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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 131, juillet-août 2020

Travailleurs polonais dans les usines PSA : Proletariusze wszystkich krajów, łączcie się !

(Travailleurs de tous les pays, unissez-vous !)

Mis en ligne le 22 juin 2020 Convergences Entreprises

La direction de PSA s’est partiellement et temporairement ravisée sur son intention de faire venir sur son site d’Hordain (ex-Sevelnord), dans le nord de la France, des travailleurs d’autres pays d’Europe, notamment de l’usine polonaise de sa filiale Opel. Au départ, 531 salariés devaient ainsi venir sur les sites français de PSA, majoritairement des Polonais, mais aussi 120 Espagnols, des Portugais et des Allemands. Un appel téléphonique du gouvernement aurait suffi à «  convaincre  » Carlos Tavares de recourir, à PSA Hordain, aux intérimaires, toujours en chômage partiel. Pourtant, la politique de PSA révélée par cette affaire est loin d’être mise sous le tapis, annonçant des attaques à venir contre l’ensemble des travailleurs, détachés ou pas.

La volte-face de PSA est, de toute façon, très relative : une soixantaine de travailleurs polonais sont déjà en poste depuis début juin à l’usine PSA de Metz-Borny, et environ 130 autres sont attendus à celle d’Hordain, malgré la tempête médiatique.

Ce n’est donc que partie remise pour PSA qui veut seulement étaler un peu plus dans le temps les arrivées et ne renonce pas à un projet global de déplacement de ses salariés dans toute l’Europe. Ce projet est le corollaire d’une démarche visant à se débarrasser d’un maximum d’intérimaires (8 000 dans le groupe en France avant le confinement, quelques centaines aujourd’hui). Le « monde d’après » de PSA est en fait celui du Medef, dont le président Geoffroy Roux de Bézieux déclarait hypocritement sur RTL : « Si chacun se replie sur son égoïsme national, on n’y arrivera pas. » En matière d’égoïsme, c’est vrai que le patronat en connaît un rayon !

Une « solidarité industrielle »… contre les travailleurs

Comble de l’hypocrisie, c’est au nom d’une prétendue « solidarité industrielle » que les dirigeants de PSA avaient décidé de faire se déplacer environ 350 salariés de son site d’Opel de Gliwice, dans le sud de la Pologne. En agissant ainsi, PSA laissait sur le carreau les intérimaires du site de Hordain : 240 en contrat avec PSA sont encore en chômage partiel [1] et 300 ont vu leur contrat se terminer définitivement pendant la période de confinement. Une bien étrange conception de la « solidarité » que celle qui consiste à mettre en concurrence, sous le prétexte fallacieux de la différence de statut, des salariés qui font le même travail…

En tentant de monter une équipe de nuit à PSA-Hordain avec en majorité des salariés étrangers, la direction a voulu marquer les esprits, faire passer le message à l’ensemble du groupe : maintenant, elle n’allait plus se contenter des déplacements d’un site à l’autre d’un même pays, mais carrément organiser des transferts de centaines d’ouvriers d’un pays à l’autre. Aujourd’hui, c’est aux ouvriers polonais, espagnols, demain aux ouvriers français ou italiens, qu’on peut et pourra demander (avec forte insistance) d’aller travailler dans un autre pays. La nouvelle alliance entre Fiat et PSA (possesseur d’Opel et du constructeur anglais Vauxhall) et les économies d’échelle voulues permettront sûrement de telles opportunités pour la direction.

Économiquement, pour PSA, il est en effet plus intéressant de faire parcourir 1 200 kilomètres à des travailleurs polonais que de réembaucher des intérimaires « locaux ». Les salariés polonais en France toucheraient le minimum de la convention de la métallurgie, autour de 1 500 euros, au lieu de 1 800 ou 2 000 euros pour un ouvrier « local » de nuit, et PSA n’aurait pas à débourser non plus les frais importants qu’elle donne habituellement aux agences d’intérim.

