SNCF : 35H à l’horizon, sur fond de grèves
Mis en ligne le 1er février 1999 Convergences Entreprises
Dans une entreprise qui a diminué les effectifs de 6 000 par an depuis plus de 50 ans, avec des pointes de -9 000 dans les années 80, la perspective d’une diminution du temps de travail devrait séduire. D’autant plus que des mouvements de grève se sont succédés depuis cet été, avec comme revendication quasi unique : des embauches.
Cette vague a en fait commencé un peu avant la Coupe du Monde, comme à Villeneuve-Saint-Georges par exemple. Elle a repris de plus belle dès septembre avec la grève de la Ligne C du RER.
Puis des agressions de cheminots amenaient des arrêts de travail aux quatre coins du pays : Paris-Saint-Lazare, suivi de Paris-Nord, à nouveau la ligne C du RER, Versailles, etc. Un mouvement des conducteurs et des contrôleurs dura environ une semaine sur toute la région parisienne et quelques régions de province, Normandie ou Picardie par exemple. D’autres grèves, en particulier dans le Midi, ont suivi encore en novembre.
Caractéristique de ces mouvements : les syndicats en prennent la direction, s’affichent unitaires du début à la fin, en bref les accompagnent sans chercher à les étendre. Car à aucun moment les syndicats n’ont appelé à l’extension à tous les services, ni même simplement parlé de sa nécessité.
Une journée européenne des transports, le 23 novembre, fut la seule occasion pour tous les cheminots de faire grève ensemble à l’appel de tous les syndicats. En revanche c’est dans le désordre syndical qu’étaient lancés des appels pour le 27, toujours sur la question des effectifs. Et seuls les agents de train (contrôleurs) entraient massivement dans la grève et obtenaient au bout de 18 jours des effectifs supplémentaires (ils sont 9 600 et réclamaient 540 postes) et l’augmentation d’une prime.
Jusqu’à la grève des contrôleurs, direction SNCF et gouvernement refusaient de céder aux demandes d’embauches, du moins officiellement. Car localement la SNCF cédait un peu, parfois, ici ou là. Elle annonçait même 800 emplois supplémentaires (400 cheminots et 400 emplois-jeunes) pour répondre aux problèmes de sécurité. Enfin en décembre le PDG Gallois promettait le maintien des effectifs cheminots pour 1999. Ce serait la première fois depuis 1982, qui était une exception depuis 1945 !
Surtout la SNCF s’est mise à faire miroiter les négociations sur les 35h. Elle martèle que chacun doit y trouver son intérêt : les cheminots et la SNCF. Nous y voilà ! Promesses d’embauches (mais par ailleurs le PDG lui-même n’a parlé que de maintien des effectifs !) contre flexibilité et salaires (ou primes) à la baisse.
Plutôt que de s’opposer par avance à ce marchandage de dupes pour les cheminots, les syndicats (qui chiffrent pourtant eux-mêmes les effectifs supplémentaires nécessaires entre 16 500 à 20 000 pour 173 000 cheminots actuellement) préfèrent réclamer une contribution de l’Etat. Parfois ils se disent même pressés de conclure et de passer... à des négociations locales, donc éclatées, comme le furent les grèves récentes.
En fait la perspective des 35h inquiète plutôt les cheminots, même s’ils ne perçoivent pas encore les manœuvres actuelles. D’autant plus qu’elle se double de celle d’une rediscussion sur leur régime particulier de retraites.
8 janvier 1999
Bertrand LEPAGE
Quelques correspondances sur les grèves
Ci-dessous quelques extraits de correspondance de camarades cheminots. Bien que limités à quelques mouvements sur les dizaines qui se sont produits durant les six derniers mois de 1998, ils donnent quelque idée sur l’ambiance parmi les cheminots et l’attitude de la SNCF.
Villeneuve-St-Georges
Du lundi 1er juin au mardi 7, les guichetiers des gares de Villeneuve-St-Georges, Villeneuve-Triage et Vigneux ont fait grève suite à l’agression d’un des leurs par quatre malfrats.
Soutenu par CGT et SUD, ce mouvement pour exiger deux agents en permanence dans la gare de Triage, au lieu d’un, des travaux pour les mettre à l’abri des agressions et l’embauche de deux agents supplémentaires, a été mené avec la participation de tous les grévistes aux décisions, aux actions et aux négociations...
Ainsi c’est tous les grévistes qui composèrent la « délégation » qui négocia avec la direction, qui s’adressèrent aux usagers et aux cheminots d’autres secteurs (Dépôts de Villeneuve, Ateliers TGV, Vendeurs de la Gare de Paris-Lyon), qui décidèrent d’occuper un poste d’aiguillage dans le triage ou bloquer des trains de marchandises. (En revanche les grévistes avaient décidé de ne pas gêner les usagers, par des occupations de voies par exemple, ce qui a effectivement permis de les mettre de notre côté).
