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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 82, juillet-août 2012

Sortir de l’euro ou sortir du capitalisme ?

Mis en ligne le 3 juillet 2012 Convergences Politique

Un référendum pour ou contre l’euro : c’est ainsi qu’une partie de la presse et des dirigeants européens présentaient les élections législatives du 17 juin en Grèce. Présentation évidemment malhonnête, car revenant à dire que voter pour la remise en cause des plans d’austérité, c’était se prononcer pour la sortie de l’euro. Peu importait d’ailleurs que la coalition Syriza ait affirmé clairement qu’elle n’était pas pour la sortie de l’euro ! Car outre l’extrême-droite, seul le parti communiste grec (KKE) faisait de la sortie de l’euro et de la rupture avec l’Union européenne un des points de son programme.

Sous la forme de ce chantage, on n’a jamais autant entendu parler d’une sortie de la Grèce de l’euro. Le milieu financier lui a même donné un nom : le « Grexit » !

Quelles seraient donc les conséquences pour la Grèce d’une sortie de l’euro ? Quels seraient les bienfaits promis par ses partisans ?

La dévaluation, pour relancer l’industrie... ou pour encore abaisser les salaires ?

La sortie de l’euro et la création d’une nouvelle monnaie donneraient la possibilité de restaurer la compétitivité internationale des entreprises par des dévaluations monétaires. Dévaluer une monnaie, c’est simplement faire baisser le cours du change par rapport aux autres monnaies. C’est donc faire augmenter le prix de tous les biens importés dans la monnaie locale, avec l’espoir que les exportations baisseront de prix à l’étranger et pourront reprendre des parts de marché.

Or la Grèce est un pays avec de faibles exportations (environ 20 % de son PIB) pour des importations plus élevées (de l’ordre de 40 %). Avec peu de matières premières, une faible industrie, le gain sur les exportations risque d’être très réduit ! Tout au plus le gouvernement pourrait en espérer que les prix deviendraient tellement bas pour des touristes ayant des dollars ou des euros, que cela doperait l’industrie du tourisme. Au profit des patrons hôteliers, en faisant entrer des devises, mais au prix d’une baisse des salaires réels en termes de pouvoir d’achat. Car le premier effet de la dévaluation sera la hausse des prix de tous les biens importés, à commencer par celui du pétrole...

La maîtrise de la monnaie... par qui ?

Le fait de retrouver une monnaie nationale permettrait à la Banque centrale de faire tourner la planche à billets. Paraît-il, pour financer des politiques économiques aux effets positifs, mais la conséquence très probable serait bien une inflation dont les classes populaires seraient les premières à faire les frais ! Et l’on connaît que trop les politiques censées favoriser la croissance : cadeaux aux patrons, aux banquiers, etc. Quant à avoir la maîtrise de sa monnaie, c’est une autre paire de manche. Les plus grandes puissances, les États-Unis ou la Grande Bretagne (celle-ci grâce à son rôle de place financière) l’ont plus ou moins. Ces États ne se gênent pas pour utiliser les moyens de la Banque centrale pour financer en partie leurs déficits budgétaires. Ce qui n’y empêche pas les plans d’austérité !

Mais le cours de la monnaie n’est pas fixé par décret gouvernemental. Il l’est par le marché des devises, où les spéculations surtout sur les monnaies des pays qui n’ont pas de domination mondiale, peuvent aller aussi vite, si ce n’est plus que sur les dettes publiques.

Un moyen d’annuler une partie de la dette ?

Que deviendraient les dettes de la Grèce envers l’UE, le FMI et la BCE (rappelons que c’est maintenant la plus grande part de la dette publique grecque), justifiant les politiques d’austérité ? A priori, les dettes devraient perdurer... et en euros ! Même les dettes envers les banques étrangères resteraient en euros [1]. La dette maintenue en euros, cela signifie qu’exprimé dans la nouvelle monnaie, le montant augmenterait avec la dévaluation...

Une sortie de l’euro s’accompagnerait donc d’une suspension des paiements de la dette par l’incapacité d’y faire face. Cette dette serait alors partiellement réduite ou pas : son sort réel serait certainement tranché par des négociations, pas annulée, mais plutôt réduite ou rééchelonnée, comme on l’a vu au début des années 1980 pour la dette du Mexique ou quelques autres.

Depuis 2010, la Grèce ne peut déjà plus emprunter sur les marchés financiers, sauf à court terme. Avec un tel « défaut » de paiement, il lui deviendrait totalement impossible de le faire. Pour certains besoins, l’État pourrait certes se contenter d’emprunter aux banques grecques ou plutôt de faire tourner la planche à billet. Mais la Grèce risquerait de manquer cruellement de devises pour régler les importations (et la dette !), que les revenus de l’exportation ou du tourisme ne couvriraient pas... Elle devrait probablement se tourner vers le FMI. Sauf à s’installer dans une quasi-autarcie ou trouver d’autres bailleurs de fonds. Mais lesquels ?

Et on ne voit guère pourquoi des institutions comme le FMI, la BCE, l’UE feraient plus de cadeaux à la Grèce hors euro ! Le FMI n’en fait aucun à la Hongrie ou la Roumanie, pays hors zone euro, mais qui ont fait appel aux prêts du FMI... sous conditions de mesures d’austérités drastiques !