Pour se défendre, l’entreprise évoque aussi le volontariat des Polonais pour venir en France. Mais ce « volontariat » est à relativiser : en Pologne, lorsqu’ils travaillent, les salariés de PSA touchent entre 500 et 700 euros et que, actuellement, ils sont très majoritairement payés au lance-pierre du chômage polonais du fait de l’arrêt du site d’Opel-Gliwice. Venir en France, pour certains, c’est juste une question de survie, sous la pression du chômage, voire d’un possible plan de licenciement.

Le coup de com’ du gouvernement aux relents nationalistes

Ces derniers jours, on a pu entendre Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, se vanter d’avoir convaincu le patron du groupe PSA de renoncer à cette mesure. Pourtant, la réalité est bien différente et les motivations du gouvernement relèvent surtout de la démagogie la plus crasse. Se plaçant dans les pas du ministre de l’Économie, Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, prétend agir pour « protéger l’emploi en France ». Cela montre bien à quel point le gouvernement n’a que faire des salariés polonais, également touchés par la crise et dont le site de production est quasiment à l’arrêt. Sous de faux airs de protection des salariés français, il fait réciter à ses ministres un discours nationaliste que le Rassemblement national ne renierait pas [2].

Quant à forcer PSA à puiser dans les milliards accumulés ces dernières années [3] pour payer intégralement le chômage de tout salarié du groupe, qu’il soit polonais ou français, intérimaire ou permanent, il n’en est pas question pour le gouvernement.

Le rêve de tout capitaliste : une main-d’œuvre corvéable à merci

Au-delà des discours aux relents xénophobes du gouvernement, ce que révèle cette affaire, c’est surtout l’objectif qu’ont les capitalistes de faire passer leur programme politique et économique pour cette période de crise : une flexibilité accrue, des travailleurs entièrement soumis à la volonté du patron. Quand PSA faisait appel à 150 salariés en CDI du site de Poissy pour remplacer le même nombre d’intérimaires du site de Rennes [4], l’entreprise appliquait déjà cette politique : mettre en concurrence ses propres salariés entre eux, et les rendre encore plus flexibles en leur demandant de parcourir des centaines de kilomètres pour espérer travailler. Ce qui valait à l’échelle du pays s’applique aujourd’hui à l’échelle européenne dans la tête des dirigeants du groupe.

PSA et le gouvernement affichent peut-être des postures différentes, mais ils agissent main dans la main. Dans le fond, leur politique est la même : les uns en mettant économiquement en concurrence les salariés entre eux, les autres, en agitant le spectre xénophobe de l’étranger qui viendrait piquer les emplois des bons Français.

Renouer avec la solidarité internationale de lutte

Pour éviter toutes ces divisons, il faudra que les ouvriers de tous ces pays se donnent pour but un salaire égal et l’embauche des intérimaires. Il faudra aussi se battre pour obtenir le partage du travail entre les différents sites du groupe – alors que certaines usines européennes sont presque à l’arrêt ou tournent à moitié, d’autres travaillent quasiment tous les samedis, les jours fériés et épuisent leurs salariés avec des sous-effectifs chroniques – et, plus généralement, entre tous les travailleurs.

À PSA-Hordain, dans une région où le score du Rassemblement national aux élections est important, l’émotion a été vive avec un spectre large de réactions, allant des allusions xénophobes à la simple colère face l’absurdité de la situation. Nombre de travailleurs en CDI ont leurs enfants intérimaires de l’usine au chômage et leur première réaction est de se demander pourquoi PSA ne les reprend pas, alors qu’ils travaillent sur ces postes depuis des mois, voire des années.

