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Sur un piquet de Transdev, vendredi 15 octobre 2021

16 octobre 2021 Article Entreprises

Semaine 6, J5 : « On ne lâchera rien ! »

This is the sound of the police

Ça discute politique ce matin autour de la machine à café. Un gréviste interpelle un militant du NPA : « Poutou il a déconné là non ? Quand il a dit que la police tue. – Non, la police tue, c’est un fait ! – À mon avis il y a quelques brebis galeuses comme partout. Mais de là à dire que la police en général tue, c’est un peu fort. – Il faut quand même le dire parce que c’est vrai. Et c’est la police qui y va un peu fort, surtout dans les quartiers populaires. – Mais on pourrait dire ‘‘quelques policiers’’ plutôt non ? » Un de ses collègues prend le relai : « En fait ce qui me gêne c’est que la police, on sait qu’elle agit comme une corporation. Ils se couvrent entre eux alors qu’ils sont assermentés. Ils sont où les flics qui disent qu’il y a des flics qui tuent [1] ? Ils se couvrent entre eux. C’est pour ça que tu peux dire ‘‘la’’ police tue. »

Ces prétendus « gardiens de la paix » sont en réalité les gardiens d’un ordre social injuste fondé sur l’exploitation. Loin de l’imaginaire présent dès la cour de récré, la police ne chasse pas les « voleurs » de la même manière et partout. Elle a au contraire comme rôle social de protéger les capitalistes, les truands en col blanc comme les patrons de Transdev. Et les grévistes sont bien placés pour le savoir. Valérie Pécresse a en effet demandé à la police d’intervenir pour lever les prétendus blocages des dépôts. C’est une stratégie de sa part pour faire croire que la grève est le fait d’une minorité radicalisée qui empêche les autres de travailler. Mais s’il n’y a pas de bus à Vaux-le-Pénil, c’est que la grève est à 100 % ! La stratégie de la présidente de région a donc échoué, mais nul doute que la police n’aurait pas hésité à chasser les grévistes de leur piquet, comme elle l’a déjà souvent fait [2].

La discussion repart ensuite sur la grève. « Moubarak [le RH de Transdev qui s’est déplacé de dépôt en dépôt pour les négociations] aussi il déconne ! T’as vu les roulements qu’il a fait sortir hier ! – Ça va durer combien de temps le foutage de gueule encore ? Ils vont te dire ci, ça, que ce n’est pas possible, qu’ils ne savent pas faire. Je me demande bien combien ils prennent eux dans l’affaire ! – Alors que nous ils nous ont déplumé avec les primes qui ont sauté, par exemple les RU [3]. Il ne nous reste que la peau et les os ! – Dans ces conditions, bientôt plus personne ne voudra faire ce métier. » Dans beaucoup de régions de France, les patrons du transport affirment déjà avoir du mal à embaucher. On les plaindrait presque, les « pauvres », si leur politique de bas salaires et de conditions de travail horribles n’était pas directement responsable du chômage et de la précarité !

Une bande de grévistes et deux banderoles

Une quarantaine de grévistes se retrouve à 9 heures à la cité administrative de Melun, où les négociations ont lieu, et où par conséquent le piquet a été déplacé. Seuls les délégués peuvent rentrer dans les locaux. Les grévistes, qui ont pris leurs banderoles, se demandent un temps s’il ne faudrait pas tenter un défilé sauvage en attendant. Mais un gréviste se rend compte, en regardant à travers des vitres sans tain fatiguées, que la réunion est en fait au rez-de-chaussée ! Les banderoles sont tendues face aux vitres pour donner de la force aux délégués, et quelques « On ne lâchera rien » sont envoyés pour faire comprendre à la direction l’état d’esprit général.

Comme les négociations durent, et que les grévistes sont à l’ombre, ils décident de déplacer les banderoles à côté de la route, au soleil. À peine tendues, un premier klaxon de soutien retentit, puis un deuxième. « Putain les mecs, à chaque fois qu’ils klaxonnent on gueule comme des cons ! » plaisante un gréviste. Un troisième klaxon déclenche de nouveaux cris de joie, avant qu’un gréviste ne fasse remarquer : « C’est un gars de chez nous ! » dans l’hilarité générale. « Pour des gars qui sont pas payés on est heureux ! – 45 heures par semaine sur le piquet, j’espère que ça ne donnera pas des idées aux patrons ! » L’ambiance est bien réchauffée, derrière ces belles banderoles : « Ça fait masse, ça fait bien ! – Quand on aura gagné il faut qu’on fasse une big fête ! »

À peine dix minutes après leur installation, la police débarque. Les grévistes, bons enfants : « La police, avec nous ! » Mais eux ne s’approchent pas. La direction est plus rapide à appeler la police qu’à lâcher des miettes !

Une déléguée envoie quelques infos depuis les négociations, et demande aux grévistes de se mettre sous les fenêtres et de faire du bruit. Les banderoles sont à nouveau changées de place, et les grévistes donnent de la voix : « On ne lâchera rien ! On ira jusqu’au bout ! Pas contents, pas contents ! On fera un mois encore s’il le faut ! » La séance est suspendue.

C’est Moubarak qui le premier sort du bâtiment. Les grévistes hésitent d’abord, puis l’entourent, lui demandent de justifier la dégradation de leurs conditions de travail. Il commence à bégayer : « On ne va pas négocier tous en même temps… – Nous on ne veut pas négocier, on veut que vous nous remettiez les mêmes conditions qu’avant. – Écoutez, avant c’était avant, on ne peut pas. – Je peux vous poser une question ? Vous touchez combien vous pour faire ça ? – Je ne vais pas répondre, ce serait jeter de l’huile sur le feu. » Cette réponse est en soi un aveu. « Il y a déjà de l’huile Monsieur Moubarak. – Qu’il vienne au dépôt, il y a aussi six fûts pleins de feu ! » rajoute un gréviste.