La comparaison avec l’Argentine

On compare souvent le cas de la Grèce avec celui de l’Argentine. Dans les années 1990, le peso argentin était aligné sur le dollar, dans un système appelé « currency board ». Mais à la fin des années 1990, la dette extérieure s’est considérablement aggravée, la situation économique et sociale est devenue catastrophique en 2000 et 2001.

Au mois de décembre 2001, devant la mobilisation de la population, trois présidents ont dû quitter le pouvoir l’un après l’autre, à quelques jours d’intervalle. C’est dans ce contexte qu’a été prise, début 2002, la décision de décrocher le peso du dollar et de le dévaluer (de l’ordre de 75 %). L’Argentine a aussi fait « défaut », c’est à dire arrêté de rembourser ses créanciers étrangers : la dette extérieure, exprimée en dollars, était devenue impossible à payer.

Que s’est-il passé alors ? Pendant un an, la situation économique et sociale a continué à s’aggraver, c’était un véritable plongeon dans la misère. Le PIB a baissé de 12 % en une seule année. La proportion des pauvres a atteint le record de 57 % de la population. L’inflation était à deux chiffres, les économies de la classe moyenne ont fondu, le chômage massif.

Fin 2002, l’économie a repris quelques couleurs, grâce à la saignée opérée sur le niveau de vie de la population. Les produits importés étaient devenus tellement chers qu’il devenait rentable pour les patrons argentins de produire des équivalents localement, en relançant des usines arrêtées. D’autant qu’ils n’avaient pas de mal à trouver des travailleurs prêts à accepter de très bas salaires. Le pays a pu pallier le manque de dollars en exportant des matières premières redevenues concurrentielles avec la dévaluation (en particulier le soja, qui représente 6 % du PIB), à un moment où les prix des matières premières agricoles était à la hausse sur le marché mondial.

Néanmoins, l’Argentine continue, encore en 2012, à rembourser ses créanciers (à des montants certes réduits suite à des négociations) mais ne peut toujours pas emprunter sur les marchés !

Une aggravation dramatique de la situation, pour financer une embellie, du moins pour la bourgeoisie, car les inégalités et la misère perdurent [2]. Voilà donc ce que proposent donc les partisans de la Grèce de l’euro...

Et encore, pour ladite embellie, rien n’est sûr ! Car la situation de l’Argentine de 2001 n’est pas forcément si aisément transposable à la Grèce d’aujourd’hui. Déjà le pays n’a pas les mêmes dimensions, la Grèce étant trois fois moins peuplée. Le contexte économique mondial n’est pas le même. Et puis, la Grèce n’a ni soja ni pétrole à exporter ! Le tourisme ferait-il l’affaire ? On peut en douter !

Il n’y a pas de bonne solution à la crise du capitalisme. Encore moins à l’échelle d’un seul pays. Au fond, derrière l’idée de la sortie de l’euro, c’est l’illusion d’une meilleure politique économique dans un cadre national, teintée d’une bonne dose de protectionnisme. Les travailleurs y ont-ils intérêt ? La question n’est pas pour eux l’euro ou pas. Ni de retrouver la compétitivité des exportations au détriment du niveau de vie, sous prétexte de relancer l’hypothétique « croissance » chère à Hollande.

La question pour les travailleurs est de trouver les moyens pour imposer à la bourgeoisie de payer la crise. De ce point de vue, le fait qu’en Europe il y ait une certaine unité politique avec l’Union européenne et une monnaie unique pour une bonne part du continent, peut être un atout. Car ce sont les mêmes politiques d’austérité d’un bout à l’autre du continent. Les travailleurs de toute l’Europe pourraient opposer ensemble leur refus de l’austérité, de faire les frais de la crise.

Alors qu’il est beaucoup question des risques de contagion de la crise, c’est bien la contagion de la lutte de classes qu’il nous faut préparer. Il n’y a décidément aucune raison de voir l’avenir dans les frontières nationales, plus étriquées que jamais de nos jours.

Michel CHARVET


En France, la sortie du pays de l’euro a été mise en avant ces derniers temps essentiellement par l’extrême-droite.

À gauche et à l’extrême-gauche, les voix se prononçant pour une sortie de l’euro se sont faites rares, il n’y a guère que le Parti ouvrier indépendant (POI) qui prône toujours la rupture avec l’Union européenne.

Il y a aussi une poignée d’économistes classés à gauche qui, dans Le Monde diplomatique ou dans d’autres médias, ont défendu une sortie de l’euro. C’est le cas de Jacques Sapir, auteur de « Faut-il sortir de l’euro ? », de Frédéric Lordon ou de Jacques Nikonoff (ancien président d’Attac et dirigeant du Mouvement politique d’éducation populaire (M’PEP), associé au Front de Gauche). Ces derniers se montrent favorables à une sortie de l’euro de la France, comme de la Grèce. Précisons que ces voix restent isolées, que ce soit au Monde diplomatique, dans la mouvance altermondialiste (à Attac en particulier) ou au Front de Gauche.


[1Si le « secteur privé » a accepté un plan d’échange prévoyant une réduction de la dette, les nouveaux bons dépendent du droit anglais et non plus du droit grec. Autrement dit, l’État grec n’a plus de pouvoir juridique pour les modifier : ils resteront en euros.

[2Voir Convergences révolutionnaires, n° 80.

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