Face à cela, tout un travail militant de contre-argumentation reste à faire. Sur le fait que les ouvriers polonais ne sont pas nos ennemis, ils ne sont pas responsables de la crise, ni du transfert de personnel, ou du chômage des intérimaires. Au contraire, les ouvriers français ont tout intérêt à s’allier avec eux ici, comme de les aider à revendiquer de meilleurs salaires dans leurs pays. C’est le sens du tract intitulé « Camarades d’Opel, vous n’êtes pas nos ennemis ! » et distribué cette semaine par la CGT de l’usine PSA de Metz-Borny. Il a été diffusé en polonais aux salariés de Pologne, avec traduction en français pour les autres ouvriers du site [5]. Il a été accueilli avec le sourire, des ouvriers français essayant d’échanger avec les travailleurs polonais à l’aide d’applications de traduction. De son côté, la direction est furieuse de ces tentatives de prise de contact organisées ou spontanées alors qu’elle s’efforce de maintenir une distance entre les salariés des différents pays dans sa stratégie de transfert des travailleurs d’un site à l’autre [6].

À déplacer les ouvriers, la direction court le risque de mutualiser les revendications, de solidariser les ouvriers à l’échelle européenne. Notons qu’à Metz-Borny les travailleurs polonais ont plutôt été bien accueillis : les charges de travail étant tellement colossales, leur arrivée a été vécue comme une bouffée d’oxygène par les ouvriers locaux en sous-effectif. Paradoxalement, au lieu de créer de la division, PSA est peut-être en train de renforcer les conditions d’une solidarité ouvrière européenne.

18 juin 2020, Hersh Ray et Simon Coste


[1Prisonniers de leur contrat, ils sont en chômage partiel, ne peuvent aller travailler ailleurs, et doivent se contenter de l’allocation chômage.

[2Sur Twitter, Marine Le Pen a volontiers soutenu la démarche du gouvernement, reprochant au patron du Medef de ne pas savoir « défendre l’emploi des Français ».

[3Le 26 février dernier, PSA annonçait un bénéfice net de 3,2 milliards d’euros pour l’année 2019, à ajouter au 2,83 milliards de 2018. Des montants à mettre en perspective avec les 8 milliards du plan de soutien du gouvernement, destinés à l’ensemble de la filière. https://www.capital.fr/entreprises-...

[4Les politiciens parlent des Polonais qui prennent le travail des Français, mais ne parlent pas des salariés de Poissy qui prennent le travail des Rennais. Pour un intérimaire de Rennes au chômage, d’ailleurs, quelle est la différence entre le fait que son travail soit pris par un CDI de Poissy ou par un CDI polonais ? Dans les deux cas, il se retrouve à survivre avec un chômage de moins de 1 000 euros.

Le registre de la démagogie nationaliste pro-patronale n’ayant malheureusement pas de frontières, le syndicat polonais Solidarnosc a, de son côté, fustigé avec une mauvaise foi totale le syndicat CGT-PSA pour avoir traité les ouvriers polonais de « nomades » et l’a accusé d’encourager la précarité : les intérimaires contre les CDI d’Opel. En réalité, la CGT-PSA, par la bouche du son délégué central Jean-Pierre Mercier (militant de Lutte ouvrière), ne faisait que dire son opposition au transfert forcé des salariés quelle que soit leur nationalité et rappelait la revendication de l’embauche en CDI de tous les intérimaires.

[5Extrait : « Camarades d’Opel Gliwice, vous êtes sous-payés ! PSA profite de vous ! […] Nous devons nous unir pour obtenir les meilleurs salaires et les meilleurs droits sociaux. Travailleurs d’Opel et de PSA de Pologne, de France, d’Espagne, d’Allemagne ou d’Angleterre, nous avons les mêmes intérêts à défendre notre droit à la vie. Quelles que soient nos nationalités nous avons en commun d’être des travailleurs et de subir la même exploitation. Discutons entre nous, tendons-nous la main, unissons-nous !  »

[6Le site de Metz-Borny accueille aussi de nombreux ouvriers des usines de Douvrin, Saint Ouen et surtout de Mulhouse. En matière de transfert, le groupe PSA a déjà un savoir faire bien rôdé.

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