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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 141, octobre-novembre 2021

Face à l’offensive patronale, alors que les grèves se multiplient

Quelle est la politique des confédérations syndicales ?

Mis en ligne le 4 octobre 2021 Convergences Politique

À la veille du 5 octobre, personne ne sait quelle sera l’ampleur de la mobilisation. Mais si elle ressemble à celle de l’Éducation nationale du 23 septembre, le succès n’est pas assuré. Pourtant, la colère est bien là et s’exprime. Sur les licenciements qui continuent, le chômage, l’augmentation des prix (du gaz par exemple, mais aussi des carburants, et toutes ces hausses qui en découlent et pourrissent la vie quotidienne des classes populaires), les restructurations qui se multiplient et tirent vers le bas salaires et conditions de travail tandis que la baisse annoncée des allocations chômage, destinée à les faire accepter, est en place depuis le début du mois.

Alors, que manque-t-il pour que cette colère s’exprime dans la rue dans un mouvement d’ensemble nécessaire, non seulement le 5 octobre, mais aussi après ? Les confédérations syndicales réputées les plus combatives (la CGT, Sud, la FSU qui appellent au 5 octobre) font-elles tout pour assurer le succès ?

Au-delà des discours et des appels, quel est le plan ?

Le problème ne se situe pas forcément dans les discours ou les écrits. À la fête de l’Humanité, face au porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, rappelait à juste titre les 57 milliards de bénéfices du CAC40, « record historique depuis que la bourse existe », avec toutes ces entreprises qui ont touché des aides publiques… Il s’y est moqué des patrons qui se plaignent de la prétendue « pénurie de main-d’œuvre » alors que les salaires et conditions de travail sont inacceptables… Un discours dans lequel tous les travailleurs pourraient se retrouver s’il n’était pas émaillé d’un patriotisme et d’un souverainisme économique prétendument susceptibles de sauvegarder les emplois mais attisant en réalité la concurrence dans laquelle les capitalistes plongent les travailleurs (voir encadré).

Les appels à mobilisations n’ont pas manqué eux non plus, cette journée « interprofessionnelle » du 5 faisant suite à de nombreuses journées éclatées, secteur par secteur – la santé le 21 septembre, l’Éducation nationale le 23, les retraités le 1er octobre… On ne peut sans doute pas reprocher aux confédérations que si peu de monde se soit mobilisé. Du moins à priori. Les responsables syndicaux aiment à le répéter, la mobilisation ne se décrète pas. Certes. Mais quand la colère est prête à s’exprimer, il ne s’agirait pas de louper le coche ou, pire, de la canaliser dans des voies sans issue.

Quand on veut on peut…

Le problème n’est pas dans le fait d’appeler à une journée : une mobilisation doit bien commencer ! Mais, de l’aveu de tous, y compris de ceux qui ont dit vouloir faire grève le 5, ou ont déjà participé à des mobilisations sectorielles, si cette journée s’inscrivait dans le cadre d’un véritable plan de mobilisation, cela rendrait ces journées d’action plus crédibles.

Inutile de dire que ce n’est pas par incompétence que les grandes confédérations ne mettent pas en œuvre de tels plans… Quand elles le veulent, en particulier quand patronat et gouvernement cherchent trop ouvertement à se passer d’elles, elles sont tout à fait capables de donner corps à un mécontentement diffus ! Pendant le mouvement contre la réforme des retraites de 2010, l’intersyndicale, qui comprenait non seulement les organisations mentionnées plus haut mais aussi la CFDT, avait appelé à une journée de mobilisation en septembre (deux mois tout de même après la précédente en juin), qui a été un succès. Dès le lendemain, l’intersyndicale avait appelé à une nouvelle journée de grève et de manifestations deux semaines plus tard, les journées se succédant ensuite au rythme de deux par semaines toujours annoncées à l’avance : un manifestant ne pouvait pas quitter une manifestation sans connaître l’échéance suivante. Au succès de chacune, l’intersyndicale avait répondu par de nouveaux appels mis en perspective avec les suites, et, de fait, la mobilisation n’avait cessé de s’élargir, de gagner dans l’opinion, donnant naissances ici à des grèves reconductibles, comme à la SNCF, là au blocage des raffineries, avec même l’entrée remarquée des lycéens dans les manifestations.

Pour en revenir à la situation actuelle, l’appel au 5 octobre était peut-être tardif, mais cela aurait pu laisser le temps de mobiliser. Mais à condition que l’intersyndicale trace la perspective, indique les étapes d’une mobilisation allant au-delà d’une journée de grève isolée. Or ce n’est pas le cas. Alors que la colère s’accumule et s’exprime d’ailleurs comme elle peut, entreprise par entreprise, site par site, ni l’intersyndicale, ni aucune confédération signataire de l’appel au 5 octobre ne propose même de s’appuyer sur les mouvements en cours.

