Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 66, novembre-décembre 2009 > DOSSIER : La grève des travailleurs sans papiers

DOSSIER : La grève des travailleurs sans papiers

Sans papiers... mais pas sans boulot ni patrons !

Mis en ligne le 30 novembre 2009 Convergences Politique

Les grèves n’ont pas seulement mis en évidence que les sans papiers étaient des travailleurs, elles ont aussi montré qu’ils avaient des employeurs. Car les premiers à profiter de la situation, loi ou pas loi, sont bien les patrons.

La recherche de la main-d’oeuvre la plus malléable, la moins chère et la moins encline à protester a conduit à l’utilisation très importante de sans papiers dans certains des secteurs les plus durs. Pour ces travailleurs, le fait de se cacher des « autorités » oblige à accepter l’essentiel de ce que le patron exige : horaires, conditions de travail, salaire...

À la surexploitation par le patron s’ajoute l’asservissement aux mafias auxquelles livre la situation de « hors la loi ». Mafias des passeurs d’abord. Mafias du logement, parfois fourni par l’employeur lui-même au-dessus de son restaurant. Petites et grandes truanderies sur le salaire quand le travailleur se fait « prêter » des papiers en règle, en échange d’une commission sur le salaire pour celui qui les fournit... De véritables marchés sont organisés autour des sans papiers, marchés noirs mais lucratifs : des « niches », comme disent des économistes, qui existent en lien permanent avec le marché capitaliste traditionnel, et même à l’échelle internationale. En France, les quelque 300 000 clandestins estimés par le ministère de l’immigration représentent une main-d’oeuvre conséquente qui n’est pas sortie de nulle part, ne travaille pas nulle part… et rapporte bel et bien à diverses espèces du patronat !

Lorsque le député UMP Frédéric Lefebvre, à l’origine de la régularisation par le travail fixée par la loi du 20 novembre 2007, déclare : « Je me suis battu pour que les entreprises soient les interlocutrices des préfectures. Je voulais contourner les associations qui dévoient les procédures afin de régulariser un maximum de personnes », il indique bien qu’il s’agissait de sous-traiter aux patrons la gestion des flux migratoires, de leur accorder le rôle prépondérant dans les possibles régularisations, c’est-à-dire de leur permettre de conserver tous les choix et… toutes les possibilités de chantage.

Les grèves ont ensuite changé la donne.

Certes, le recours illégal à de la main-d’œuvre fait craindre aux patrons le « dumping » entre eux, le scandale voire des ennuis avec la justice, y compris pénale. Mais le discours patronal s’est vite adapté. André Daguin, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, réclamait 50 000 régularisations pour son secteur dès avril 2008. Didier Chenet, du Syndicat national des hôteliers, restaurateurs, cafetiers, traiteurs, estimait pour sa part que « Le gouvernement a fait une erreur en listant des métiers trop précis. Il aurait mieux valu parler profession ». François Roux, délégué général d’une organisation patronale de l’intérim, a évoqué la possibilité d’embaucher des intérimaires à l’étranger (depuis la loi de novembre 2007) : « Pourquoi ne pas l’étendre aux intérimaires sans papiers en France ? ». D’autres fédérations sont restées muettes, comme le bâtiment, qui aurait préféré négocier en coulisse avec le cabinet Hortefeux et y envoyer directement ses dossiers de salariés sans papiers.

Les positions officielles des organisations représentatives du patronat sont une chose, l’attitude des employeurs confrontés à des luttes pour la régularisation chez eux, une autre chose. Et d’abord le règne de l’hypocrisie : « on ne savait pas », « on a été trompés par nos salariés », « on est pris en otage »... Pourtant, les mêmes n’étaient pas trop regardants peu de temps auparavant, et n’exigeaient que de simples photocopies de titres de séjour, quasi illisibles, rarement des numéros de sécurité sociale valables. Après l’instauration des contrôles des papiers à l’embauche en juillet 2007, certains sans papiers ont été licenciés, mais certains ont pu revenir au travail avec de vrais papiers sous un nouveau nom, ce qui n’a pas posé tant de questions aux patrons – du bâtiment et de l’intérim notamment. Les donneurs d’ordre de l’intérim et les grandes entreprises ayant recours à la sous-traitance se sont réfugiés derrière leur « ignorance » de la situation, y compris la SNCF ou la RATP.

