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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 71, octobre 2010

Travailleurs sans-papiers en lutte : « Cent papiers… mais toujours pas le bon » ?

Mis en ligne le 23 octobre 2010 Convergences Monde

Le 18 juin, après huit mois de grève, les travailleurs sans-papiers levaient leur occupation devant l’Opéra Bastille. Bataille gagnée ? Beaucoup l’ont espéré. Et ont déposé déjà quelque 2 000 dossiers de régularisation, dont certains depuis début août… Mais silence radio des préfectures ! Face auquel les grévistes ont entamé, depuis le jeudi 7 octobre, l’occupation d’un nouveau lieu, symbolique : la Cité Nationale de l’histoire de l’Immigration à Paris.

Une longue lutte

La lutte de 6 800 travailleurs, soutenus par onze organisations (cinq syndicats et six associations), a commencé très exactement il y a un an, le 12 octobre 2010. Des mois de combat tenace, marqués par des manifestations, des occupations d’entreprises (du Bâtiment, du Nettoyage ou de l’Intérim), ont permis d’obtenir des patrons des promesses d’embauche, les « cerfa » qui sont nécessaires pour obtenir une régularisation dite par le travail.

Le 24 mai, en fin de la manifestation contre la réforme des retraites, c’était l’occupation des marches et du parvis de l’Opéra Bastille. Pas facile, car 22 jours dehors, sur un trottoir. Le gouvernement acceptait alors de répondre à une bonne partie des revendications de la grève par un texte, un « addendum » à une circulaire précédente d’Éric Besson, précisant les critères de régularisation, avec de nets assouplissements. Il laissait entrevoir une régularisation rapide pour les grévistes. Le 24 juin, le ministère de l’Immigration rédigeait une lettre qui les autorisait à reprendre le travail, séjourner sans difficultés, déposer leur dossier et, à en croire l’addendum, obtenir rapidement après ce dépôt, une première autorisation provisoire de séjour de trois mois, le temps de l’examen du dossier par les services de l’État.

Mais paroles, paroles…

Rien n’est simple…

Il a d’abord fallu du temps et de l’énergie aux grévistes pour continuer à trouver les Cerfa nécessaires aux dossiers. Les visites collectives aux patrons se sont donc poursuivies après l’occupation de la Bastille (les dernières occupations d’entreprises ou de sites ont été levées pendant l’été). Est venue alors la phase de constitution des dossiers – que les grévistes et leurs délégués ont assumée, par leurs propres forces et compétences acquises lors de mois de lutte, et avec l’aide des « soutiens », militants syndicaux ou d’association, qui les épaulent. Donc efforts acharnés pour constituer des dossiers épais, exigeant une ribambelle de pièces, à fournir en plusieurs exemplaires de surcroît, exigeant de faire des photocopies, des classements, sans compter les vérifications pointilleuses pour s’assurer que le dossier ne serait pas rejeté.

Mais tout se complique !

Surtout, après dépôt de 1 800 dossiers, et alors que le gouvernement avait lui-même fixé l’échéance du 30 septembre, aucune réponse à la mi-octobre ! Blocage des préfectures et des directions départementales du travail : l’autorisation provisoire qui devait immédiatement accompagner le dépôt de dossier n’a pas été délivrée pour l’écrasante majorité des grévistes.

Oh ! pardon… 58 régularisations. Moins de 3 % ! Moins d’un gréviste sur cent ! Et aux patrons qui s’apprêtaient à refaire travailler les grévistes qui leur présentaient la lettre du ministère, des préfectures répondaient que cette bafouille n’avait aucune valeur !

La patience ayant ses limites, c’est l’inquiétude puis la colère qui se sont exprimées.

Jusqu’à la nouvelle occupation

Il a fallu reprendre le chemin de la lutte. D’abord par des rassemblements lors de dépôts collectifs de dossiers aux abords des préfectures. Par la participation aux manifestations syndicales sur les retraites, signe que les sans-papiers en grève étaient toujours là. Un concert Rock sans papiers a réuni le 18 septembre plus de 10 000 personnes à Bercy, où des dizaines d’artistes et un très large public sont venus marquer leur chaude solidarité. Et enfin, le jeudi 7 octobre, l’irruption de centaines de grévistes dans la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, porte Dorée à Paris (où ils sont encore et auxquels on peut rendre visite !).

Ce lieu est un musée consacré à l’histoire de l’immigration en France, ouvert, il y a trois ans seulement, dans un bâtiment construit à l’occasion de l’Exposition coloniale universelle de 1931, devenu un temps « musée des colonies »… Le lieu est bien choisi ! Et, désormais, l’histoire ne s’y expose pas seulement, elle s’y vit et s’y fait. Ce qui réjouit plutôt le personnel et les responsables de ce bâtiment solennel mais, pour la circonstance, accueillant. Les grévistes (comme les visiteurs) ont leurs entrées gratuites dans le musée (qui les passionne, avec « audio-guides » !) comme dans l’aquarium tropical. La détermination est de mise, et l’attente est forte.

Face à quoi le gouvernement a donné signe de vie

Plusieurs rencontres et négociations avec les syndicats qui soutiennent le mouvement sont en passe d’aboutir. Le gouvernement s’est engagé (mais doit le formuler par écrit dans les jours qui viennent), à régulariser effectivement les 6 804 travailleurs sans-papiers grévistes, par une procédure consistant à donner à ceux qui ont déjà déposé un dossier, comme à ceux qui ne l’ont pas encore fait (par manque de quelques pièces) mais doivent rapidement le faire, un récépissé avec autorisation de séjour et de travail de trois mois, renouvelable. Délai utilisable pour les anciens grévistes qui ne les auraient pas déjà pour rassembler les fiches de paie nécessaires : à savoir 12 fiches de paie sur 18 ou 24 mois selon les cas. Bref le gouvernement demanderait aux préfectures de donner les autorisations de travail permettant à tous les grévistes d’entrer dans les meilleurs délais dans le cadre des critères de l’ « addendum » cité plus haut.

Le gouvernement satisferait ainsi les grévistes, tout en ménageant son administration tatillonne. Il admettrait – enfin ! – que des travailleurs qui « vivent ici et bossent ici », puissent également et, surtout, légalement « rester ici » ! Rappelons que l’immense majorité de ces camarades, venus pour beaucoup du Mali ou du Sénégal, travaillent ici dans des chantiers du Bâtiment, du Nettoyage ou de la Restauration depuis près d’une dizaine d’années ou plus.

Mais, tant que la nouvelle promesse n’est pas formulée noir sur blanc, tant que le gouvernement ne s’engage pas par écrit à donner aux préfectures un signal explicite et général, les travailleurs sans-papiers en lutte continuent à occuper la Cité de l’Immigration… et à y écrire une nouvelle page de l’histoire.

15 octobre 2010

Michel CHARVET

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