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Présidence française de l’Union européenne : le plan de relance de la campagne de Macron

23 janvier 2022 Article Politique

Mercredi 19 janvier, les eurodéputés, peu nombreux et somnolents, ont pu assister au lancement de la présidence française de l’Union européenne. Un exercice convenu tout juste pimenté par la proximité de l’élection à la présidence en France. Macron était accueilli au Parlement européen par sa toute nouvelle présidente, la députée maltaise Roberta Metsola du groupe conservateur du Parti populaire européen. Farouche militante anti-IVG, elle vient d’être élue grâce aux voix de la droite, d’une partie des sociaux-démocrates et des membres du groupe « Renew Europe », dont font partie les députés européens français de LREM. Se partager les sinécures vaut bien quelques entorses au « progressisme » dont se flatte Macron.

Certes, Mme Metsola a tout à fait à sa place aux commandes du parlement d’une Europe dont certains membres, comme les dirigeants de son pays, Malte, n’ont jamais légalisé l’avortement et d’autres qui, comme ceux de Pologne, viennent de le remettre en cause. C’est ce que voulait peut-être dire Macron, sur son ton de ravi de la crèche, en qualifiant l’Europe de « modèle unique au monde d’équilibre entre liberté, solidarité, tradition et progrès » ?

Vous avez dit « progrès » ?

À la « tradition », cléricale, réactionnaire ou oligarchique, on concède les mesures concrètes contre les femmes, les migrants ou les droits élémentaires des travailleurs. Au « progrès », on ne laisse que l’affichage de l’« Union » européenne pour renards libres de plumer ceux qui bossent dans le grand poulailler libre du marché commun.

Macron avait tout de même prévu la parade avec une proposition censée terrasser l’influence des réactionnaires mais néanmoins amis : actualiser la « charte des droits fondamentaux », afin d’être « plus explicites sur la protection de l’environnement ou la reconnaissance du droit à l’avortement ». Quelle audace ! Les eurodéputés En Marche ont précisé dans l’heure qui a suivi que « ça ne se fera pas de manière simple » même si « ce n’est pas parce que ça paraît impossible à un moment donné qu’on ne va pas essayer [1] ». Ne vous affolez pas, c’était juste pour rire.

L’Europe ouverte au monde ?

Cette ardeur « progressiste » destinée à masquer le caractère réactionnaire sur toute la ligne du capitalisme en Europe (et ailleurs) s’arrête là où commence un des rares sujets concrets qui relève, en partie, des compétences de l’Union : la surveillance de ses frontières. Leur militarisation est en bonne marche, avec Frontex, et se traduit par des records de morts dans la Méditerranée, et maintenant la Manche. Même Le Pen ou Zemmour, qui n’avaient pas de mots assez durs contre l’Europe et Schengen, ont mis de l’eau dans leur vin, doublés par les réalisations concrètes de cette Europe forteresse en plein boom.

Il faut dire que les « progressistes », sociaux-démocrates ou « républicains », qui alternent à la direction de l’Union et des États qui la composent, ont tous fait des efforts non négligeables pour appliquer le programme de l’extrême droite en ce domaine : accords avec la milice libyenne curieusement appelée « garde-côte » de cet État, qui réduit en esclavage les migrants qui ont le malheur d’y transiter, accords avec Erdoğan pour sous-traiter les camps de rétention sur son territoire, construction de murs, de barbelés, de camps sur toutes les frontières terrestres…

Concurrente de Macron pour la prochaine présidentielle, Valérie Pécresse a réservé son premier déplacement de campagne à l’étranger à la Grèce, désormais gouvernée par une droite dure. Elle y a admiré l’initiative de construction sur l’île de Samos d’un camp de rétention ultramoderne, financé par l’Union européenne. La candidate des « Républicains » en a pris plein les yeux : « un vrai confort », ces doubles rangées de barbelés, « ultramodernes », ces miradors peuplés de soldats affublés de lunettes à réalité augmentée. Voilà le progrès, « à dupliquer partout dans les États frontaliers ». Car selon elle, « le mur [à la Trump] n’est pas la solution »  : de la gnognotte, à côté des prouesses européennes pour mettre à l’abri le plus puissant ensemble économique du monde, forte de 447 millions d’habitants, à l’arrivée de quelques centaines de milliers de migrants chaque année.

