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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 68, mars-avril 2010

Travailleurs sans-papiers : plus de six mois de grève

Mis en ligne le 11 avril 2010 Convergences Politique

Le gouvernement, le jeudi 1er avril dernier, a manifestement tenu à affirmer sa fermeté face la grève des travailleurs sans-papiers pour leur régularisation, qui entre dans son septième mois. D’un côté il faisait donner sa police contre le piquet des grévistes du Bâtiment, rue du Regard à Paris – tenu depuis des mois et auquel des personnalités et cinéastes ont apporté leur soutien. De l’autre, il faisait donner Éric Besson, ministre de l’Immigration qui, dans une conférence de presse, annonçait un nouveau durcissement des lois sur l’immigration et précisait qu’il n’avait pas l’intention d’assouplir les critères de régularisation des travailleurs sans-papiers. À noter que la détermination des grévistes ce même jour a permis un contact avec le ministère du Travail… à suivre.

La lutte est donc longue et difficile. Mais elle continue et, si des travailleurs ont abandonné au fil des mois, d’autres l’ont rejointe et pris leur carte de gréviste. Ce mouvement rassemble toujours plusieurs milliers de travailleurs d’origine malienne, sénégalaise, maghrébine, chinoise.

Obtenir des papiers est vital pour eux. C’est ne plus avoir peur de l’expulsion et des contrôles. C’est avoir la possibilité de retourner voir leur famille au pays (qu’ils n’ont pas vue depuis leur entrée en France). C’est avoir accès au système social au même titre que les autres travailleurs, pour lequel certains cotisent depuis des années sans avoir droit à aucune de ses prestations (retraite, maladie, chômage). C’est surtout, pour des travailleurs en situation de grande précarité, ne plus être à la merci du patronat, se syndiquer, défendre ou acquérir leurs droits. Les travailleurs sans-papiers en lutte se battent pour eux-mêmes, mais également pour tous ceux qui sont dans leur situation (et quasiment tous les sans-papiers sont des travailleurs), en exigeant une circulaire gouvernementale permettant la régularisation sur des critères simplifiés et valables pour tous (sans exclusive de nationalité, de situation ou de type d’emplois).

Ces trois derniers mois ont été consacrés à un forcing de tous les jours, en direction de centaines de patrons, petits ou grands, de la restauration, du Bâtiment et de l’intérim, pour qu’ils reconnaissent les avoir fait travailler (souvent des années) et leur délivrent les « cerfas » (formulaires de promesse d’embauche d’étrangers) nécessaires ultérieurement pour leur régularisation. Des patrons sont arrogants, réticents, prétendument absents ou disent ne pas avoir de travail à fournir… Mais la pression collective et têtue de 10, 20 ou 30 travailleurs qui font irruption pour demander leurs cerfas, ouvre des portes.

La collecte des promesses d’embauche est destinée à confirmer, quoi que le gouvernement laisse dire, que les sans-papiers sont bien connus des patrons qui les exploitent et ont besoin d’eux. Mais entre gouvernement et patronat, c’est à qui se repassera la patate chaude de cette situation tangible mais… illégale ! Intolérable pourtant, que des dizaines de milliers de salariés qui travaillent depuis des années, avec des fiches de paie et des impôts pour la plupart, avec d’autres documents quand ils sont « au noir », soient maintenus dans cette situation de fantômes.

Briser l’isolement : la tâche de toutes les organisations ouvrières

Du côté du patronat, il y a un malaise et quelques signes de recul. Bien des entreprises sont privées d’une main-d’œuvre qui n’est pas si aisément remplaçable, et le conflit souligne la situation de « hors-la-loi » de centaines, si ce n’est de milliers, de patrons. Cela conduit certains à prendre position en faveur d’une régularisation. En février dernier, des associations et syndicats patronaux ont adopté avec des syndicats (dont la CGT) une « approche commune » qui reconnaît la réalité du recours à des travailleurs dépourvus de titres de séjour, dans le BTP, le Gardiennage, le Nettoyage, la Restauration ou l’intérim, et la nécessité de leur régularisation selon certains critères clairement établis. L’idée serait de peser ainsi pour obtenir une réunion entre syndicats, patronat et ministère du Travail. Mais quand ? Comment débloquer la situation ? Les onze organisations qui sont à l’initiative de ce conflit, et en particulier les cinq confédérations syndicales, ont-elles mis tout leur poids dans la balance ? Pourquoi Bernard Thibault, François Chérèque et bien d’autres sommités du milieu syndical et politique, ne pourraient-ils pas prendre position plus fermement, ne serait-ce que par une conférence de presse, demandent certains grévistes ? C’est un fait que ce mouvement, comme beaucoup d’autres aujourd’hui malgré sa vigueur, souffre d’un grand isolement.