Pas étonnant que les luttes s’organisent hors des structures syndicales

Un constat s’impose : cela commence à faire un bon moment que les classes populaires expriment leur colère en dehors des cadres syndicaux. Ce n’est d’ailleurs pas propre à la France, signe que les vieux garde-fous destinés à canaliser la colère populaire fonctionnent moins, impliquant le recours de plus en plus fréquent à une répression beaucoup plus dure.

La plupart du temps, pourtant, des militants syndicaux s’y sont investis, réussissant parfois à entraîner certaines structures syndicales locales, mais à aucun moment les confédérations n’ont été à l’initiative, quand elles n’ont pas ouvertement dénigré la mobilisation [1]. Depuis les mobilisations contre la loi Travail, de nombreux travailleurs se préoccupent directement de politique dans leurs mobilisations, s’interrogent sur une action dont ils veulent être acteurs et pas seulement instruments, au service des « stratégies » syndicales. Dans les grèves de la SNCF et avec les Nuit debout, puis avec les Gilets jaunes, les collectifs de personnel de santé ou les piquets de grévistes de la RATP et de la SNCF, des travailleurs se sont organisés, plus ou moins efficacement, mais en dehors des structures que syndicats et partis avaient prévues pour eux.

En 2019-2020, il y a eu la mobilisation contre la réforme des retraites. La confédération CGT avait appelé à la grève jusqu’au retrait, mais n’a proposé aucune journée d’action pendant près de trois semaines, respectant la « trêve des confiseurs » laissant ainsi les grévistes de la RATP isolés, réduits à en appeler par eux-mêmes à tous pour soutenir leur grève, notamment par le blocage sur les dépôts.

La crise sanitaire et le premier confinement avaient, provisoirement, suspendu en partie la production et donc les luttes sociales. Mais en partie seulement. Quelle a été la politique des confédérations syndicales alors que les postiers, les cheminots ou le personnel hospitalier se mobilisaient contre le fait d’être envoyés au casse-pipe sans protection sérieuse, au mépris de leur propre sécurité ? Ces mobilisations se sont faites avec la participation de militants syndicalistes, mais sans les organisations syndicales en tant que telles. Même chose pour la mobilisation des enseignants contre les conditions sanitaires inacceptables : ils ont obtenu le dédoublement des classes selon des modalités locales ou régionales, mais, là encore, sans le moindre appel ou initiative centrale d’organisations syndicales comme la FSU.

Partout, les travailleurs en colère ont trouvé des militants locaux, voire des structures syndicales de base, mais rarement les fédérations et jamais les confédérations. Aucune raison dans ces conditions que la tendance actuelle à se battre et à s’organiser en dehors des structures syndicales s’inverse.

Que serait une politique offensive des directions syndicales ?

Aujourd’hui, le patronat invoque la crise économique qui a suivi la crise sanitaire non seulement pour continuer les licenciements, mais, désormais, pour restructurer et attaquer partout les conditions de travail. Les patrons voudraient être plus compétitifs face à la concurrence qui va faire rage dans le monde avec la reprise, De l’industrie automobile jusqu’aux transports, ils veulent le faire en aggravant les conditions de travail, en faisant la chasse à ce qu’ils appellent les « temps morts » que la production impose mais dont ils voudraient que ce soient les travailleurs qui les payent. Dans les hôpitaux, le passe-sanitaire aura de ce point de vue été un des moyens de pousser dehors une partie du personnel déjà en sous-effectif. Et cela, même les travailleurs à juste titre favorables à la vaccination ne peuvent l’accepter. Une véritable riposte appelée par une fédération CGT des hospitaliers n’aurait certes pas suffi à déclencher une mobilisation. Mais presqu’aucun matériel n’a été mis en circulation, aucune propagande lisible n’a été formulée.

Dans les autres secteurs, de l’automobile jusqu’aux transports, le patronat attaque les pauses, surcharge les postes, supprime du personnel. Lorsqu’il est prêt à faire quelques concessions salariales sur le taux horaire, ou les primes, ou la rétrocession d’une partie des « charges » sociales que le gouvernement pourrait « alléger » [2], c’est pour reprendre bien davantage par le biais des conditions de travail dégradées.

Or les attaques sur les salaires comme la dégradation des conditions de travail provoquent des réactions chez les salariés et, pour le moment, davantage que contre les licenciements il y a quelques mois. C’est le cas chez les conducteurs de Transdev ou des TCL. Ces grèves sont déterminées, s’étendent et tentent de s’organiser, voire de se coordonner. Elles sont regardées de près par les patrons de la SNCF, de la RATP, par le patronat en général tant les restructurations qui en sont la cause ont fonction de laboratoire contre tous les salariés de la branche et bien au-delà. Les fédérations des transports des syndicats ouvriers ont-elles lancé une campagne dans tous les secteurs pour alerter, informer, préparer ou prendre les devants ? Rien. Leur seule préoccupation a été de faire de la propagande sur le statut unique du transport urbain et interurbain en négociant des accords socles alignés sur le plus favorable de la branche, le tout la plupart du temps dans le dos des salariés, voire des syndiqués eux-mêmes. Aujourd’hui, ces fédérations sont prises de cours, à la traîne, et ne parviennent même pas à s’appuyer sur les luttes existantes pour en entraîner d’autres. Les salariés tentent de s’organiser sans elles, comment pourrait-il en être autrement au vu de leur politique ?

