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Sur un piquet de Transdev, jeudi 16 septembre 2021

18 septembre 2021 Article Entreprises

Semaine 2, J4 : Vaux-le-Pénil ou Lieusaint, pas de trêve pour la grève !

« Désolée pour les usagers, mais ils vont encore devoir utiliser leurs BM double pieds. » À Vaux-le-Pénil, la grève ne faiblit pas. Toujours le même nombre, et toujours la détermination. BFM Paris est passé ce matin, les grévistes espèrent se rendre visibles. Ceux qui se font interviewer parlent de leurs conditions de travail. « On voudrait être traités comme des humains, qu’on respecte notre dignité. » Devoir le rappeler donne une idée de l’ampleur de l’attaque qui va frapper l’ensemble du secteur.

Nombreux sont les travailleurs du transport qui regardent vers cette grève, et attendent un signe. Certains se déplacent régulièrement sur les dépôts, qu’ils viennent d’autres boîtes de Transdev, de la RATP, de la SNCF ou de Keolis. Les grévistes savent bien qu’ils se battent pour leurs conditions de travail en particulier, mais sentent qu’ils représentent bien plus. Leur grève, c’est la force des travailleurs. Cette idée s’exprime au moment du départ de BFM. « Merci au caméraman ! C’est un travailleur de l’ombre, sans lui il n’y aurait rien ! » Un gréviste raconte : « Moi, ma sœur est infirmière. Au niveau des horaires c’est pire que nous ! En plus, ils vont éclater leur treizième mois en primes là. Une infirmière est venue hier pour parler du manque de moyens et de la suspension de salaire pour les non-vaccinés. Mais chez eux c’est difficile de faire grève, parce que si tu ne vas pas travailler ça retombe sur tes collègues... et les patients ! C’est du chantage en fait. – Dans les transports aussi on te culpabilise, mais il y a moins de pression parce qu’on n’a pas de personnes à soigner. » On pourrait même dire que la grève est un moyen de prévention, puisque selon les mots des chauffeurs eux-mêmes, les risques d’accident augmentent quand les services sont trop longs et les pauses trop courtes.

Les grévistes cherchent des échos de leur grève dans la presse. « À Saint-Malo aussi ils sont passés à l’ouverture à la concurrence, RATP Dev a gagné l’appel, et depuis c’est le bordel. – Faut qu’ils viennent dans la grève avec nous ! ». Le mot circule qu’à Marne-la-Vallée, le dépôt Transdev de Bailly-Romainvilliers se met en grève lundi. « On va aller les voir ! »

À 9 heures 30, une camionnette arrive, remplie de caisses de bananes. « C’est des gars du coin, on se connaît, ils nous soutiennent. – Ça va vous donner la banane ! », plaisante le chauffeur en aidant à décharger.

Quoi négocier, et avec qui ?

Des négociations avec la direction sont annoncées pour le lendemain, à 14 heures. Qu’en attendent les grévistes ? « La direction joue la montre. Ils vont lâcher un petit truc pour montrer qu’ils font des efforts mais ce sera des miettes. – C’est de la poudre aux yeux ce qu’ils font, ça va être de la flûte ! – C’est difficile de faire un pas vers eux, ils essaient tellement de tout nous gratter, les pauses, etc. – Ils vont nous pondre encore un truc dégueulasse. Et moi je ne travaille pas comme ça. »

« Il faut attendre les propositions. » C’est l’état d’esprit général. Pourtant, personne n’a confiance dans la direction. « Une fois la directrice parlait de là d’où elle vient, la SNCF. Elle s’est vantée avec le sourire, je te jure, sans remords, d’avoir viré 300 personnes là-bas. C’était presque une fierté pour elle. » Même si on pouvait lui faire confiance, un autre problème se poserait. « T’as capté que tous les cinq ans on va changer d’entreprise, donc que les accords vont être reset ? – Il va falloir faire grève tous les cinq ans alors ? »