...Au huitième jour, tous les grévistes se sont invités à la réunion des DP et ont bruyamment et joyeusement montré qu’ils ne lâcheraient pas. Nous étions à la veille de la Coupe du Monde... Le soir la direction jetait en effet l’éponge et cédait sur les trois revendications...
D.G.
Ligne C du RER
En septembre les conducteurs de la ligne C entamaient une grève qui devait durer 14 jours, à l’appel des syndicats, poussés par une partie des plus jeunes. Ceux-ci, fraîchement embauchés, refusaient de compenser le manque d’effectifs par un travail souvent de qualification supérieure et dans des conditions à la limite de la réglementation du travail... La direction a finalement cédé partiellement en s’engageant sur des formations de conducteurs supplémentaires, donc quelques embauches, sans réellement donner des garanties chiffrées.
Cette grève était reconductible en assemblée générale sous contrôle de l’intersyndicale. En réalité les syndicats se concertaient assez peu et n’organisaient pas grand-chose sinon les AG et les discussions avec les patrons. Les jeunes, peu syndiqués ou dans des syndicats différents, tout en étant les plus actifs dans les piquets de grève et à l’initiative du mouvement, ne trouvaient pas une place dans l’organisation de la grève... et peu de réponses à leurs demandes d’actions qui auraient permis d’augmenter la pression...
Quelques militants de différents courants révolutionnaires ont soulevé ces problèmes. Leurs propositions, acceptées par les grévistes, même si les syndicats traînaient les pieds, ont permis d’aller dans d’autres chantiers, ou encore de mieux organiser les piquets de grève... Mais au bout du compte elles ont abouti au mieux à faire la démonstration de la politique syndicale, sans parvenir à organiser la minorité la plus active...
B.L.
Dépôt de Sotteville
Les mécanos de Sotteville sont partis en grève le 9 octobre, par solidarité avec les mécanos de Rouen entrés eux-mêmes en grève le 6 avec ceux de Paris-Saint-Lazare. Mais la grève à Sotteville a continué après la reprise à Rouen à la suite d’une véritable provocation : l’annonce que le nombre des futures formations pour les mécanos était revue à la baisse : 40 stagiaires contre 60 attendus. Ce chiffre ne permettra même pas de pallier correctement les départs en retraite, d’assurer les repos et les congés.
...Nos AG quotidiennes regroupaient entre 50 et 80 roulants du dépôt de Sotteville (nous sommes 300). Et la grève, malgré un pourcentage de grévistes à peine supérieur à 50%, fut reconduite chaque jour jusqu’au samedi 17 octobre. Pourtant rien de concret n’a été acquis...
La CGT et SUD, majoritaire sur le dépôt, étaient partie prenante. Mais le responsable CGT a limité ses interventions à la direction locale et on ne peut pas dire qu’il était bien chaud... Quant à ceux de SUD, dont les jeunes syndiqués poussaient à l’action, ils se sont contentés de l’accompagner et de regretter le manque de perspectives des grandes confédérations...
J.M.
Région Paris-Sud-Ouest
Au mois d’octobre un établissement de « sédentaires », qui regroupe 700 cheminots du commercial et des gares de Juvisy, Brétigny, Massy, Orly, Essonne Ligne C, entre en ébullition...
Un préavis reconductible est brusquement déposé par tous les syndicats sur la base d’une revendication simple : des embauches. C’est alors un des rares secteurs qui ne soit pas roulant qui menace de faire grève. La direction réagit rapidement et s’engage à embaucher pour résorber rapidement les repos et les congés en retard.
Mieux elle accélère la « titularisation » de la totalité des contractuels qui font le même travail que les cheminots au statut... Crainte qu’une grève dans ce secteur soit un signal pour d’autres ?
M.A.
Paris-Gare-de-Lyon
L’été dernier, aux guichets de la Gare de Lyon, 300 cheminots, une grève avait éclaté pour demander des effectifs supplémentaires. Après deux jours de grève, les camarades qui animent le bulletin « l’Etincelle » proposent que les embauches nécessaires soient au statut cheminot tandis que le syndicat SUD, d’influence équivalente à la CGT sur le secteur, fait voter l’acceptation des renforts pour l’été proposés par la direction. Nos camarades n’ont pas trouvé de grévistes prêts à s’imposer aux côtés de la délégation syndicale...
Le lundi 30 novembre, en AG, environ 80 cheminots des ventes décidaient à nouveau une grève qui a touché 60% des effectifs pendant trois jours. Quelques-uns, après avoir formé des piquets de grève, ont tenté de faire débrayer d’autres services, mais sans succès. Pendant que SUD faisait de la propagande pour une grève nationale, la CGT militait pour des négociations locales. Sur proposition de nos camarades les besoins furent chiffrés, une cinquantaine d’embauche. Cette fois, des grévistes, ont bien voulu se joindre à la délégation. Vingt embauches immédiates ont été obtenues. On est quand même loin du compte. Mais si un milieu de jeunes voulait aller plus loin, les plus anciens ne se sentaient pas de s’engager, en tout cas à un seul secteur, dans une grève dure...
R.P.