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Sur un piquet de Transdev, mardi 12 octobre 2021

13 octobre 2021 Article Entreprises

Semaine 6, J2 : « en roue libre » jusqu’à la victoire !

Armés de quelques chouquettes, des grévistes de Vaux-le-Pénil discutent de leur grève. « Je suis étonné de nous, mais étonné dans le bon sens ! Avec les jours qui passent et la direction qui joue le pourrissement, on pourrait s’attendre à des divisions entre nous. C’est tout le contraire : plus les jours passent et mieux on s’entend ! On se découvre et on se soude. – Oui toi par exemple, finalement t’es pas aussi con que t’en as l’air ! »

Des collègues qui n’ont pas pu rester sur le piquet hier jusqu’aux résultats des négociations ont quand même pu suivre le live Facebook. « On est dans la sixième semaine là, en roue libre. Et vu la réaction d’hier quand ils nous ont présenté leur merde, c’est sûr qu’on sera gagnants. » Les grévistes ont découvert leur poids, et le rapport de force avec leurs patrons ne sera plus le même, y compris après la grève. « Quand on aura gagné, il faudra mettre une photo du groupe dans le dépôt. Comme ça si la direction ose essayer nous la refaire à l’envers, les collègues auront juste à la regarder pour s’en inspirer ! – Et ça nous fera un souvenir de quand on était beaux gosses ! En ce moment tout le monde me dit que j’ai bonne mine. C’est normal, je ne travaille pas ! – Les jours passent, mais on n’a plus envie de reprendre ! » La direction, qui , en cassant les conditions de travail est la vraie responsable de la grève, non seulement ne va pas pouvoir sous-payer les conducteurs comme elle l’espérait, mais va même devoir payer les grévistes pour qu’ils reprennent le travail !

« On est partis pour deux semaines encore, si c’est ce qu’il faut ! »

En attendant, les grévistes se paient des cafés et discutent au chaud dans leur salle de pause. « Il faut qu’ils nous sortent les roulements, sinon il n’y a rien de concret. – Mais attends, tu sais que ces roulements ce sera pas du fixe sur cinq ans. – Quoi ? – Oui, il faudra rester vigilants. Sinon ça va être comme la roue de la fortune, t’arrives le matin et pour ton roulement de la semaine tu fais tourner le truc : un deux fois, non ! Matin, yes ! » Un gréviste fait remarquer que le nouvel accord prévoit cinq jours de carence. Sera-t-il possible de retourner à trois ? Les avis sont partagés.

Un collègue connu pour être matinal arrive après les autres, et se fait chambrer. « C’est parce qu’hier on est partis à 21 heures ! La directrice est sortie de sa réunion à 20 heures 30, on s’est jetés sur eux, ils ont été surpris de nous voir ! – Ah ouais 21 heures ! – Mais on était plein encore ! Et on est partis pour deux semaines encore, si c’est ce qu’il faut ! » Ce matin, les délégués syndicaux ont une réunion de CSE avec la direction. Des grévistes décident de rejoindre le rendez-vous donné par les grévistes de Sénart : direction Cesson pour une AG à 10 heures.

Où en sont Cesson, Combs et Lieusaint ?

Sur la route de Cesson, les grévistes croisent des bus qui stationnent sur le bas-côté. « Ce n’est même pas vraiment un endroit de pause. Ils se mettent là parce qu’il y a de la place, c’est tout. Mais pas de toilettes ni rien, et c’est pas comme si le bus était un camping-car ! »

Ils arrivent en fait pendant la séance du comité de grève, chargé de préparer l’AG. Ils en profitent pour poser des questions :

« – Vous êtes encore combien en grève ?

– Là on est entre vingt et trente. Mais ce qu’il faut savoir c’est que les patrons et les syndicats ont appelé pendant le week-end, pour dire que la grève était finie. Donc beaucoup de collègues ont l’impression de s’être fait voler la grève : ils ne sont pas d’accord avec le protocole, ou ils ne savent même pas ce qu’il y a dedans. Mais ils ne savaient pas non plus qu’ils pouvaient continuer la grève !

– Et vous avez tourné sur les différents dépôts pour expliquer ça ?

– Un peu à l’arrache hier, parce qu’on a mis du temps pour comprendre la situation et faire le tract. Mais c’est ce qu’on va faire aujourd’hui après l’AG.

– Et vous ne croyez pas que ça a cassé les pattes des collègues que les syndicats signent ?

– Oui c’est sûr, c’était même fait pour ça. Les patrons ont fait un accord pour que les syndicats signent, et ils ont signé pour arrêter la grève.

– Il faut dégager ces pourris !

– Non attends, les syndicats c’est les syndicats, la grève c’est la grève. On verra aux prochaines élections, mais l’important c’est la grève là. Donc on va faire une AG pour discuter de la situation et voir si on reconduit la grève. »

 

Le comité de grève

Puis la discussion s’engage entre les grévistes des trois dépôts de Sénart :

« – Certains qui ont arrêté ont eu peur, d’autres ne savaient pas. Si on va attraper les collègues dans leur bus, c’est sûr que certains vont reprendre, vu qu’ils font les mêmes roulements qu’avant la grève. C’est comme si la grève n’avait rien changé ! Donc demain on va peut-être être dix de plus, puis encore dix, puis cent !

