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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 81, mai-juin 2012 > DOSSIER : SNCF, la privatisation sur les rails

DOSSIER : SNCF, la privatisation sur les rails

SNCF : la privatisation sur les rails

Mis en ligne le 19 mai 2012 Convergences Entreprises

François Hollande pourrait-il présider à la privatisation de la SNCF, comme le tout nouveau premier ministre Lionel Jospin, en septembre 1997, avait présidé à celle de France Télécom ? En tout cas l’affaire a déjà été mise sur rails par le gouvernement Fillon – et l’ex-socialiste à la tête de la SNCF, Guillaume Pépy. Les « Assises du ferroviaire » qui se sont tenues de septembre à décembre 2011, organisées par le gouvernement sortant, la direction de la SNCF et le patronat des entreprises ferroviaires privées, ont défini dans ses grandes lignes le plan d’attaques contre les cheminots. Au programme : remise en cause du statut des cheminots dès 2012, ouverture à la concurrence du transport régional de voyageurs pour 2014, éclatement de l’entreprise entre l’ « infrastructure » (c’est-à-dire tout ce qui concerne le réseau) et l’ « exploitation » (le service de transport).

Ouverture des vannes à profits

L’affaire n’est pas nouvelle. À la base de l’étude du nouveau projet, il y avait l’expérience de « l’ouverture à la concurrence des TER ». C’est que les régions sont devenues de très gros gâteaux. Depuis 1997, elles ont progressivement pris en charge le financement du matériel roulant et des installations fixes, auparavant financés par la SNCF, jusqu’à les prendre en charge intégralement à la fin des années 2000. Problème : entre 2001 et 2009, le trafic voyageurs a augmenté de 45 % et les dépenses des régions avec, alors que l’ouverture à la concurrence avait été annoncée comme un moyen pour les régions de recourir à l’entreprise qui proposerait la meilleure offre au prix le plus intéressant !

Et puis il y a l’exemple des voisins : dans beaucoup d’autres pays européens, les transports régionaux sont ouverts à la concurrence depuis bien longtemps. Par exemple en Allemagne, les Länder peuvent lancer des appels d’offre depuis 1996 et la concurrence a commencé à se développer à partir de 2000. En 2008, le privé représentait 18,4 % de parts de marché. Beaucoup d’entreprises ferroviaires européennes – à commencer par la Deutsche Bahn – se plaignent de voir rouler des trains de la SNCF sur leur réseau sans pouvoir le faire aussi librement en France. Alors que la SNCF, « nationale » dans l’hexagone, se comporte comme un grand groupe capitaliste privé au dehors.

Diviser les travailleurs du rail

Le premier objectif fixé pour l’instant est d’offrir dans les chemins de fer en France 7,5 % de parts de marché au privé à l’horizon 2018. Ce qui implique de pousser encore plus loin le bouchon et d’admettre fièrement que les travailleurs du rail soient divisés en deux catégories : les cheminots embauchés au statut et les salariés de droit privé. La première devant s’effacer, avec le temps, derrière la première. Actuellement, la SNCF recrute déjà quelque 20 % des nouveaux cheminots hors statut (et même 50 % en ce qui concerne ses cadres). Voilà qui ferait plaisir aux entreprises privées qui lorgnent sur les activités ferroviaires et disent n’avoir aucun intérêt à embaucher du personnel au statut cheminot (garantie de l’emploi, grilles de salaires, horaires maxima et réglementation des temps de pauses entre deux services) ; mais aussi à la Sncf, laquelle, au nom de la concurrence ouverte aux entreprises privées, se plaint des contraintes du statut actuel.

Et comme, avec les cessions d’activité destinées au privé, la SNCF pourrait se retrouver vite en sureffectifs, tandis que les nouvelles entreprises privées n’ont pas hâte de faire les frais de la formation de leur propre personnel, pourquoi ne pas pouvoir faire valser le personnel d’un secteur à l’autre ? (Ce qui se pratique déjà dans certains secteurs, comme l’ingénierie, cf. notre article sur Inexia). Raison de plus pour vouloir en finir avec les conditions d’embauche et de travail actuelles de la SNCF qui seraient un handicap moyenâgeux à la course aux profits.

Va donc pour la promesse de remplacer ledit « statut » par un « cadre social harmonisé ». Belle formule pour parler d’harmonisation vers le bas, évidemment, notamment en matière de durée du travail, plus souple et moins coûteuse dans le privé. Comme le précisait une huile des Assises du ferroviaire, « Il existe donc ici des gisements de gains pour l’avenir »  !

