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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 61, janvier-février 2009

Sauvetage de l’industrie automobile ou sauvetage des profits ?

Mis en ligne le 10 janvier 2009 Convergences Politique

L’année 2008 se termine sur un approfondissement de la crise de l’économie capitaliste et l’industrie automobile est particulièrement touchée.

La chute des géants américains, General Motors et Chrysler, nous était présentée comme celle d’une vieille industrie en bout de course n’ayant pas su adapter sa production à l’évolution de la société. Les 4 × 4, tels des dinosaures de l’asphalte, succombaient sous leur propre masse au profit des petits véhicules thermiques ou électriques, mammifères à 4 roues frugaux et moins polluants. Mais l’annonce par Toyota, en passe de devenir le premier constructeur mondial, de ses premières pertes depuis 70 ans est le signe d’une crise plus profonde.

L’année 2009 devrait être encore pire, aux dires des analystes qui sont passés en quelques mois d’un optimisme aveugle à un pessimisme pas plus clairvoyant. Certains, rares, se réjouissent de cette crise et y voient le moyen de mettre fin au règne du « tout automobile » , synonyme de pollution et de société de consommation. Mais le capitalisme ne fera pas de l’écologie malgré lui par une destruction massive de moyens de production, dont les premières victimes sont les travailleurs.

Mises à part ces quelques voix, partout on entend le même leitmotiv. « Il faut sauver l’auto­mo­bi­le ! » Syndicats, États, dirigeants et actionnaires de l’industrie automobile n’ont que de nobles intentions. Mais « qui » veut-on sauver ? Et qui fera et fait déjà les frais de la crise ? Les salariés de l’automobile ? Les dirigeants ? Les gros actionnaires ? Tout le monde est-il dans la même voiture ? Sauvé au même titre ?

Des milliers de travailleurs envoyés à la casse

La crise de l’automobile n’en serait donc qu’à ses débuts et des milliers d’emplois sont déjà supprimés. Les salariés les plus précaires sont aux premières loges : intérimaires et prestataires de service, comme au Technocentre Renault à Guyancourt, où un millier de prestataires ont appris le non-renouvellement définitif de leur contrat en 2009, une semaine avant les fêtes de fin d’année. Même politique dans le groupe PSA.

Les salariés à statut sont aussi touchés. D’abord par le chômage technique qui réduit en France leurs revenus de 30 à 50 %. Puis par des départs plus ou moins « volontaires » [1] mais aussi par des licenciements et des fermetures de sites. La liste des suppressions d’emplois est longue et terrifiante, consultable désormais sur Internet. Constructeurs, équipementiers, prestataires, fournisseurs de l’industrie automobile. Pas une semaine sans une nouvelle annonce.

Et pour ceux qui ont la « chance » de conserver leur emploi, c’est l’intensification du travail, le blocage annoncé des salaires et la suppression des primes d’intéressement, la menace à peine voilée du licenciement étant utilisée pour faire accepter ces sacrifices.

En face, les dirigeants et les gros actionnaires du secteur automobile sont encore relativement épargnés par la crise. La valeur des actions a certes chuté mais des milliards de dividendes ont été versés en 2008. De toute façon les conséquences de la crise ne sont pas les mêmes que l’on soit ouvrier de l’automobile ou spéculateur à la bourse. Ces derniers disposent d’un véritable magot accumulé au fil des années. La situation des travailleurs n’a cessé de s’aggraver dans le même temps, selon le vieux principe des vases communicants : l’accroissement de l’exploitation des uns permettant l’enrichissement des autres.

Les salariés ont déjà eu à subir des choix industriels et surtout financiers, des cadences de production à la hausse, des organisations du travail et des modes de management toujours plus stressants. Il n’y a pas de raison qu’on leur demande en plus de payer la crise que patrons d’industrie et financiers ont engendrée.

Balayer devant sa portière

Car dirigeants et gros actionnaires étaient aux commandes, qui se défilent aujourd’hui, invoquant la conjoncture. Obligés de réduire les coûts à cause de la crise ? Obligés de licencier ? Et ils n’y seraient pour rien ?

