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Ukraine

Trois mois d’une mobilisation tenace

Mis en ligne le 8 mars 2014 Convergences Monde

Comme si on s’était trouvé à nouveau en guerre froide… Les dirigeants et médias occidentaux nous ont montré du doigt un Vladimir Poutine voulant soumettre au joug russe ces ex-républiques soviétiques, dont l’Ukraine indépendante depuis 1991. Et d’affirmer que si la mobilisation sur Maïdan à Kiev avait tourné au bain de sang et fait près de cent morts, la faute en était au président Ianoukovitch, un pantin dont Poutine seul aurait tiré les ficelles. Seul ? Comme si l’Union européenne n’avait pas été largement complaisante à son égard.

Poutine exerce effectivement des pressions économiques coriaces sur l’Ukraine, allant jusqu’à bloquer aux frontières son chocolat et autres carburants, pour que Ianoukovitch se dédise d’engagements antérieurs à l’égard de l’Europe. Ce qu’il a fait en refusant de parapher en novembre dernier ce fichu accord de Vilnius, dit de « participation orientale », qui a mis le feu aux poudres.

Pas de doute que Ianoukovitch, bien que « régulièrement et correctement » élu en 2010 (soulignent à l’occasion les démocrates européens !), même s’il a ensuite truandé la Constitution pour la rendre plus présidentielle, ne s’est pas révélé un champion des droits démocratiques. Bien représentatif de ces nouveaux riches de l’Est ayant leurs avoirs dans les banques occidentales ! Des bourgeois, parvenus en un temps record et qui, comme tous les bourgeois du monde, se sont taillé des fiefs industriels et financiers par des coups tordus mais surtout sur le dos et la sueur des travailleurs.

Poutine est un de ceux-là aussi, héritier des « thérapeutes de choc » qui ont imposé aux classes populaires de Russie les privatisations razzias et le chômage de masse, puis la faillite de 1998 que les plus pauvres seuls ont durement payée (les riches ayant accaparé les fonds du FMI), avant qu’une certaine reprise ne se casse à nouveau le nez sur la crise mondiale de 2008. Et si Poutine en Russie, grâce à l’immensité du pays et surtout à son gaz et à son pétrole, peut satisfaire la bourgeoisie affairiste et distribuer quelques miettes « sociales », l’Ukraine n’a pas les mêmes moyens : c’est la faillite, la corruption entretenue d’en haut et la misère pour au moins 30 % de la population.

Soif d’Europe mais surtout dégoût de Ianoukovitch !

La révolte a d’abord éclaté comme le coup de colère de quelques milliers au mieux (sur 46 millions d’habitants) de « fous d’Europe ». Dont certains sincèrement scandalisés par la volte-face de Ianoukovitch face à l’UE et bourrés d’illusions sur ce que l’Europe pourrait leur apporter (alors que cet accord était tout sauf une proposition d’intégration !). Les partis d’opposition ont sauté sur l’opportunité de marquer des points sur leur adversaire au pouvoir. Et de mobiliser leurs podiums géants et autres matériels de communication modernes sur le Maïdan. Les vedettes politiques de l’opposition s’y sont succédées : du boxeur Klitschko, chouchou d’Angela Merkel, au représentant de l’affairiste Timochenko encore emprisonnée à l’époque, en passant par les chefs de Svoboda, parti d’extrême droite nostalgique du nazisme. Certes une multitude d’associations étaient là aussi. Mais la mobilisation initiale sur la place de l’Indépendance de Kiev n’a pas brillé par son avant-gardisme, même si le monde politique européen l’a vivement applaudie, puisqu’elle disait s’opposer à la dictature de Moscou !