Une telle retenue des confédérations syndicales serait-elle due à des raisons stupidement électorales, pour ne pas perturber le fameux jeu démocratique à l’occasion des prochaines élections présidentielles ? Une centrale syndicale devrait au contraire appuyer, coordonner amplifier les mouvements pour mettre au premier plan, au centre de la campagne, les problèmes immédiats des travailleurs – la « question sociale » comme aiment à dire les politiciens –, empêcher que cette campagne ne dérive durablement vers les préoccupations nauséabondes que cultivent les Le Pen et les Zemmour et dans lesquelles s’engouffrent à leur suite tous les politiciens bourgeois, de Macron jusqu’à Mélenchon ou Roussel eux-mêmes.

Un mouvement d’ensemble à construire

Dans les mois qui viennent, des luttes vont se développer face à l’offensive patronale en cours. Il y a bien peu de chances pour que les bureaucraties syndicales agissent pour les renforcer, les coordonner, les conduire à la victoire. En s’efforçant de mettre les structures syndicales dans lesquelles ils militent au service des colères qui se manifestent ici ou là, Les révolutionnaires peuvent-ils aider à construire une telle mobilisation ? La tâche est évidemment difficile, mais certainement pas impossible. Les forces et le crédit des révolutionnaires sont faibles ? Sans doute. Mais cela ne change rien : elles le sont sinon depuis toujours, du moins depuis... un siècle ! Si nous ne parvenons pas à jouer un rôle dans la coordination et l’amplification des luttes, il sera toujours temps de se lamenter sur l’état de nos forces. En attendant, il faut essayer car, par bien des aspects, la situation s’y prête.

Le 4 octobre 2021, Léo Baserli


La CGT ou un souverainisme économique qui n’a jamais garanti le moindre emploi

À la fête de l’Humanité, Philippe Martinez expliquait à Gabriel Attal que, pour sauvegarder les emplois, il faut des « propositions industrielles crédibles ». « Sur les semi-conducteurs, disait-il, ça fait un an que je dis à Castex qu’il faut relocaliser. » Que propose Martinez ? De financer « STMicroelectronics ou Thalès » pour qu’ils fabriquent des semi-conducteurs français, garants de la souveraineté nationale et des bénéfices nets des patrons de la filière ?

Une chose est sûre : « relocalisation » ne veut pas dire maintien ou création d’emplois. L’exemple de l’Automobile suffit : au printemps dernier, alors que la direction de PSA avait annoncé que la nouvelle génération de moteurs produits dans l’usine de Douvrin serait fabriquée en Hongrie, Bruno Le Maire et les élus locaux en appelaient au « Made in France »… pour justifier de nouvelles subventions, cadeaux aux patrons et plus de compétitivité.

Quand PSA a retiré à l’usine Opel de Vienne-Aspern en Autriche la fabrication de boîtes de vitesse pour les faire produire à Valenciennes, il n’y a pas eu une seule embauche sur place, seulement une surcharge de travail pour les ouvriers. Quand l’Opel Mokka a été délocalisée de l’Espagne à l’usine de PSA Poissy, les suppressions de postes y ont continué de plus belle ainsi que les cadences infernales. Non seulement cela a fait supprimer des dizaines d’emplois et menace de fermeture des sites à l’étranger, mais ça n’en a créé aucun en France. Dernier exemple cette semaine : La direction de PSA-Stellantis a annoncé que la production des Opel Grandland fabriquées à Eisenach en Allemagne allaient temporairement être fabriquées sur le site PSA français de Sochaux. Les ouvriers allemands auront leur usine fermée au moins jusqu’en 2022 (eux aussi pourraient réclamer la « relocalisation » !) et à Sochaux ce sera des samedis, des jours fériés travaillés et des allongements d’horaires car la direction ne veut pas embaucher.

Chômage pour les uns et surtravail pour les autres, concurrence des sites entre eux, voilà la vérité du Made in France malheureusement défendu aussi par la direction de la CGT…

L.B.


[1Comme lors de la mobilisation des Gilets jaunes avec le communiqué de l’intersyndicale du 6 décembre qui critiquait la violence non pas de la police mais des manifestants

[2Ce qui signifie baisse des salaires réels – comme le dit Martinez lui-même : « un salaire, c’est un salaire brut ! », on pourrait ajouter : salaire brut + cotisations patronales qui font en réalité partie du salaire réel, ce que les patrons appellent le « coût total employeur ».

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