De groupe en groupe, on parle de revendications. Le temps indemnisé (TI) est dans toutes les discussions [1]. C’est le stratagème qu’ont trouvé les patrons pour augmenter leurs profits, sur le dos des conducteurs. « Le TI c’est l’arme des patrons. Donc même un TI payé à 100 %, c’est une douille [2]. C’est une porte ouverte aux dégradations. Il ne faut pas de TI. Une minute en service, une minute de travail payé et c’est tout. – Mais ils ne vont jamais revenir sur le TI ! » S’ils ne veulent pas le lâcher, c’est bien que c’est le cœur de leur attaque. Comment vont se défendre les grévistes ? « On est partis pour deux semaines encore, minimum. – Demain il faudrait qu’on se réunisse pour discuter de lundi et de la semaine prochaine. Ça va être la troisième semaine et ça va commencer à piquer, il faut discuter de comment motiver les autres et de ce qu’on va faire. On ne peut pas rester sur le piquet bras croisés. »

La meilleure défense, c’est l’attaque

Comme pour confirmer cette déclaration, un gréviste prend le micro. Il annonce qu’à Lieusaint, des grosses têtes syndicales jamais vues avant sur le dépôt et les RH France de Transdev se retrouvent en réunion. « Il faut aller les soutenir ! » Car les dépôts sont différents, mais la grève est la même. Contre l’offensive des patrons qui s’entendent entre eux, il faut d’abord être soudés entre grévistes. Plusieurs voitures partent donc pour Lieusaint.

Là-bas, l’ambiance est un peu différente. Il n’y a pas de prise de parole collective, donc tout le monde discute un peu par petits groupes. Une gréviste a pris seule l’initiative d’aller voir le maire de la commune, pour lui remettre un tract. « Je ne savais pas que j’étais capable de faire ça. Avec la grève, je me sens quelqu’un. » Mais les conditions de travail sont sensiblement les mêmes. Un gréviste montre une feuille de service. « 9 heures 45 de travail un dimanche. Tu vis quand avec ça ? ». Le dépôt est collé aux voies du chemin de fer, et toutes les quinze minutes au moins, un train ou RER klaxonne en passant. Cette solidarité entre travailleurs du transport émeut une gréviste : « T’as vu ça ? J’adore ! Ils sont avec nous. Oh putain comme ça fait du bien. Ils sont venus nous voir dans notre dépôt, et ils ont dit qu’ils continueraient à klaxonner et ils le font ! C’est beau ! » Mais dans le même temps, il y a un petit accrochage entre grévistes. « Vous dites qu’on s’essouffle ? Mais on n’a pas besoin de vous, vous vous prenez pour qui ? On est partis en grève avant vous ! » D’autres grévistes font remarquer que le soutien est le bienvenu. Dans cette grève les dépôts ne sont pas les uns contre les autres, mais contre le même patron.

Voilà d’ailleurs la tactique patronale de la journée. À l’étage du dépôt, des « officiels » veulent négocier une « trêve » dans la grève. « Mais qui est-ce qui négocie, et quoi ? Nous on n’est pas d’accord avec ça » s’emporte un gréviste dans un petit groupe. Un gréviste non syndiqué a quand même réussi à s’incruster dans la réunion, porté par la pression de ses collègues. « Faut pas faire une trêve, sinon il y en a qui ne vont pas reprendre. – Mais à côté, si Vulaines [3] ont ce qu’ils veulent, ils vont lâcher. Nous aussi, s’ils nous donnent ce qu’on veut, on ne va pas continuer. – Non, il faut rester soudés, il faut qu’on ait les mêmes revendications ! » Il est improbable qu’à ce point de la grève les patrons du transport accèdent entièrement aux revendications des grévistes. Leur stratégie est bien sûr de discuter dépôt par dépôt, mais aussi de fixer la barre au plus bas. Et si les différents dépôts ne s’unissent pas, ils ne pourront pas relever cette barre. « Mais c’est quoi les revendications à Vaux-le-Pénil ? – Je ne sais pas, c’est aux délégués de s’entendre entre eux... » Mal barré : CFDT d’un côté, Sud de l’autre, les délégués des deux dépôts n’ont pas l’air franchement copains.

