Précarité, concurrence et ségrégation sociale : mon université va craquer
Mis en ligne le 4 octobre 2020 Convergences Politique
Lundi 21 septembre, chercheurs, enseignants, doctorants, personnels administratifs, précaires ou statutaires, se sont retrouvés à une centaine devant l’Assemblée nationale pour dire leur colère et leur dégoût face à la nouvelle loi de réforme des universités. Pompeusement nommée Loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), elle fait l’unanimité contre elle, des sociétés savantes [1] jusqu’aux collectifs d’enseignants-chercheurs [2] et de précaires de l’enseignement supérieur [3], et aux personnels non enseignants.
LPPR : la précarité pour régner
La ministre Frédérique Vidal avait annoncé 25 milliards d’euros pour la recherche publique sur dix ans, la revalorisation des salaires de l’ensemble du personnel de la recherche et de l’enseignement supérieur, l’augmentation du nombre de bourses de thèse, de nouvelles voies de recrutement pour les directeurs de recherche et les professeurs, et une plus grande ouverture aux « citoyens »... Las !
Le gouvernement ne s’engage que sur 400 millions en 2021… soit 100 de moins qu’en 2020 !
La LPPR prévoit de plus de nouveaux statuts permettant de normaliser la précarité croissante de l’emploi scientifique : « chaires de professeurs juniors » ; nouveau CDI de mission scientifique, transposition pour l’enseignement supérieur et la recherche des CDI de chantier utilisés de longue date dans le BTP et généralisés à toutes les branches du privé en 2017 ; enfin, les universités pourront recourir plus facilement à des « chercheurs-entrepreneurs » afin de développer les partenariats entre le privé et le public.
Survie des plus aptes ou ségrégation sociale ?
Les têtes pensantes du ministère et des grands organismes de recherche ne font d’ailleurs pas mystère de leurs objectifs. Le directeur du CNRS, Antoine Petit, en appelait ainsi en novembre 2019 à « une loi ambitieuse, inégalitaire – oui, inégalitaire, une loi vertueuse et darwinienne, qui encourage les scientifiques, équipes, laboratoires, établissements les plus performants à l’échelle internationale ». De bien grandes ambitions portées par de bien petits esprits. L’inégalité est d’ailleurs déjà la règle : 80 % des financements des projets de recherche vont déjà à 20 % des établissements.
Un petit nombre d’établissements très bien financés pourront essayer de rivaliser dans les classements internationaux avec les plus grandes universités mondiales. Mais ce sera au détriment du reste des universités « de masse », qui survivront avec des budgets anémiés, des effectifs toujours croissants, des enseignants moins nombreux, submergés par les tâches bureaucratiques, et parfois au bord du burn-out [4]. Par exemple, dans cette période de pandémie, à Sciences Po Paris, afin de dédoubler les groupes et de limiter les contacts entre étudiants, la moindre salle de TD a été équipée d’un système dernier cri de visio-conférence permettant aux étudiants de suivre les cours à distance. Alors qu’à Tolbiac et dans bien des facs, c’est la cohue dans les couloirs, les amphis sont bondés, et les groupes de TD aussi nombreux que l’année dernière. L’absence d’équipements informatiques dans les salles et les inégalités d’accès à l’informatique des étudiants compliquent encore l’équation de l’enseignement avec Covid, notamment pour les étudiants des classes populaires, souvent plus fragiles scolairement et matériellement plus précaires, qui trinquent en premier.
La LPPR est le point d’aboutissement d’une décennie de réforme des universités visant à y introduire les logiques du marché capitaliste et à déstabiliser les conditions de travail des enseignants, des chercheurs, et des personnels administratifs et techniques.
Pour l’instant, la mobilisation actuelle n’est pas au niveau de 2009, et n’est donc pas en mesure – pour le moment – de faire reculer le gouvernement. Mais les universitaires ne sont pas seuls. Ils ont à leurs côtés des étudiants, sans parler des profs du secondaire, des infirmières, des médecins, des postiers et des cheminots, qui doivent eux aussi gérer la pénurie de moyens au quotidien, et faire face à des attaques fréquentes.
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Vadim Luciano
[2] Voir le site de Université ouverte, qui recense les actions et diffuse les appels et témoignages contre la LPPR : https://universiteouverte.org.
[3] Voir le site du Collectif des précaires de l’ESR : https://precairesesr.fr.
[4] On peut lire le témoignage saisissant d’une maîtresse de conférences sur le site Université ouverte : https://universiteouverte.org/2020/...
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