– C’est pas sûr, il ne faut pas brûler les étapes. D’abord on va produire une explication. Par exemple, il faut bien expliquer que c’est encore possible de faire grève, avec le préavis qui reste. En plus, beaucoup voient le protocole comme une victoire, mais sans savoir ce qu’il y a dedans. Il faut bien leur expliquer ce qu’ils ont gagné. Tu ne peux pas directement les convaincre de se mettre en grève, ils viennent d’arrêter ! Il faut leur laisser le temps de comprendre et de faire leur choix.

– Mais ils vont dire qu’ils sont au bout ! Et s’ils reviennent dans la grève, qu’est-ce qu’on peut leur garantir de plus ?

– Il ne faut pas mentir aux collègues. Avec le protocole, on va travailler plus, et plus durement, et sans doute gagner moins. On constate ça, donc il faut le dire. On verra ensuite ce que les collègues ont envie de faire. S’ils ne sont pas d’accord avec ça, il y aura la grève, et ça leur donnera des possibilités. Que ce soit nous qui la tenions, et même dans les autres dépôts d’ailleurs. »

 

L’ambiance est studieuse dans la salle. Chacun pèse ses mots, pose des questions, essaie de répondre aux autres. Parfois, la compréhension de ce qu’est réellement le plan de bataille des patrons provoque l’indignation. « ‘‘L’insuffisance horaire’’, c’est aussi une idée des patrons, ça n’existait pas avant la division entre TTE et TI. Parce que ta journée était payée en entier. Les patrons veulent intensifier le travail, en disant que quand tu ne fais pas de commercial, ce n’est pas du travail, donc pas du TTE. Et c’est de là que viennent ensuite les insuffisances horaires et le TI : tu peux être au boulot 35 heures, mais n’avoir que 32 heures de conduite, donc de TTE. Donc même si t’es 35 heures au boulot, t’es en insuffisance horaire, ‘‘comblée’’ par le TI. Même s’il est payé à 100 %, ça empêche les heures supplémentaires. Et même si le TI est majoré, déjà il faut voir à combien, et en plus il n’est pas défiscalisé. » Un ancien syndicaliste de la SNCF ajoute : « Tout ça c’est des combines pour ne pas payer le temps travaillé. En fait dans le Code du travail, c’est écrit qu’il y a un temps de travail annuel, 1607 heures par an. Et tout ce qu’on fait au-dessus, c’est des heures supplémentaires. Mais à la fin de l’année, sans compteur individuel qui te permet d’additionner tous les jours, tu ne peux pas savoir combien tu as travaillé. Avec des collègues on avait compté une année. C’était l’équivalent en heures de vingt jours de travail qui ne nous était pas payé ! » Faut-il ajouter comme revendication l’instauration d’un compteur temps pour les salariés ? Ça ne coûterait rien à la direction, et ça permettrait de voir s’ils volent du temps, pour se le faire payer !

À la fin de l’AG, un tract est produit et validé. Il appelle de nouveau à une reconduction et une AG le lendemain, qui sera préparée par le comité de grève, pour que chaque gréviste qui le veut puisse s’impliquer dans la grève et se rendre utile.

Bailly, Lagny, c’est fini ?

À huit heures ce matin, les représentants syndiqués et non syndiqués des dépôts de Bailly-Romainvilliers et Lagny avaient rendez-vous à la cité administrative de… Melun, pour négocier leurs conditions de travail « en terrain neutre », c’est-à-dire sans grévistes. Le rendez-vous a circulé trop tard, car en fait le piquet de Vaux-le-Pénil est à deux pas, et celui de Vulaines pas si loin : la prochaine fois, ce terrain neutre pourrait bien être envahi ! Les délégués se sont donc trouvés face à la direction, puis sont retournés à leur piquet pour soumettre la proposition à leurs collègues. Dans la soirée, un bruit court, propagé par des audios sur WhatsApp. Les grévistes vont-ils accepter le protocole ? « Ce n’est pas Las Vegas, mais ce n’est pas rien » résume un délégué.

Mais amener les délégués loin des grévistes n’a pas suffi. Malgré les quelques avancées concédées par la direction, et l’ultimatum pour les faire accepter avant 20 heures – malgré la carotte et le bâton – les grévistes n’ont pas marché. Ils sont têtus, parce qu’ils savent qu’ils ont raison, et que leur grève est forte. Comme le disait déjà le slogan des premiers jours de Vaux-le-Pénil : « On ne lâchera rien, jusqu’à la fin ! » La grève continue, et l’angoisse des patrons augmente. Ils ont beau se vanter dans la presse d’avoir conclu un accord avec Sénart, on connaît la réalité de l’affaire. Ce qu’on ne sait pas, c’est jusqu’où cette grève « en roue libre » pourrait aller. Aux grévistes de se faire un itinéraire jusqu’à la victoire.

Simon Vries

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