Quant à la garantie de l’emploi assurée par le statut cheminot, les responsables de la SNCF disent qu’elle serait maintenue. Jusqu’à quand ? Et quid des nouveaux embauchés par le privé ? Mais il est vrai qu’une certaine clause du statut a, en contrepartie, son petit avantage auquel la SNCF tient et revient ces derniers temps : la mobilité géographique du personnel qu’on peut déplacer à sa guise. Prendre le moins bon de chaque statut, pour dégrader au plus les conditions de travail, voilà le programme !

Que la course aux profits abreuve nos sillons (air connu)

L’autre levier sur lequel les « assises du ferroviaire » comptent bien s’appuyer pour accélérer la privatisation et dégrader les conditions de travail est la séparation entre le gestionnaire d’infrastructure et l’exploitation des trains. L’Infrastructure, c’est le domaine des travailleurs qui s’occupent du réseau (aiguilleurs, horairistes, travailleurs chargés de la répartition des sillons, agents de l’équipement qui entretiennent et réparent le réseau) : ils sont actuellement 55 000 salariés. Bien davantage que les 1 500 salariés de l’actuel Réseau Ferré de France (RFF), établissement de droit privé (EPIC) crée en 1997 et qui séparait de la SNCF la gestion du réseau ferré proprement dit. Mais la circulation ferroviaire est bien plus complexe que la simple gestion des autoroutes : ce ne sont pas seulement des voies dont il suffit d’ouvrir l’accès aux trains de compagnies privées. Il faut leur offrir des « sillons », selon le jargon SNCF, c’est-à-dire des circuits avec des horaires de trajets bien déterminés et coordonnés : en clair c’est tout le travail des planifications de circulation, des aiguilleurs, etc.

Les entreprises privées candidates à la circulation des trains estiment qu’une infrastructure toujours entre les mains de la SNCF serait une concurrence déloyale. Et si la SNCF accordait des « sillons » prioritaires à la circulation de ses propres trains ? La gestion de l’infrastructure pourrait donc être regroupée dans une Holding composée de filiales de droit privé comme c’est le cas en Allemagne, ou être intégrée à l’actuel RFF, comme c’est le cas dans l’essentiel des pays de l’Union européenne. Dans un cas comme dans l’autre, cela revient, à terme, à faire sortir 55 000 cheminots de la SNCF et à y embaucher désormais en droit privé…

Cette évolution est en fait déjà amorcée puisque le transport de marchandises a été ouvert à la concurrence depuis 2006. Au bilan, le transport de marchandises a chuté de 40 % en dix ans, mais surtout les conditions de travail des travailleurs du rail de droit privé se sont considérablement dégradées. Et la SNCF pleurniche d’avoir des coûts de 25 % supérieurs à ceux des entreprises privées : c’est l’exacte mesure de la dégradation des revenus et des conditions de travail quand on passe d’un secteur à l’autre.

Une seule ombre au tableau présenté aux industriels et autres « experts ferroviaires », venus de Coca-Cola, Publicis et autres firmes participant à ces « assises du ferroviaire »  : les craintes de voir déborder le mécontentement des cheminots qui subiraient des pressions pour accepter une mutation ! Ces Messieurs-Dames y pensent ! Il faut dire que dans le secteur du Fret, face à ce Monopoly, des mouvements de grève se sont multipliés.

C’est ce qui les attend. Chiche !

Arthur KLEIN et Lucien ASTIER


Assises du ferroviaire… ou du capital ?

Rien que le casting des responsables desdites « Assises du ferroviaire », choisis parmi les hauts cadres de grands groupes capitalistes, était en soi un programme. La présidence de la commission « Gouvernance du système ferroviaire » a par exemple été confiée à Véronique Morali, qui dirige le groupe financier Fimalac, est administratrice de Fitch Group (celui de l’agence de notation du même nom) et est, en prime, administratrice de Coca cola et de Publicis. Une spécialiste du tiroir-caisse bien plus que du système ferroviaire. Ces grands groupes capitalistes représentés dans les diverses commissions des Assises sont doublement intéressés par cette ouverture de la SNCF au privé et à la concurrence : en tant qu’actionnaires, ils pourront investir leurs capitaux dans les nouvelles entreprises ferroviaires qui vont se créer et, en tant que clients, ils vont chercher à tirer les prix vers le bas notamment en ce qui concerne le transport de marchandises. Aux voyageurs de payer le prix fort.

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