Une petite avancée ?

« Venez par ici ! On n’a pas le temps de parler avec Moubarak » lance une déléguée. Une assemblée se forme : « Voilà, on a une petite avancée. Ça fait longtemps que la grève dure, et il faut penser aux usagers, donc trouver un curseur dans les revendications. On demande vingt minutes de TTE pour les battements. Comme ça quand on cherche des places pour se garer, on sera encore en TTE. Et on ne sera plus en insuffisance horaire. Est-ce que ça vous va, est-ce qu’on est d’accord ? Qui est d’accord lève la main. » Toutes les mains se lèvent. Mais alors que toutes se baissent, une reste levée : « Ça nous fera quoi comme horaires ? Est-ce qu’on aura encore des semaines de 42 heures avec cette revendication ? – Ça franchement je ne saurais pas dire. – Mais il faut qu’on voie les roulements avant de signer ! Pas de signature sans qu’on étudie le protocole et les roulements ! – On est bien d’accord, mais il faut qu’on trouve une solution, c’est pour ça qu’on propose les vingt minutes. – Mais s’ils ne veulent pas ? – On ne bouge pas ! » Une autre main se lève : « À les entendre, avec le maintien de la rémunération, on ne perd pas de salaire. Mais on va perdre des sous, c’est sûr ! – Ça c’est un autre débat. Le plus gros, c’est l’insuffisance horaire. – Les journées trop longues aussi c’est un gros problème, il faut leur rappeler qu’on a des contrats de 35 heures à la base ! – C’est quoi le max que vous voulez comme amplitudes sur la semaine ? – Trente-huit ! – Trente-sept trente ! – Trente-cinq ! » Les délégués retournent négocier.

« Tant que la grève est forte, on va gratter ce qu’on peut ! »

Parmi les grévistes, la détermination est au rendez-vous, mais les avis sont mitigés. « Ces vingt minutes ça va casser l’insuffisance ? – Non, ça va la réduire. À Lieusaint ils sont avec quinze minutes, et ils ont encore des insuffisances de ouf ! – Ces vingt minutes de TTE sur les battements et les sept heures de TTE qu’on avait votés, c’est pas pareil. – Oui c’est vrai, mais est-ce que ça n’est pas plus avantageux ? – Ça n’est pas sûr, il faudrait mettre ça à plat dans une AG. »

Un gréviste avance : « Il nous faudrait la garantie de TTE à 33 ou 34 heures par semaine, pour coller au plus près des 35. – Mais ça ils disent qu’ils n’y arrivent pas. – C’est pas notre problème ! Ils ont fait l’ENA, ils ont inventé le TI, s’ils ne s’en sortent pas, c’est pas à nous de payer leurs conneries, déjà qu’on perd du salaire avec la grève. – Ce n’est pas qu’ils ne peuvent pas, c’est qu’ils ne veulent pas. »

Quand les délégués ressortent pour manger, un groupe de gréviste les cueille. « La nouvelle production est prévue pour quand ? Sans ça on ne peut pas juger. – Ils nous ont dit le 3 janvier, mais c’est inacceptable ! Le médiateur a dit qu’il voulait couper la poire en deux, et faire sortir les roulements début décembre. Mais jusque-là, quels services on fait ? Je leur ai dit : ‘‘Si vous nous faites rouler comme avant la grève, il nous faut une prime de pénibilité ! Attention hein, nous on est contents d’être en grève, ça nous fait éviter des services de neuf heures ! Donc on peut rester grévistes !’’ – Mais alors pour lundi prochain, qu’est-ce qu’il se passe ? – On grève poteau ! On ne peut pas lever un piquet comme ça. Et ce n’est pas fini le grattage, tant que la grève est forte, on va gratter ce qu’on peut ! »

La force de la grève

Et cette grève est toujours forte, et pleine de surprises. Sur un groupe WhatsApp de grévistes, une photo est publiée en fin d’après-midi, avec comme légende : « Cet aprèm au dépôt de Lieusaint ». On y voit un groupe d’une trentaine de grévistes, au milieu de la route que prennent les bus pour entrer et sortir du dépôt. Ils posent derrière une banderole fraîchement peinte : « On est déterminé. Tous en grève ! » Les patrons se sont vantés dans la presse d’avoir fait reprendre Lieusaint, mais cette photo est un démenti formel. Elle s’accompagne d’un tract des grévistes de Lieusaint, Combs et Cesson, qui affirment qu’ils reconduisent la grève, et appellent à une AG ce dimanche à 15 heures, pour s’organiser entre grévistes de tous les dépôts, déchiffrer les pièges des patrons et conduire la grève à la victoire. La force de la grève, c’est qu’elle vit encore dans les actes de tous les grévistes qui s’organisent. Rendez-vous dimanche pour les coordonner, et vive la grève !

Simon Vries


[2Un article sur l’analyse de la police par des révolutionnaires : https://www.convergencesrevolutionnaires.org/Sous-l-uniforme-des-gardiens-de-l-ordre-social?navthem=1

[3La prime de repas unique, qui aurait dû totaliser 12 000 euros sur cinq ans a été remplacée par une prime de 1 000 euros brut sur trois ans.

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