En fait, c’est en riposte aux tentatives du régime de réprimer brutalement que la mobilisation a enflé et quelque peu changé de nature. Un premier cap a été franchi au début décembre, par un sursaut de mobilisation en réaction à l’envoi des berkouts (genre de CRS) pour nettoyer la place. Puis un nouveau palier a été atteint à la mi-janvier par une nouvelle mobilisation en réaction à la promulgation de lois répressives (rendant passibles de lourdes peines de prison les occupants de lieux publics). À chaque fois la mobilisation a grossi, pour passer de milliers à des dizaines de milliers lors des temps forts, sur ce Maïdan. Sans omettre les mobilisations dans le reste du pays, surtout à l’ouest dans cette ville de Lviv, foyer nationaliste ukrainophone où l’extrême droite fait près de 40 % des voix.

À chaque tentative répressive du pouvoir, la mobilisation s’est renforcée et durcie par l’occupation de bâtiments publics. À partir de la fin janvier, de part et d’autre on a littéralement fourbi ses armes… Berkouts et autres mercenaires du régime d’un côté, groupes d’auto-défense sur des barricades quasi « militarisées » de l’autre, où il est évident que l’extrême droite a exercé ses talents (Svoboda mais aussi quelques néo-nazis plus forcenés de Pravyi Sektor – Ligne droite), même si les dirigeants occidentaux restent bien muets sur ces forces qu’ils ont encouragées. Il n’en reste pas moins que les coups du régime ont transformé une mobilisation limitée, brandissant l’étendard une intégration à l’Europe, en un mouvement plus vaste et profond, gagnant d’autres régions du pays, et dressé cette fois contre la dictature et la corruption du régime.

Tant de morts… pour un compromis qui ramènerait à 2004 ?

La suite, ce sont ces journées de guerre ouverte et sanglante entre les troupes du régime et les occupants de Maïdan, avec pour « conclusion » (dérisoire et vite dépassée) ce premier « accord en six points » passé entre Ianoukovitch et l’opposition unanime, sous la médiation de dirigeants européens et en présence d’un Monsieur Droits de l’homme de Russie ! Il prévoyait surtout une élection présidentielle anticipée à une date non encore fixée, la formation d’un gouvernement de coalition d’ici quelques jours et des modifications juridiques permettant la libération de Ioulia Timochenko. Même la démission de Ianoukovitch n’était pas au programme (elle n’est venue qu’après) ! Les têtes de l’opposition, l’UE et la Russie, se liguaient donc toutes ensemble… contre « la rue », qu’elles avaient en commun de détester et de craindre car toute mobilisation, quelle qu’elle soit, peut effectivement devenir contagieuse et prendre des dimensions insoupçonnées. Mais les manifestants de Maïdan n’ont pas bougé. Ils voulaient le départ de Ianoukovitch aux mains tachées du sang de leurs camarades, et ils l’ont eu ! N’en déplaise à Klitschko comme à Svoboda qui se sont fait conspuer sur le Maïdan à la suite de l’annonce de cet accord.

Les dirigeants de l’Union européenne ont voulu alors mettre un terme à cette mobilisation qu’ils avaient pourtant encouragée par leurs diatribes anti-russes alors qu’ils n’avaient pourtant rien à offrir à la population d’Ukraine. La baisse du prix de l’énergie ? Des crédits de milliards de dollars ? C’est Poutine qui les a proposés, certes marchandés comme on le fait partout dans le monde capitaliste… Mais l’Europe forte et généreuse ne pouvait-elle enchérir et mettre davantage sur la table ? Ainsi en va-t-il dans ces eaux glacées du calcul égoïste dont parlait Marx. Certains dirigeants de l’UE prétendant qu’on ne pourrait donner d’argent à des régimes dont on ne sait pas ce qu’ils en feront ! Comme s’ils ne passaient pas leur temps à ça, quand ça les arrange ! L’UE va peut-être arroser demain Klitschko ou un autre, qui imposera en contrepartie des plans d’austérité aux travailleurs d’Ukraine. Ou essaiera, car même cette partie-là est loin d’être gagnée !

24 février 2014, Michelle VERDIER

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