Certes le déclenchement de la crise actuelle vient de celle des subprimes, aux États-Unis (satanés yankees !). Certes l’automobile est présentée comme un secteur cyclique, qui dépend d’achats volatils plus facilement reportables que la satisfaction de besoins élémentaires (alimentation, loyers) et donc plus vite touché par la crise que d’autres secteurs. Mais c’est passer vite sur la responsabilité des patrons de l’automobile dans la crise actuelle.

Car même sans la récente baisse des ventes, ce secteur connaissait déjà une crise de surproduction. Alors que le marché automobile était déjà saturé, la politique de chaque constructeur, ces dernières années, visait à augmenter à tout prix ses propres ventes, en prenant sur ses concurrents. Il fallait avec frénésie atteindre de nouveaux marchés, faire son trou dans de nouveaux pays (Inde, Chine, Russie, etc.), auprès de nouveaux consommateurs, plus pauvres et susceptibles d’acheter des voitures « low cost » (la Logan de Renault/Dacia, ou l’« ultra low cost », la Nano du constructeur indien Tata à 2 500 dollars), ou plus écolos, tentés par des véhicules dits « propres » (électriques, aux biocarburants, à l’hydrogène, etc.). À qui réussira dans la course. Et comme à la bourse, vogue la galère quand les surenchères tournent au vinaigre.

Il est d’ailleurs peu probable que les acheteurs aient plus les moyens de se procurer une voiture électrique, en fait plus chère, qu’un véhicule diesel ou essence.

La crise vient de cette folle course au profit qui pousse les industriels dans une perpétuelle fuite en avant : augmenter la productivité, les capacités de production et chercher à vendre toujours plus sous peine de disparaître. Pas étonnant que la concurrence entre constructeurs soit si féroce. Féroce également la guerre entre eux et les équipementiers, tirant les prix de ceux-ci à la baisse, les poussant à la concentration… et aux licenciements.

Plan Cash ou vol à la tire

Comme dans l’immobilier, on a multiplié les crédits pour permettre à davantage de consommateurs d’acheter des voitures. Et, aujourd’hui, c’est un milliard d’euros d’aides publiques françaises que les filiales de crédit automobile de Renault (RCI Banque) et de PSA (Banque PSA Finance) recevront. Organismes financiers des constructeurs, qui ont pourtant réalisé de confortables bénéfices en 2007 : respectivement 460 et 607 millions d’euros.

Mais, en licenciant à tour de bras, les patrons de l’automobile ne font que réduire encore davantage le pouvoir d’achat des consommateurs et donc le marché, et alimenter la spirale infernale de la crise. Les primes à la casse décidées par le gouvernement français ne pourront pas relancer les ventes de manière significative pour sortir ce secteur du marasme. Mais, évidemment l’opération est fructueuse pour aider Renault et Peugeot à encaisser, en liquidant un peu plus vite leurs stocks.

La crise de l’automobile s’est aussi focalisée, à grand renfort de communication du patronat, sur le prétendu manque de liquidités des entreprises. La grosse partie des différents « plans de sauvetage » censés sauver l’industrie automobile consistera donc à fournir d’urgence ces fameuses liquidités, sans lesquelles aucune entreprise ne pourrait fonctionner.

En parallèle à ces aides massives demandées à l’État, des plans d’action sont menés tambour battant par les constructeurs, surnommés « free cash flow » chez Renault, « plan cash » chez PSA. C’est une vaste offensive contre les travailleurs pour accroitre la productivité : baisse des coûts et des budgets de fonctionnement, réduction d’effectifs, fermeture et chômage partiel de sites de production, gel des projets et blocage annoncé des salaires et des primes…

C’est la deuxième prime à la casse : à la casse directe des emplois celle-là.

Passer l’automobile au contrôle technique… des travailleurs

Et ce ne sont pas les négociations sur le chômage partiel en France qui pourront faire illusion. L’accord, qui devrait être signé par tous les syndicats sauf la CGT, passera la rémunération minimum pendant les périodes de chômage partiel de 50 à 60 % du salaire brut (hors prime ancienneté et d’équipes) à partir de janvier 2009. On est encore loin du compte, d’autant plus que la majeure partie de ces allocations seront payées par l’État. Mais le fond de cet accord est bien de faciliter aujourd’hui pour les patrons la multiplication des mises en chômage partiel, voire au chômage tout court.

