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Soirée de soutien aux grévistes du nettoyage de l’ARS à Marseille : « La sous-traitance, c’est des problèmes pour les salariés et des solutions pour les patrons… Ce serait bien d’en finir. »

20 juin 2022 Article Entreprises

Au siège de l’Agence régionale de santé (ARS-Paca) à Marseille, les sept salariés en charge du nettoyage sont en grève depuis le 29 mars contre leur nouvel employeur, Laser, qui a repris le « chantier » en janvier et a cherché à imposer une augmentation significative de la charge de travail [1] via la mutation de deux agents, alors que le travail n’a pas changé ! Après plus de deux mois de mobilisation, la pression imposée par les grévistes leur a permis de remporter une première victoire, puisque l’ARS a dénoncé début juin le contrat qui la liait à l’Ugap, l’Union des groupements d’achats publics, qui avait passé le contrat de sous-traitance avec Laser. Concrètement, d’ici trois mois, Laser devra plier bagages : bon débarras ! Les grévistes restent mobilisés le temps du préavis, car il leur faudra encore imposer leurs conditions à leur prochain patron, pour être tous et toutes repris sur le site, et reprendre le travail au moins aux mêmes conditions qu’auparavant.

Le 11 juin, le NPA, Révolution permanente et la CNT-SO organisaient une soirée de soutien aux grévistes de Laser, en présence d’une ancienne gréviste de l’Ibis Batignolles à Paris. Une soirée qui a réuni 80 personnes, avec des discussions enthousiasmantes et pleines d’espoir pour la suite. Pour introduire le débat, nous sommes revenus sur un certain nombre de problèmes qui traversent le secteur du nettoyage, en particulier sur la question de la sous-traitance et ses conséquences sur les conditions de travail dans ce secteur. En voici quelques aspects.

Le nettoyage, un secteur juteux

Le secteur du nettoyage n’est pas un petit secteur d’activité. En France en 2020, il représente plus de 16 milliards d’euros de chiffre d’affaires et près de 540 000 employés. La plus grosse société, Onet, dépasse largement le milliard de chiffre d’affaires, avec près de 40 000 salariés, et des dizaines de millions de profit chaque année.

Depuis une trentaine d’années, cette activité (comme d’autres) est majoritairement externalisée ou sous-traitée. La plupart des sites sont donc exploités par des entreprises spécialisées dans le nettoyage (notamment les groupes Onet, Atalian, Derichebourg, GSF, Elior ou Challancin, pour ne citer que quelques-uns des plus gros). Pour les entreprises ou les administrations donneuses d’ordre, il s’agit de ne pas se préoccuper de l’organisation concrète de l’activité, mais de déléguer cette tâche à l’entreprise spécialisée qui leur fournit l’offre la moins chère. L’entreprise qui remporte le marché se charge alors de faire les plannings, de livrer le matériel et les produits… et d’empocher le pactole ! Mais présenter l’offre la plus compétitive pour rafler les marchés, tout en dégageant du profit, suppose d’attaquer directement les conditions de travail ou le salaire de ceux (et souvent celles) qui font le boulot.

Des conditions de travail difficiles, et dégradées par la sous-traitance

La norme dans le secteur, c’est la multiplication de contrats à temps partiel (avec parfois de tout petits contrats de une, deux, trois heures par jour voire par semaine) ou l’accumulation de CDD. La conséquence pour les salariés, ce sont des journées de travail « éclatées », avec des horaires décalés et souvent une amplitude très importante, pour quelques heures travaillées. À jongler entre plusieurs sites, voire plusieurs employeurs, on commence tôt et on finit tard [2].

Les salaires sont très bas : souvent le Smic horaire, mais pour du travail à temps partiel, soit des revenus allant de quelques centaines d’euros à un Smic.

Pour les patrons du nettoyage, une des clefs pour tirer les prix vers le bas consiste à sous-estimer le temps de travail de façon quasi systématique. Pour les salariés, le dilemme est alors le suivant : mal faire le travail et avoir des remarques du client (ou du patron !), ou rester plus longtemps sur le site… sans garantie aucune que les heures supplémentaires seront payées. On pourrait ajouter que face à des salariés précaires, en partie d’origine étrangère et qui parfois maîtrisent mal le français, les patrons du secteur n’hésitent pas à user de moyens des plus retors (contrats non signés, erreurs de qualification ou de rémunération…) pour rogner encore sur les salaires.

