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Sur un piquet de Transdev, à Vaux-le-Pénil, mercredi 8 septembre 2021

9 septembre 2021 Article Entreprises

La vie grève

Le dépôt arbore fièrement une nouvelle banderole : « Meilleures conditions ou révolution ! » Le message est clair. « On fait pas la grève pour notre plaisir, mais on reste là et on va se battre. On peut pas continuer à se laisser marcher dessus. » Un gréviste dont c’est la première grève raconte : « Les feuilles de service sont inhumaines. Après ton premier service le lundi, t’es rincé pour toute la semaine. Faut continuer, mais on n’est pas des robots ! » Il n’y a plus que dix minutes pour la prise de service. « Mais quand t’arrives au taff, c’est pas normal de courir ! Alors forcément les premiers tours sautent. » « Moi, vendre les tickets en conduisant c’est fini. Si un truc se passe mal à ce moment on dira que tu regardais pas la route. Mais de l’autre côté si tu prends le temps de t’arrêter, tu te mets en retard et c’est l’entretien disciplinaire, tu te fais allumer. » Les délégués annoncent que la directrice va venir, devant tout le monde, faire des annonces à 13 heures 30. Elle avait eu bien chaud la dernière fois, donc tout le monde est content.

Plus tard dans la matinée, les grévistes offrent la parole à une délégation venue les soutenir. Un cheminot de la gare de Lyon fait une intervention très appréciée : « Vous vous demandez peut-être pourquoi un cheminot qui n’est pas en grève vient voir des conducteurs de bus en grève. Je vous explique tout de suite : c’est que chez nous on sait qu’ils veulent nous manger à la même sauce. Ouverture à la concurrence, avec les délégations de service public. Mais la concurrence, elle n’est pas entre les entreprises, en fait c’est nos conditions de travail qu’ils mettent en concurrence ! Et pas pour les améliorer ! Donc si je viens, c’est pour vous dire qu’il faut taper ensemble sur le même clou. Votre grève, elle inspire d’autres travailleurs ! » Un gréviste intervient : « Ça va s’étendre même au bled ! » Puis un militant du NPA continue l’argument : « Vous vous battez pour vos conditions de travail, mais votre grève, elle vous dépasse. Beaucoup de travailleurs ont les yeux fixés sur vous. Le patronat essaie sur vous en premier son nouveau modèle, et c’est vraiment un signal très fort que vous envoyez à vos collègues des autres boîtes : ça va pas se passer comme les patrons veulent ! » D’autres prises de parole sont encore bien applaudies, ce soutien ça booste. Elles se finissent avec des slogans lancés par les grévistes : « Flamant démission » et « On lâchera rien jusqu’à la fin ! »

Le barbecue commence à devenir une tradition, avec ses adeptes, et ses critiques. « Je vais mettre tout le monde d’accord, demain c’est côte de bœuf ! » La chaleur s’installe. « On se bagarre pour les nouveaux embauchés aussi ! Les primes que les anciens ont gagnées, ça doit être aussi pour les nouveaux. Les différences de salaire c’est pas normal, on fait le même métier. » Une partie des grévistes debout dès l’aube est allée se reposer, d’autres sont allés chercher leurs enfants.

13 heures 30 arrive, mais pas de directrice en vue. Certains salariés demandent à ce que les délégués montent la voir, accompagnés de non syndiqués. Les avis sont partagés. « On ne veut pas qu’elle puisse accuser les grévistes de ne pas vouloir négocier. » « Pourquoi elle, elle ne descend pas ? » La délégation monte. « Pourquoi ils restent ? Ils devraient se lever, dire : vous avez quelque chose pour nous ? Non ? Alors on se lève. De quoi ils discutent ? C’est une erreur d’y être allé. »

Les négociations s’éternisent, derrière les baies vitrées du premier étage, on en voit faire des moulinets avec leurs bras. Il manque juste le son. En bas, il y a une pétanque, et à côté ça parle politique. Des inégalités sociales, de leur reproduction, même par l’école qui est censée émanciper. « Moi on m’a mis en bac pro direct, il n’y avait pas de place ailleurs. C’était, comment elle s’appelle ? La conseillère de désorientation. – Aussi quand tu vas la voir, t’as 15 ans, t’y vas sans tes parents. – C’est même pas ça, même si tes parents pouvaient venir, ils viennent du bled, ils parlent même pas bien français ! – Le pire c’est que les parents ils ont confiance dans l’école, ils se saignent pour que tu travailles bien. Mais ils ne connaissent pas le système. » C’est pour ça que dans les facs il y a plus d’enfants de cadres que d’enfants d’ouvriers. « Nous on est des enfants du bitume », à l’école de la grève.

Au bout d’une heure, petit groupe se reforme sous les fenêtres où ça négocie toujours. « Elle nous reçoit mais est-ce qu’elle a une proposition ? – Et la prochaine fois c’est pas la peine de monter, elle descend ou on monte tous ! » Les délégués descendent petit à petit, et une nouvelle prise de parole a lieu, devant une soixantaine de grévistes. La directrice a dit que les jours de grève pourraient être payés, « à condition que la grève arrête vite. – Ça dépend de vous ça ! » Comme à Moissy, la direction a peur et essaie d’acheter les grévistes. « Par contre faudra pas accepter des miettes parce qu’ils nous paient les jours de grève ! » La directrice cherche à se montrer inflexible. « Hier, c’est plus possible. » « J’espère que vous avez gueulé quand elle a dit ça », intervient un gréviste. « On veut le retour aux conditions d’avant, point final. » « Il faut trouver où placer le curseur », enchaîne le délégué, « c’est une jauge à discuter. – Mais qui a fait la jauge ? – Y avait des revendications à la base, on avait dit 7 heures 30, c’est pas négociable. » « Il fallait se lever tous ensemble et partir ! » Le ton monte un peu, les grévistes s’expliquent. Mais personne ne veut que le mouvement se divise. « Ça parle fort mais il n’y a rien. On ne lâchera pas. » Donc après un appel au calme, les discussions reprennent. « Faudrait qu’on s’organise mieux avant. Là on est des bleus. Mais on apprend de nos erreurs. » Certains grévistes font la grève en deux fois : après la pause du voyage, ils reprennent leur téléphone pour recommencer à discuter avec les collègues. Qu’est-ce qui n’a pas marché ? « La prochaine fois, à la prochaine initiative, il faudra une assemblée générale. Comme ça on propose et on se met d’accord avant, au lieu de s’engueuler après. Notre force c’est le collectif. »

La grève est dans toutes les têtes, et la stratégie pour la faire aboutir fait son chemin à travers des discussions collectives. « Je ne sais pas si je vais en rêver, mais ça ne m’étonnerait pas. Je dors grève en ce moment. »

Simon Vries

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