Quant aux aides publiques, admettons à première vue qu’on puisse les justifier pour des entreprises qui font des pertes depuis des années, comme GM aux USA. Bien que, là-bas, on assiste à un chantage du Sénat américain, non pour les refuser, mais pour obtenir au préalable un accord des syndicats de l’automobile sur la baisse des salaires et les restructurations massives. Mais, ici, il est quand même étrange que des entreprises comme Renault ou PSA, qui font des profits depuis des années, se prétendent d’un coup en manque de « cash »…

Il existerait d’autres solutions pour accompagner la baisse des ventes. Baisse des cadences, baisse du temps de travail, tout en maintenant le paiement intégral des salaires, etc. Il n’y aurait plus d’argent pour les travailleurs, comme l’affirment les directions des grands groupes automobiles ? Mais où sont passés les profits réalisés ces dernières années ?

Pour retrouver ces milliards, pour savoir où passent les milliards d’aides publiques, il faudrait que les travailleurs aient un accès direct aux comptes des entreprises. Ce ne sont pas les comités d’entreprise sous leur forme actuelle, ni même les conseils d’administration qui peuvent permettre un tel contrôle. Pour cela, il faudra que les travailleurs s’organisent et exigent, en position de force cette fois, qu’on leur rende les comptes.

Remettre en route le moteur des luttes

Le pire piège dans la période qui vient serait que les travailleurs s’engouffrent derrière le patronat dans la défense de « leur » entreprise, voire de l’industrie de « leur » pays. Les intérêts des travailleurs et du patronat ne peuvent se confondre.

Le gouvernement français vient de mettre sur pied un « comité stratégique pour l’avenir de l’automobile » . Ce comité est ouvert à toutes les « composantes » du secteur automobile, du patronat aux syndicats, en passant par les pouvoirs publics. Afin de mettre davantage encore les syndicats à la remorque des intérêts de la bourgeoise ?

Il serait urgent au contraire que les travailleurs se concertent entre eux pour définir un plan de résistance et passer à la contre-offensive. En définissant d’une part quelques objectifs clairs et unificateurs : interdiction des licenciements et de toute suppression d’emplois quelles qu’en soient les formes, maintien des rémunérations et augmentation des salaires, contrôle des comptes des entreprises par les travailleurs, etc. En œuvrant à la convergence des luttes et au contrôle de celles-ci par les travailleurs eux-mêmes, que ce soit sous forme de comités de mobilisation, de comités de grève ou autres coordinations.

Après des arrêts de quinze jours, trois semaines ou un mois dans les diverses usines de production, les travailleurs de l’automobile vont à nouveau se retrouver. Tous ensemble, c’est le moment de reprendre l’offensive.

2 janvier 2009

Gilles SEGUIN


Sécurité sociale professionnelle ?

Deux mots en passant sur la revendication de la CGT d’une « Sécurité sociale professionnelle » . Ce projet, censé permettre aux salariés une meilleure sécurité de l’emploi, est ainsi présenté par Maurad Rabhi, un des secrétaires de la CGT, dans l’Humanité du 31 octobre 2008 (cité par la CGT sur son site internet www.cgt.fr) :

« Mais le licenciement ne peut pas toujours être évité. Dans ce cas, il conviendrait de mettre en place des mesures pour sécuriser le parcours du salarié concerné et l’aider à remettre le pied à l’étrier de l’emploi. Le dispositif le plus pertinent aujourd’hui est, sans aucun doute, le « congé de reclassement » pendant la durée duquel le salarié conserve son contrat de travail, la plus grande partie de sa rémunération et ses droits à la protection sociale. Il est aujourd’hui réservé aux entreprises de plus de 1 000 salariés et n’est pas forcément reconductible. »

On voit les limites de ce projet, qui se résume en fait à un accompagnement des licenciements et à une sacrée impasse pour les luttes. Mais c’est une telle usine à gaz que les travailleurs heureusement en ont très peu connaissance. La seule revendication efficace, unificatrice et mobilisatrice ne peut être que l’interdiction des licenciements et de toutes les autres formes de suppression d’emplois.


[1Voir Convergences Révolutionnaires n° 59, « Plans sociaux, PSE, GPEC, départs volontaires : Les multiples visages des licenciements collectifs »

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