La plupart du temps, les contrats de sous-traitance sont renouvelés à échéance fixe (souvent tous les trois ans, même si l’échéance varie selon les secteurs, et entre le public et le privé). Pour les travailleurs, cela veut dire un nouvel employeur tous les trois ans, et donc que, sur un même site, on va connaître parfois sept ou huit employeurs différents. Le maintien de l’emploi des agents dans le cas d’un changement de prestataire sur un site, officiellement garanti par l’annexe 7 de la convention collective du nettoyage, est en réalité fréquemment remis en cause lors de la signature des nouveaux contrats – ou juste après, comme dans le cas de Laser à l’ARS. Par ailleurs, les avantages obtenus précédemment sont bien souvent « oubliés », et « on repart à zéro » avec le nouvel employeur.

Ces conditions de travail ont bien sûr des conséquences sur la vie sociale ou familiale des travailleurs du secteur. Et c’est sans compter les conséquences liées à la pénibilité du travail en lui-même sur la santé, en particulier au niveau du dos, ou les maladies liées à la manipulation de produits chimiques.

Des mobilisations nombreuses malgré l’émiettement du secteur

Les mobilisations dans le secteur du nettoyage ponctuent l’actualité de façon récurrente. Souvent très localisés, à l’image d’un secteur constitué de petites équipes éclatées sur de multiples sites, certains conflits ont marqué par leur longueur et leur détermination. C’était le cas, par exemple, de la grève emblématique des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles à Paris, victorieuses après 22 mois de lutte (2019-2021) – grève qui revient dans l’actualité avec la candidature aux législatives d’une des anciennes grévistes, Rachel Keke. D’autres grèves longues ont eu un écho à une échelle un peu large ces dernières années, comme celle de l’hôtel Hyatt-Vendôme [3] en 2018, ou encore celle des salariés d’Onet, sous-traitant du nettoyage dans les gares franciliennes en 2017.

Bien d’autres mobilisations de ces travailleurs « invisibles » n’ont pas eu le même écho, cependant elles durent et souvent gagnent ! C’est que, coincés entre des sous-traitants et des donneurs d’ordre qui ne cessent de se renvoyer la balle, les salariés du nettoyage mobilisés, a fortiori lorsqu’ils ne représentent qu’un petit collectif, doivent s’armer de patience pour faire plier leurs directions.

Sur certains chantiers les plus importants, des équipes plus fournies se mettent parfois aussi en branle, à l’image des 130 salariés d’Arc-en-Ciel à la fac de Jussieu en septembre dernier, ou plus récemment des salariés de PEI en charge du nettoyage au Technocentre de Renault-Guyancourt [4], qui viennent d’obtenir satisfaction. Des cas qui restent cependant suffisamment rares pour être remarqués.

Dans tous ces conflits, la séparation entre travailleurs sous-traitants et le reste des travailleurs du site est une vraie difficulté. Dans certains cas, les liens créés au fil des années entre travailleurs d’entreprises différentes mais qui se côtoient au quotidien, permettent au minimum une solidarité qui peut s’avérer bien utile pour la lutte. Mais de là à réussir à ne pas cantonner la grève aux seuls salariés du nettoyage (ou de l’entreprise sous-traitante)… c’est une autre affaire !

Dans plusieurs conflits, en particulier dans les hôtels, la demande de ré-internalisation des contrats est devenue une revendication. Certains l’ont obtenue, comme au sein du groupe Louvre Hotels… et aujourd’hui, la grève qui touche plusieurs hôtels (Campanile, Première classe, Golden Tulip) en région parisienne et à Marseille, pour des augmentations de salaire et une amélioration des conditions de travail, regroupe femmes de chambre, personnel de l’accueil et serveurs derrière de mêmes revendications !

Correspondants


[2Pour un petit aperçu de cette réalité, on peut lire l’enquête de Florence Aubenas, Le quai de Ouistreham (2010, éditions de l’Olivier), récemment adaptée au cinéma.

[3Sur cette grève, signalons le très bon documentaire Les reines du palace, réalisé par Karine Morales.

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