C’est que les nouvelles lois sur l’immigration, en renforçant les contrôles, ont en boomerang mis les pratiques patronales illégales sur la sellette… et fait craindre des sanctions. La loi du silence aurait perduré si des grèves n’avaient posé le problème autrement, au grand jour. Plusieurs restaurants ont réagi en licenciant des salariés sans papiers, par peur d’être « pris », et ont provoqué en retour de nouvelles grèves. La plupart des employeurs ont été vite assurés qu’ils échapperaient aux sanctions administratives ou pénales. Le ministère du travail s’est montré on ne peut plus conciliant. Depuis le début des grèves, un contrôleur du travail témoigne que « Notre hiérarchie ne nous demande aucune “fiche de conflit” pour suivre le mouvement, alors que c’est la norme. Elle nie ce conflit du travail ». Pas de sanctions pour les employeurs, pas d’expulsions en cas de refus des premiers dossiers déposés par la CGT : circulez, y’a rien à voir !

Mais la peur de la grève a poussé des patrons à la prudence : accompagner la démarche de régularisation des travailleurs est devenu courant, en échange du silence de ces derniers, parfois de mises à pied ou même de licenciements avec la promesse de réembauche. Les plus empressés ont été les petits patrons de la restauration, bien embarrassés à l’idée de n’avoir plus personne en cuisine. Même de grandes entreprises, comme Veolia ou la Sodexo, se sont engagées dans de telles démarches.

Après une grève, beaucoup de restaurants ou d’entreprises du nettoyage ont vérifié l’ensemble des papiers de leur personnel : à la clef, soit des licenciements pour des salariés isolés et vulnérables, soit de nouvelles démarches de régularisation pour en finir avec ce « risque social ». Et les patrons de chercher fébrilement des conseils juridiques auprès de leurs avocats ! Même des sites internet comme « l’hôtellerie-restauration.fr, le journal des Restaurants Hôtels Cafés » ont publié dans leurs rubriques juridiques des guides à usage patronal : faut-il licencier, et comment ? Peut-on régulariser ?

À ce jour, une certaine discrétion patronale semble de mise. La FNTP (Fédération Nationale des Travaux Publics), dont le siège a été occupé par des grévistes, a réagi en indiquant que la situation « relève de la seule responsabilité des pouvoirs publics, et que les organisations professionnelles n’ont aucun rôle dans ce domaine. »

Le patronat renvoie la patate chaude au gouvernement… mais est néanmoins empêché de continuer à exploiter tranquillement et empocher… par la grève !

Kalim DOULA


Pas vus pas pris ?

La RATP a été prise la main dans le sac. En septembre dernier, les travailleurs de la société Asten, chargée de la rénovation des stations de métro parisiennes, filmaient leurs conditions de travail avec un téléphone portable. Au début de la grève, leur « reportage » a fait du bruit : pour casser les vieux murs et l’asphalte des quais, ils ne disposaient en tout et pour tout que d’un gilet jaune. Pas de casque, ni chaussures de sécurité ni masques. On les voit remonter à la surface de lourdes plaques d’asphalte, sur la tête ou sur les épaules, porter sans protection des seaux de goudron bouillant. Certains montrent des brûlures.

La RATP a aussitôt déclaré que « à sa connaissance, aucun salarié travaillant sur ses sites n’était en situation irrégulière ». Son sous-traitant, Asten, a eu la même réponse : « les sociétés d’intérim nous attestent formellement de la régularité des employés qu’elles mettent à notre disposition ». Bien pratique, la sous-traitance : le donneur d’ordre cherche le sous-traitant le moins cher, qui fait à son tour appel à une société d’intérim et personne n’est ni coupable ni responsable. Dans le bâtiment, il peut y avoir jusqu’à 12 niveaux de sous-traitance imbriqués, dénonce la CGT.

L.G.

Mots-clés : |

Imprimer Imprimer cet article