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Greffes d’organes

Quand le corps humain devient une marchandise comme une autre

Mis en ligne le 8 février 2018 Convergences Société

Les formidables progrès de la chirurgie en matière de greffes d’organes au cours des soixante-dix dernières années ont permis de sauver des centaines de milliers de vies humaines. On a ainsi procédé en 2016 à plus de 70 000 transplantations de reins dans le monde. Mais ces progrès ont aussi abouti au développement d’un marché lucratif, en raison notamment du déséquilibre entre l’offre et la demande d’organes. En France, par exemple, plus de 12 000 patients étaient inscrits sur les listes d’attente de greffe de rein, alors qu’on n’a effectué que 3 615 transplantations. Aux États-Unis, seuls 34 758 patients ont été greffés sur 115 398 en attente au cours de la même année. Les patients dont la vie est menacée sont donc tentés, et parfois incités, à se faire opérer dans des pays où une législation plus souple que dans les grands pays occidentaux permet d’acheter des reins à des individus désespérés.

Il suffit de consulter sur Internet le site du réseau Medigo [1] pour obtenir une liste de cliniques implantées en Inde qui pratiquent la greffe de rein. On y trouvera non seulement les tarifs de l’opération – 14 805 euros en moyenne –, mais toutes sortes de renseignements et même les commentaires des clients, comme pour un hôtel ou un restaurant. Sans doute est-il précisé « Greffe de rein (donneur vivant apparenté) », car la loi indienne exige, en principe, que le donneur soit un parent du receveur. En principe seulement car, l’Inde étant un État fédéral, tous ses États n’appliquent pas cette loi.

L’Inde, qui dispose d’établissements et d’équipes de haut niveau, est devenue l’une des principales destinations de ce « tourisme médical » très particulier. On y compte 118 centres de greffe, dont 80 % appartiennent au privé. Plus de la moitié des greffes seraient réalisées à partir de donneurs vivants, contrairement aux riches pays occidentaux où cette proportion est faible (576 sur 3 615 en 2016 en France), mais on ignore le nombre total d’opérations car il n’existe pas d’organisme chargé de les recenser, encore moins d’organiser la répartition des organes disponibles.

Le docteur Santosh Raut, arrêté en été 2016 [2] pour avoir enfreint la législation de l’État de Bombay, après l’avoir déjà été en 2008 et 1995, a été l’un des rares praticiens inquiétés dans ce pays. Sans doute une goutte d’eau...

L’Inde est en tête sur ce marché car la médecine de pointe y voisine l’extrême misère qui permet d’obtenir la matière première à bas coût. Mais c’est bien loin d’être le seul pays où l’on pratique ce commerce. Il n’y a en fait qu’en Europe occidentale, aux États-Unis ou au Canada que la transplantation d’organes est strictement encadrée et organisée. Parmi les États où séviraient les trafics les plus importants, on compterait notamment le Mexique où de nombreuses cliniques privées installées autour de Tijuana et Ciudad Juarez attireraient une clientèle nord-américaine toute proche, mais ces faits n’ont jamais été clairement établis.

Quand les Ayatollahs s’accommodent de la vente d’organes

On aurait pu croire que les religieux qui règnent en Iran, en apparence si stricts sur les mœurs de leurs concitoyens, interdiraient avec indignation un commerce qui porte sur le corps humain. Or l’Iran est le seul pays au monde, avec le Pakistan, où la loi permet de vendre un rein. Une fondation nationale créée en 1980 organise les transplantations et centralise les paiements. Le tarif est établi à 4 600 dollars le rein, l’État et la fondation prennent en charge les frais de l’opération et, éventuellement, une partie de cette somme si le receveur n’a pas les moyens d’y faire face. Selon le site Génétique [3], les autorités iraniennes justifient ainsi ce commerce : ce « système permet aux pauvres de gagner de l’argent tout en sauvant des vies (...) [et permet de réduire] les délais d’attente ». Le président du Centre de transplantation rénale, Shahid Labbafinedad ajoute : « Oui les gens font des dons parce qu’ils ont besoin d’argent, mais c’est une réalité chez tout le monde. Au lieu de faire quelque chose d’illégal pour couvrir leurs dettes, comme le vol ou la contrebande, ils sauvent une vie d’abord. Ce n’est pas de l’exploitation, le résultat est bon pour le bénéficiaire et le donateur ». L’hypocrisie bourgeoise et religieuse n’a pas de limites.

Chine : des condamnés exécutés à la commande ?

Pour des raisons évidentes, le rein est le seul organe qui peut faire l’objet d’une transaction « libre », car l’ablation d’un cœur ou d’un foie provoque la mort du donneur. La pénurie frappe donc encore davantage ces organes vitaux.

Pour les greffes, y compris de cœur ou de foie, il y a bien sûr la voie légale : depuis 1976, par exemple, tout Français est considéré comme donneur en cas de mort cérébrale sauf si, de son vivant, il a expressément demandé à être inscrit au Registre national des refus. C’est, non seulement pour des raisons légales mais pour des raisons pratiques, la seule voie pour que des greffes de cœur ou de foie puissent être pratiquées.

En dehors de cela, la seule solution pour s’en procurer est par conséquent d’assassiner des individus pour leur voler leurs organes, ce qui est impossible clandestinement en raison des contraintes techniques. Selon un rapport publié le 22 juin 2016 [4] par David Kigour et David Maztas, les autorités chinoises auraient résolu le problème en faisant exécuter des condamnés à mort à la commande en fonction de la compatibilité de leurs organes avec les patients en attente de transplantation. Cette activité procurerait notamment des profits considérables à des établissements appartenant à l’armée et aux services de sécurité. L’hôpital de Daping, à Chongquing, aurait à lui seul réalisé 134 millions d’euros de profits en 2009. La Chine compterait, selon ce rapport, près de 700 centres de transplantation parfaitement équipés en matériel et personnel qui n’auraient aucune difficulté à se procurer des organes dans des délais records. Des condamnés appartenant à la secte Falun Gong figureraient au premier rang des victimes.

Après avoir nié ces faits, les autorités chinoises auraient reconnu en 2006 que les organes provenaient de condamnés qui auraient consenti à en faire don après leur mort [5]. La même année, le docteur Francis Navarro, chef de service et transplanteur à Montpellier, livrait ce témoignage : « Nous avions été invités à faire une transplantation en Chine, afin de montrer le savoir-faire français en matière de médecine hépatique. 48 heures avant mon départ, j’ai eu des doutes sur la provenance de l’organe, d’autant que le jour où j’arrivais, des exécutions étaient programmées » [6].

En 2014, la presse chinoise a parlé du docteur Zhu Yunsong, poursuivi et jugé pour « abus de transplantation d’organes » avec de nombreuses complicités [7]. C’est, semble-t-il, le seul cas officiellement reconnu et il est difficile de mesurer avec certitude l’ampleur du système et de savoir s’il perdure.

24 janvier 2018, Gérard DELTEIL


[2Indian Express, 2 août 2016.

[4http://endorganpillaging.org/an-update/ Organe transplant industry

[5La Chine est l’État qui pratique le plus grand nombre d’exécutions capitales. Leur nombre exact n’est pas connu car il est considéré comme un secret d’État, mais il est évalué à un millier au moins par Amnesty International. La Chine est suivie par l’Iran qui exécute au moins 500 personnes par an, toujours selon Amnesty International. On peut toutefois noter à ce propos qu’une des premières tentatives de greffe a été effectuée en France en 1951... avec des organes prélevés sur un condamné à mort.

[6L’Express, 9 décembre 2009, https://www.lexpress.fr/actualite/s...

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