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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 60, novembre-décembre 2008

Sans-papiers : un gréviste raconte

Mis en ligne le 2 décembre 2008 Convergences Politique

Ci-dessous le témoignage de Moussa, ancien travailleur sans-papiers, aujourd’hui régularisé grâce à la lutte aux côtés de la CGT et de Droits devant !! . Son expérience montre comment des patrons exploitent sans limite des travailleurs parmi les plus précaires, et comment des sans-papiers ont su s’organiser pour se défendre. Aujourd’hui, fort de cette expérience, Moussa entend bien continuer à lutter pour en aider d’autres à être régularisés et pour que les droits des salariés soient respectés.

« En 2001, j’étais avec d’autres sans-papiers au bord du trottoir à attendre du boulot. Un patron s’est arrêté en voiture pour me proposer du travail dans son magasin, sorte de grand bazar situé dans une zone commerciale. Jusqu’en 2004, j’y ai travaillé au noir, sans aucun contrat. J’étais vendeur, manutentionnaire, vigile, homme de ménage, tout ce que le patron voulait. Je travaillais dix heures par jour, sans pause, 7 jours sur 7. »

Moussa montre les photocopies de ses fiches de présence durant toutes ces années : les dix heures par jour, 7 jours sur 7 y sont clairement marqués.

« En 2004, le patron a eu peur d’être dénoncé à l’Inspection du travail. Il a alors donné 300 € à chacun des travailleurs sans-papiers, une trentaine, pour que nous allions nous faire faire une fausse carte de séjour. Puis il m’a fait un contrat CDI de 39 heures par semaine. En réalité, je continuais à travailler 70 heures. J’étais payé 3,80 € de l’heure. Sur ma fiche de paye, il n’y avait jamais le même numéro de Sécurité sociale.

En 2006, le patron a déclaré le magasin en faillite et a procédé à des licenciements économiques. Je n’avais jamais pris de vacances depuis cinq ans que je travaillais pour lui. Mais, pour solde de tout compte, j’ai reçu les 1 200 € du mois, plus 1 000 € pour ces cinq ans sans vacances ! Il nous a dit de ne surtout pas aller aux Assedic, « sinon, c’est l’avion » , et il m’a envoyé dans un autre magasin à lui où j’ai travaillé deux ans sans contrat. En plus du travail au magasin, le patron me demandait souvent de venir pour des travaux dans son pavillon et du jardinage. »

Moussa sort deux photos, l’une où le patron s’est fait prendre à côté de son salarié dans le magasin, l’autre où Moussa, qui vient de finir le jardinage, se tient devant le pavillon et la Mercedes du patron. Se considérant sans doute comme un bienfaiteur,celui-ci lui a dit : « Tu pourras les envoyer à ta mère ». Mais le vent tourne .

« Nous avions vu Droits devant !! à la télé, et nous avons entendu parler de la grève des sans-papiers à Buffalo Grill à Corbeil. Ce n’était pas très loin de notre lieu de travail. Un collègue a été voir Droits devant !! pour leur montrer nos fiches de présence. Les militants ont été impressionnés, car c’était tellement clair, l’exploitation 7 jours sur 7 et dix heures par jour était notée là, noir sur blanc. Ils ont dit que jusqu’à présent, ils ne disposaient que des récits des travailleurs sans-papiers, mais que, là, ils pouvaient s’appuyer sur de véritables preuves. Droits devant !! a envoyé une lettre au patron pour qu’il remplisse les promesses d’embauche et le formulaire ANAEM [1] nécessaires à la régularisation.

Il nous a menacés de finir dans l’avion. Deux d’entre nous ont eu peur et sont partis, mais nous restions sept déterminés à nous battre. Soutenus par la CGT et Droits devant !!, nous avons organisé un piquet de grève devant un de ses magasins, celui où il a son bureau. Le patron a voulu déchirer nos drapeaux. Des journalistes du Parisien sont venus. Nous avons fait un mois et vingt jours de grève. Pendant ce temps, le patron ne sortait plus de chez lui. Les clients, qui nous connaissaient tous depuis des années, nous manifestaient leur soutien : « ça suffit l’esclavage, on ne veut plus rien acheter ici ! » Bien évidemment, le chiffre d’affaires du magasin s’est effondré. Le patron a été obligé de céder et de remplir les promesses d’embauche. Je suis aujourd’hui régularisé, avec une carte d’un an, et j’ai trouvé du travail ailleurs, comme mes autres compagnons de lutte. Mais nous avons un dossier en cours aux Prud’hommes, pour que notre ancien patron nous paye ce qu’il nous doit. Il nous a proposé 5 000 € à chacun pour qu’on abandonne nos poursuites !

Je pense qu’il faut aller jusqu’au bout, face à ces patrons qui exploitent des sans-papiers. Je continue à aider d’autres luttes pour la régularisation et, dans mon nouveau lieu de travail, je compte bien me défendre, ainsi que mes collègues : depuis notre grève, je suis syndiqué à la CGT et j’ai suivi une formation syndicale de 1er niveau. »

12 novembre 2008

Propos recueillis par Lydie GRIMAL


[1C’est la taxe que le patron s’engage à payer pour la régularisation de son salarié.

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