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes. Mais la mobilisation n’a pas débouché sur un mouvement capable d’imposer les revendications sociales qui étaient déjà au cœur de la révolution de 2011. Tout au plus le Premier ministre a-t-il changé et le gouvernement compte-t-il quelques ministres « technocrates » supplémentaires. Mais la coalition au pouvoir derrière Ennahda est restée la même et elle poursuit la même politique.

Un terreau pour l’extrême droite

Depuis la chute de Ben Ali, la situation économique s’est encore aggravée. Le chômage s’élève à 17 % en moyenne et à plus de 40 % dans les régions de l’intérieur. Ennahda et ses alliés dits « démocrates », au pouvoir, ont poursuivi une politique économique au seul profit du patronat. La dette est payée rubis sur l’ongle et l’austérité est imposée aux travailleurs contre de nouveaux prêts du FMI pour financer exonérations d’impôts et subventions.

Depuis janvier 2011, le pays est en récession (– 8 % de PIB en deux ans). Avec une inflation de plus de 6,5 % sur un an, les revenus déjà maigres ont été rognés. Ainsi le directeur du Centre de recherches et d’études sociales, Nidhal Ben Cheikh, s’inquiète-t-il de ce que « la classe moyenne (…) est, aujourd’hui, menacée de disparition. »

Entre les jeunes désœuvrés et une petite bourgeoisie appauvrie, l’extrême droite religieuse dispose d’une situation sociale favorable pour prospérer en mettant les difficultés sur le dos des travailleurs, des syndicalistes, des grèves... et d’un gouvernement qui ne serait pas assez ferme. Et la voilà aujourd’hui qui cherche à se présenter comme l’opposition radicale au gouvernement en place.

Islamistes contre islamistes ?

Les groupes salafistes compteraient autour de 50 000 membres en Tunisie, sur 11 millions d’habitants, selon l’ONG International Crisis Group. Ils ont longtemps bénéficié de la complaisance du gouvernement et du mouvement Ennahda dont le chef de file, Rached Ghannouchi, disait reconnaître en eux sa propre jeunesse. Mais eux se sentent les mains libres pour toutes les démagogies, alors que le grand frère, au gouvernement, doit malgré tout rester respectable aux yeux de la bourgeoisie : « Nous n’avons plus une boutique, nous avons un État. (…) La passion de nos frères les jeunes est une passion qui est très bien, mais il faut qu’elle soit maîtrisée par des comités qui ont de la rationalité », a déclaré Ghannouchi.

Certains actes de groupes islamistes radicaux – comme l’attaque en septembre 2012 de l’ambassade américaine de Tunis par des manifestants sortant d’une mosquée, celle, le 13 avril dernier, d’un poste de police ou l’entraînement sur le sol tunisien de groupes armés djihadistes – dépassent nettement ce que Ghannouchi pourrait qualifier de « passion » mal « maîtrisée » et sont en contradiction directe avec la politique du gouvernement Ennahda. Mais, même là, il faut remarquer que la « fermeté » est toute relative. La plupart des assaillants de l’ambassade américaine ont été relâchés aussitôt et la vingtaine qui a été jugée le 28 mai a été condamnée à deux ans de prison... avec sursis ! Une complaisance qui tranche avec l’arrestation et les menaces de prison ferme qui pèsent sur les militantes féministes des Femen, dont le seul crime est d’avoir montré leurs seins nus en guise de protestation.

Alors, guerre réelle entre les deux principales branches du mouvement islamistes, les prétendus « modérés » si bien vus des gouvernements des grandes puissances et des entreprises implantées en Tunisie, et les trublions radicaux ? Ou simple conflit interne entre la « jeunesse » de Ghannouchi et son âge mûr ? Peu importe. Se sont les deux bouts de la même matraque pour tenter de faire rentrer dans le rang cette révolution tunisienne qui a renversé un dictateur et continue à résister à toutes les tentatives d’écraser le mouvement ouvrier.

Le Front populaire renonce à contester la rue aux islamistes radicaux

Le problème est que, face au développement des islamistes radicaux, les partis qui se revendiquent de la classe ouvrière et de « la réalisation des objectifs de la révolution » ne proposent rien d’autre que des perspectives électorales ou des alliances dites « démocratiques » avec des fractions de la bourgeoisie.

Lors de la première conférence nationale du Front populaire, samedi 1er juin, Hamma Hammami, dirigeant du Parti des travailleurs, principale composante du Front, appelait ses militants à « inventer de nouvelles méthodes d’action et à passer de la phase d’opposition et de protestation à celle de proposition d’un projet démocratique national progressiste ». Le Front populaire appelle à une « coalition de Salut national » dont le but est de « gagner la bataille de la Constitution ».

Le Front populaire renonce ainsi à contester la rue aux islamistes radicaux. Comment offrir une perspective crédible aux travailleurs et aux chômeurs, si ce n’est en donnant des perspectives à leurs luttes contre le chômage et la baisse du niveau de vie, et en leur donnant, au travers de ces luttes, les moyens de s’organiser ? Alors qu’il s’agit de battre de vitesse les islamistes qui tentent de capitaliser à leur compte une partie du mécontentement social de la jeunesse des quartiers et des villes les plus pauvres. L’heure n’est pas aux pleurnicheries démocratiques, mais à la lutte de classe.

Aujourd’hui, les grèves, les mobilisations continuent. Difficilement et de manière isolée. À cause de cet émiettement, beaucoup finissent en défaites. Mais pas toutes : les 5 400 salariés de Teleperformance Tunisie ont, après 8 jours de grève de la faim de trois militants, 50 jours d’occupation d’une salle du siège de Tunis et 3 jours de grève suivis à 80 % du 1er au 3 avril, arraché des augmentations de salaire et la réintégration des grévistes licenciés. Et ce sont bien le développement, l’organisation de ces luttes qui pourraient donner la force à la classe ouvrière de changer la situation.

6 juin 2013, Maurice SPIRZ

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