Échange avec un « médiateur »

Un « médiateur » sorti d’on ne sait où descend des négociations, et essaie de convaincre les grévistes de reprendre le travail. Le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas bien reçu. « Reprenez maintenant, comme ça vous arrêtez de perdre de l’argent. Et on vous donnera ce que vous voulez plus tard. On a discuté de comment on indemnisait les jours de grève, par exemple ils pourraient être comptés comme des congés payés...

– Attendez !

– Non, laissez moi finir. Vous stoppez le mouvement...

– Non je vous arrête tout de suite, le début de la phrase est pas bon. On n’en est pas à payer les jours de grève là, on n’a pas ce qu’on veut donc on n’est pas près de reprendre ! J’ai travaillé six mois dans des conditions de merde, je ne recommence pas comme ça. »

Le médiateur reprend : « Moi je travaille ici pour l’intérêt global...

– Nous on est en grève. Et ne vous inquiétez pas, on sait ce qu’on fait. »

L’ensemble de cette discussion a eu lieu entre une vingtaine de personnes, un peu à l’écart du reste. « Ça devrait se faire là-bas, devant tout le monde ! », lance un gréviste. Le médiateur n’a pas osé aller voir directement ensuite d’autres groupes, l’accueil dans celui-là ne lui a sûrement pas plu. Mais qui sait quel travail de sape il va faire dans l’ombre ?

Le tract

Dans la grève, il faut que les discussions soient sous les yeux et les oreilles de tous les grévistes. Et ce qui est vrai pour chaque dépôt l’est aussi pour l’ensemble des dépôts. C’est ce que dit un tract écrit par « des grévistes de Lieusaint et Vaux-le-Pénil » : « Il est urgent que les différents dépôts se coordonnent et communiquent quotidiennement sur la grève. Il faut que tous les grévistes échangent pour se tenir au courant. L’union fait la force ! » Si les patrons attaquent dépôt par dépôt, il faut adopter la stratégie inverse, et faire se rejoindre tous les dépôts en grève. Ne pas attendre chez soi, mais aller porter l’offensive contre les patrons dans les autres dépôts.

Quand le RH descend à son tour plus tard, des grévistes l’entourent. « Les règles de la profession ont changé » dit-il, comme si ce n’était pas lui et ses équipes qui les avaient changées. « Le temps indemnisé est payé. Ne dites pas qu’il n’est pas payé.

– Remettez-le en temps de travail alors ! » « Attention, ce n’est pas que chez nous que ça craque, partout aussi ça va partir en grève. Il y en a déjà plein d’autres qui partent en grève. » Un autre gréviste enchaîne : « Ce mouvement, c’est le mouvement des salariés. C’est eux qui l’ont commencé, c’est eux qui vont décider quand ils l’arrêtent. – Enlevez le TI ! » Il faut que tous ces grévistes unissent leurs forces, en formulant des revendications claires qui pourront être reprises par tous. La meilleure défense, c’est l’attaque.

Simon Vries


[1Ce temps « indemnisé » correspond aux coupures entre services. Bien qu’il corresponde à du temps passé au travail, n’est pas compté comme du temps de travail effectif (TTE). L’indemnisation est un pourcentage du taux horaire, qui varie en fonction de la proximité au dépôt (50 % en terminus, 25 % dans un dépôt de l’entreprise, 0 % dans le dépôt d’origine).

[2En effet, même indemnisé à 100 %, ce n’est pas du temps de travail, ce qui veut dire que le déclenchement des heures supplémentaires (majorées) est quasi impossible. Les patrons peuvent donc garder plus longtemps les salariés au travail tout en les payant moins.

[3Vulaines-sur-Seine, où se trouve un autre dépôt également en grève, sur le réseau de Sénart.

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