L’Europe de la paix ?

Ravi, Macron l’est aussi pour la paix. L’Union européenne serait la « construction inédite » qui a mis fin depuis soixante-dix ans aux « guerres civiles incessantes de notre continent ». Passons sur les terribles guerres qui ont ravagé l’ex-Yougoslavie pendant les années 1990, où les puissances européennes concurrentes ont pris leur part pour y placer leurs pions, prélude à des interventions militaires américaines sur le continent européen, bombardements de l’Otan et casques bleus européens à l’appui.

Vue du continent africain, cette « inédite » Europe de la paix, c’est l’intervention militaire de la France au Mali et dans toute l’Afrique de l’Ouest, pour la « paix » des intérêts économiques des multinationales françaises dans la région. Fraternellement épaulée de quelques contingents symboliques allemands ou suédois. Assez réduits, il est vrai : les Européens sont solidaires mais pas dépensiers pour les intérêts du voisin.

Passé les barbelés de l’espace de Schengen, c’est encore l’Europe, où les bruits de bottes les plus inquiétants se font entendre en Ukraine. Les troupes russes sont massées à la frontière. Mais les grandes puissances occidentales d’Europe et les USA n’y sont pas non plus pour rien, leur but étant d’y développer leur marché et leur influence. Chacune pour soi d’ailleurs, entre une Pologne, membre enthousiaste de l’Otan par opposition à la Russie, et une Allemagne qui tient surtout à profiter des gazoducs en provenance de Russie. On en a même construit un, le Nord Stream et son doublement controversé Nord Stream2, dont un ancien chancelier social-démocrate allemand, Schröder, est actionnaire, pour relier l’Allemagne à la Russie en contournant l’Ukraine [2]. Rappelons que l’Europe occidentale dépend de cette Russie pour 40 % de son gaz.

Pauvre Macron qui ne cesse d’agiter son hochet d’une « Europe de la défense » ? En clair, d’un instrument de guerre commun pour son Europe dite de la paix.

Mais même sur ce terrain il fait choux blanc : l’Union européenne n’est que la coordination d’États nationaux n’ayant pas toujours les mêmes intérêts. À chacun ses affaires. Macron est bien payé pour savoir que sa bonne République française (chère à tous nos politiciens de droite ou de gauche) tient à garder la maitrise de son pré carré africain par exemple, et donc de son armée, pour le plus grand bien des Bouygues, Bolloré ou Total.

L’Europe sociale ?

Si l’Union européenne était sociale, si les salaires de la Roumanie ou de la Pologne n’étaient ne serait-ce qu’alignés sur ceux de la France ou de l’Allemagne par exemple, ça se saurait. La mise en place progressive du marché commun, à toutes les étapes, a été au contraire le prétexte du renforcement de l’offensive patronale sur bien des points, de l’alignement vers le bas des droits des travailleurs. Sous la houlette des Mitterrand, Jospin, Hollande, Blair ou Schröder, comme de Sarkozy et Merkel. Même si une partie des ex-ministres de gauche cherchent aujourd’hui à faire oublier leurs propres responsabilités et brossent le tableau mensonger d’une Europe qui imposerait ses directives anti-ouvrières à de braves États comme la France. Comme si la politique de l’Union n’était pas dictée par ceux qui dirigent ses États membres. La France, deuxième puissance économique du continent, n’est pas la dernière à avoir voix au chapitre.

À noter que si Macron a été un peu chahuté dans son show au Parlement de Strasbourg par les députés français dits d’opposition, Bardella du RN, Jadot des Verts et Manon Aubry de la FI, tout ça ne volait qu’au niveau de la joute électorale. Les politiques anti-ouvrières ni l’Europe des barbelés n’étaient au programme des débats.

Raphaël Preston


Lire aussi : Face à leur Europe, l’Europe des travailleurs


[1Propos rapportés par Mediapart le 19 janvier.

[2Ce gazoduc a été négocié par l’ex-chancelier social-démocrate Gerhard Schröder, qui préside depuis le consortium chargé de ses diverses phases de construction.

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