Cela dit, si la grève tient bon après six mois, c’est avant tout grâce à la combativité de ces travailleurs qui pour certains ont énormément investi dans la grève. C’est également grâce à la solidarité financière des familles ou des proches dans les foyers. Les collectes réalisées auprès de la population (sur les lieux de travail, dans la rue, dans les universités) sont une importante source de financement et prouvent la solidarité qui existe envers ce combat. Les « 11 », dont en première ligne la CGT, fournissent également leur aide. Pour les grévistes, il ne s’agit pas de compenser les salaires perdus, mais d’avoir les moyens de faire vivre leur mouvement, en particulier d’assumer de gros frais de déplacement pour leurs actions collectives.

Cette grève est inédite. C’est celle de milliers de travailleurs parmi les plus durement exploités, dont des centaines de délégués [1] sont devenus des militants capables de tenir tête aux patrons, d’argumenter, de ne pas relâcher la pression et, à ce jour, d’arracher des cerfas ! Tout cela demande du courage, de l’organisation, de la coordination. Certes, ce n’est pas gagné. Le gouvernement semble camper sur ses positions. Mais les grévistes sur leur détermination : c’est un conflit du travail et c’est au ministère du Travail d’y apporter une réponse positive. C’est aussi au mouvement ouvrier tout entier de peser de tout son poids pour le succès des travailleurs sans-papiers, faire de ce succès un succès de toute la classe ouvrière et se saisir de cette occasion pour avancer dans la convergence des luttes. Le plus tôt serait le mieux.

2 avril 2010

Barbara BERARD


État des lieux dressé par les grévistes eux-mêmes

Pour préparer les visites aux patrons, les grévistes de l’intérim, organisés en comité, ont établi un état des lieux de leur situation, d’autant plus nécessaire que la plupart ont travaillé pour plusieurs entreprises de l’intérim ces dernières années. En recensant déjà plus de 23 000 fiches de paie, qui représentent des millions d’heures de travail de presque un millier de grévistes, ils ont pu établir une liste de plus de 200 entreprises de l’intérim qui les ont fait travailler. Certaines, les plus grosses, sont connues de tous et ont employé des dizaines de grévistes chacune. D’autres sont moins célèbres mais font tout autant appel à des sans-papiers. Et puis il y a une multitude de petites entreprises de l’intérim, ne disposant que d’une ou d’une poignée d’agences, mais où un groupe de grévistes, ou parfois un gréviste isolé, a travaillé. En région parisienne, et, tout particulièrement, à Paris dans le dixième arrondissement, dont les agences d’intérim ont fait travailler plus de 400 grévistes ! Sur un seul boulevard de cet arrondissement, une trentaine d’agences ont fait travailler plus de 150 grévistes.

Parmi les secteurs utilisant des travailleurs sans-papiers intérimaires, la palme revient au BTP, avec une mention spéciale pour Bouygues, mais le Nettoyage, la Restauration et bien d’autres secteurs comme l’industrie métallurgique, l’Imprimerie, sont en bonne position ! Aide-plombier, terrassier, manoeuvre, poseur de voie ferrée, plongeur, ripeur, coffreur, boiseur, commis de salle, éboueur, démolisseur, cariste, sont quelques-uns des nombreux métiers occupés par les sans-papiers.

Sans oublier que, organisés avec les grévistes de l’intérim, il y a des grévistes isolés, embauchés dans des centaines d’autres entreprises souvent petites, du Nettoyage, du Bâtiment, du Jardinage, du Commerce, du Transport, de la Boulangerie, etc.

Un état des lieux qui ne laisse aucun doute : le travail des sans-papiers est utilisé dans toute l’économie, et il a largement enrichi les patrons !

M.C.


[1Que les « onze » avec à leur tête le « coordonnateur » de la lutte Raymond Chauveau, réunissent tous les 15 jours ou trois semaines dans les locaux de la confédération CGT à Montreuil, mais qui pour beaucoup se réunissent sur la base de leur secteur, en particulier quotidiennement dans l’intérim.

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